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La sédentarité, la grande oubliée des maux du travail

Décodages | Santé au travail | publié le : 01.09.2021 | Lucie Tanneau

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La sédentarité, la grande oubliée des maux du travail

Crédit photo Lucie Tanneau

 

Depuis un an, les confinements et le télétravail ont largement renforcé la sédentarité de la population. Cette posture passive, encore mal prise en compte par les entreprises, a pourtant des effets irréparables sur la santé. Comment inciter ses collaborateurs à bouger, régulièrement, pour préserver leur corps, leurs facultés de concentration et leur performance au travail ?

Les réunions en marchant réapparaissent à intervalles réguliers sur les blogs ou les magazines de société. Souvent présentées comme farfelues, ou comme une mode venue de l’étranger et notamment du Canada, elles sont peu prises au sérieux, et peu dupliquées par les entreprises françaises. À tort. Car ces réunions mobiles cassent la sédentarité, qui caractérise le fait de rester assis, sans bouger. Nous avons tous en tête les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), qui nous répète depuis 2011 le fameux « Manger, bouger ». Pourtant, peu d’entre nous font la différence entre inactivité et sédentarité. « L’inactivité est le fait de ne pas faire de sport », rappelle Pauline Genin, chargée d’études à l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps). « Et, la sédentarité est le fait de rester en position assise (ou couchée) sans bouger », une position fixe qui a des conséquences dramatiques sur la santé. La sédentarité multiplie par deux le risque de maladie cardiovasculaire, de diabète de type 2 et d’obésité. « Une coiffeuse n’a pas un travail sédentaire, par contre elle peut être inactive si elle ne fait pas de sport. Au contraire, j’ai un travail de bureau purement sédentaire, mais je fais des exercices réguliers, pour casser cette sédentarité », explique-t-elle. « Depuis des années, les entreprises commencent à prendre conscience de l’enjeu de la pratique sportive pour le bien-être et la performance de leurs salariés et elles investissent dans des salles de sport, ou organisent des activités sportives durant la pause méridienne. Mais peu ont conscience du danger que représente la sédentarité. »

Et pourtant, la sédentarité serait responsable de 10 % des décès en Europe, selon l’Organisation mondiale de la santé.

Sans aller jusqu’au décès, « l’augmