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Un iconoclaste au service de la cité

Décodages | Conseil | publié le : 01.09.2021 | Irène Lopez

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Un iconoclaste au service de la cité

Crédit photo Irène Lopez

Patrick Levy-Waitz, président d’ITG et fondateur de la fondation Travailler autrement, est connu pour être le meilleur observateur des mutations de l’emploi. Il défend le télétravail, le chèque bureau, le portage salarial… La remise d’un rapport sur le coworking l’a mis dans la lumière en 2018. On connaît moins l’homme qui a fait descendre François Mitterrand dans la rue pour dénoncer la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990 ni ses faits d’armes dans l’humanitaire qui l’ont conduit à mettre d’accord Arafat, Peres et Rabin le temps d’un convoi humanitaire à Gaza en 1995. Qui est vraiment Patrick Levy-Waitz ?

Patrick Levy-Waitz est avant tout un homme libre. La formule est de Myriam El Khomri qui l’a rencontré alors qu’elle était ministre du Travail et de l’Emploi. « Son business ? Il le fait pour être indépendant » déclare-t-elle.

Il ne dépend d’aucune formation politique et il fraye avec tout le monde. Gare à celui qui le traite de macroniste, même s’il avoue qu’Emmanuel Macron porte de très loin les bonnes idées. Il explique : « Tout mon parcours me fait travailler avec des personnes très différentes. En 2013, j’ai créé la fondation Travailler autrement qui étudie les transformations du marché de l’emploi avec la CGT, Olivier Faure, des scientifiques… Je ne peux pas me définir par rapport à quelqu’un. Je fais de la politique à l’extérieur du champ politique. » Il avoue ne détester que les extrêmes car « ils sont source de populisme ».

S’il fallait lui donner une étiquette politique, il serait plutôt de gauche, « tendance sociale libérale du PS, autrement dit les anciens trotskistes qui ont viré libéraux » précise Marc Landré, rédacteur en chef Économie du Figaro qui a animé à plusieurs reprises des débats avec Patrick Levy-Waitz.

Gauche tendance libérale.

Il a été coprésident de la commission départementale d’investiture de La République en marche à Paris avec Benjamin Griveaux lors des dernières municipales. « Mais c’est parce qu’il ne sait pas dire non », confient ses proches.

Celui qui aurait dû être conseiller financier de Dominique Strauss-Kahn lors de la campagne présidentielle de 2012 est né en Alsace en 1967. Il est le petit-fils de Robert Waitz, médecin, résistant, prisonnier à Auschwitz et témoin au procès de Nuremberg. Si son identité est juive, Patrick Levy-Waitz se revendique profondément laïc.

Il a étudié les sciences politiques à l’université Panthéon-Sorbonne avant de valider une maîtrise en droit social à l’université Strasbourg III Robert Schuman. De 1986 à 1990 et parallèlement à ses études, il fut secrétaire général du European Youth Club Association, mouvement associatif national engagé pour la promotion de l’Europe auprès des jeunes générations, parrainé par Pierre Pflimlin (homme d’État français, personnalité de la IVe République) et Simone Veil. Patrick Levy-Waitz a commencé son activité professionnelle en agence de communication.

Fait peu connu, en 1990, c’est lui qui convainc François Mitterrand de descendre dans la rue pour manifester contre le racisme et l’antisémitisme, après la profanation du cimetière juif de Carpentras.

Il rejoint en 1991 le Groupe Visions, spécialisé en stratégie d’entreprise et en communication, en qualité de directeur. En 1993, il est appelé comme médiateur dans la crise du Contrat d’insertion professionnelle auprès du Premier ministre, Gouvernement Édouard Balladur.

Engagement humanitaire.

En 1995, il réussit le tour de force de mettre d’accord Arafat, Peres et Rabin le temps du premier convoi humanitaire à Gaza. « On me disait que c’était impossible. Nous l’avons fait. Il suffit d’être méthodique : respecter et écouter. L’intelligence est chez les autres. Le but est de les orchestrer pour qu’elles se complètent et produisent des résultats », décrit-il calmement.

En 1996, Patrick Levy-Waitz intègre Dynargie, un cabinet de conseil en stratégie et en management des relations humaines dont il conduit le rachat avec ses équipes en 2000 pour le développer et le fusionner, en 2005, avec le Groupe Altedia.

En 2011, Patrick Levy-Waitz conduit le rachat d’ITG, premier groupe français de portage salarial, qu’il préside aujourd’hui.

En novembre 2013, il est à l’initiative de la création de la Fondation ITG Travailler autrement qui étudie et met en avant les innovations et les transformations en matière d’emploi et d’organisation du travail. Il s’agit d’un think tank où PLW, amoureux du dialogue social, met des personnalités aux intérêts divergents autour de la table.

Il fait partie de la commission de France Stratégie chargée de « mener une réflexion sur les options envisageables » pour la réforme du compte personnel d’activité en 2015. Patrick Levy-Waitz dirige aujourd’hui Freeland Group, qui accompagne chaque année plus de 20 000 travailleurs indépendants (portage salarial, auto-entrepreneur, expert-comptable…).

Patrick Levy-Waitz est également vice-président du syndicat des professionnels de l’emploi en portage salarial et président de l’Observatoire paritaire du portage salarial.

Mission coworking.

Patrick Levy-Waitz déclare : « Mon dada est d’être utile au service de la cité. La connaissance des entreprises est mon savoir-faire. Les questions liées au travail, je les connais. » L’idée qui l’anime est de redonner du sens au sein des entreprises. Il veut faire participer les bas niveaux de l’entreprise pour créer une dynamique nécessaire. Il bouillonne littéralement en abordant le thème du télétravail : « La France est le seul pays où le salarié ne voit pas ses enfants le matin ni le soir, alors que c’est celui qui travaille le moins en Europe ! » Il fustige le patronat et les syndicats : « S’ils s’étaient posé les bonnes questions ensemble, cela fait longtemps que nous aurions abordé les temps de transports insupportables. Prenez l’exemple d’une femme qui court le matin pour emmener son enfant à la garderie et se rend, stressée, en métro, à son travail. Si l’enfant est malade, elle doit trouver un plan B qui est souvent sa mère ou la voisine. Quand on arrive déjà stressée au travail, il y a peu de chances d’éviter les psychotropes. » D’où son intérêt pour le télétravail. Même s’il ne souhaite pas que ce mode de fonctionnement soit la norme, il pense qu’il va s’imposer comme élément central du travail. La conséquence est la transformation de l’organisation des entreprises. Il plaide pour la création d’outils pour répondre à ce mode de travail à distance.

En 2018, Julien Denormandie, alors secrétaire d’État au ministère de la Cohésion des territoires lui confie, la « Mission coworking : territoires, travail, numérique ». « Cette réflexion s’inscrit dans la « démarche globale d’aménagement du territoire » du Gouvernement, qui vise à « lutter contre les fractures territoriales en matière de logement, de mobilité, de numérique et de développement économique », expliquera Julien Denormandie.

Laurent Grandguillaume caractérise l’investissement de Patrick Levy-Waitz de remarquable : « Peu de personnes l’auraient fait. À l’époque, personne ne s’intéressait à ces sujets. Non seulement il est passionné (quand il prend un sujet à bras-le-corps, même s’il n’en est pas expert, il le devient) mais également visionnaire. »

Au terme de six mois de rencontres, d’échanges avec plus de 400 acteurs (les collectivités locales, les élus, les acteurs économiques et sociaux sur tout le territoire, les acteurs de tiers-lieux), sa mission révèle les tiers-lieux, bien au-delà des espaces de travail partagés. Il remet son rapport avec 28 propositions dont six principales qui constituent l’ossature du projet. Il préconise de créer une structure nationale des tiers-lieux, porteuse des actions de soutien, et d’appuyer l’émergence de 300 fabriques des territoires. Adosser le mouvement à un fonds d’amorçage qui pourra être abondé par des fonds privés pour lancer le dispositif d’accélération est, pour lui, une nécessité. Tout comme professionnaliser le métier d’animateur des tiers-lieux est un impératif. Il prône la création d’un fonds d’investissement socialement responsable (ISR) de 50 M€ pour aider à la reconversion d’espaces en tiers-lieux. Enfin, il souhaite favoriser la coordination public-privé en encourageant la mise à disposition de locaux par les collectivités et en formant les agents publics aux tiers-lieux. Près de 2 000 tiers-lieux sont recensés en 2018. La moitié d’entre eux est située hors des grandes métropoles.

À la suite de cette mission naît l’Association France tiers-lieux qui a pour but de construire une filière professionnelle d’un nouveau genre où les acteurs de terrain et les institutions dialoguent efficacement au service du développement des tiers-lieux.

Un autre outil qu’il plébiscite, comme 32 autres personnalités (dont Benoît Hamon, Louis Gallois) est le « chèque bureau universel ». À l’instar des tickets-restaurant ou des chèques-vacances, le chèque bureau permettrait au salarié de travailler dans le bureau de proximité de son choix. Émis et financé par l’employeur, « il constituerait un droit nouveau qui remédierait aux nuisances du télétravail sans amoindrir ses bienfaits », citent les signataires de cette proposition.

De par ses fonctions en 2015, Patrick Levy-Waitz a porté la loi Portage et joué un rôle dans les négociations de l’ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015. Président d’un groupe de portage salarial, certains sont tentés de le qualifier de lobbyiste. Choqué, il répond : « Est-ce que je sais faire du lobbying ? Oui. Mais je ne suis pas lobbyiste. Sinon, on se méfierait de moi. Disons que je bouscule les conservatismes. » Il se défend : « J’essaye de produire un impact et d’être utile concrètement. Quand je suis persuadé, je mets tous les moyens en œuvre pour y arriver. Le portage répond à plus de liberté et de sécurité. »

Le rapport de Jean-Yves Frouin, remis en mars 2021, concernant le portage salarial et les travailleurs des plateformes numériques en matière de statut, de dialogue social et de droits sociaux, ne le satisfait pas. Il explicite : « Est-ce qu’il y a un rapport de subordination ? Oui. Est-ce que le portage est utile ? Oui. Il reste une question : qui va payer les 20 % de cotisations de plus ? Si ce n’est pas l’entreprise, alors cela ne sert à rien car si c’est le consommateur, il faudra augmenter le prix des prestations. Et alors, un Uber ne sera plus compétitif par rapport à un taxi. »

Juste avant l’été, Patrick Levy-Waitz a remis au Premier ministre un rapport sur les tiers-lieux issu d’une nouvelle mission confiée par les pouvoirs publics. Jean Castex voudrait en faire un objet politique. Le rapport aurait dû être largement diffusé mais les élections régionales ainsi que la crise sanitaire interminable ont décalé le sujet à une actualité plus favorable. C’est de nouveau un gros travail effectué de la part de Patrick Levy-Waitz qui aurait financé sur ses propres deniers ses déplacements. La méthodologie utilisée sort de l’ordinaire. « Dans le monde très feutré des énarques, il a détonné par son fonctionnement. Ses auditions étaient préparées. Il a effectué énormément de déplacements », confie Marc Landré. Sur la forme aussi, les destinataires du rapport devraient être surpris. « L’objet physique, son design sont inédits. Nous sommes loin d’un rapport du CESE (le Conseil économique social et environnemental). Les photos, les chiffres, la typographie, l’ordre des matières … C’est du jamais vu pour un rapport officiel. »

Très investi dans le monde éducatif et attaché à des valeurs de transmission et de savoir, il rachète des écoles privées avec des difficultés financières, sur le point de fermer. Avec un partenaire, ils sont ainsi à la tête d’un petit groupe d’écoles primaires. Dans ce business, il perd de l’argent. Décidément, Patrick Levy-Waitz ne fait rien comme tout le monde.

1986 : Secrétaire général du European Youth Club Association.

1993 : Il rejoint l’ONG Équilibre et va sur les terrains de guerre.

2000 : Il fait son entrée dans le monde de l’accompagnement des dirigeants avec le rachat de Dynargie.

2012 : Rachat d’ITG, groupe sur les enjeux de la transition professionnelle.

Auteur

  • Irène Lopez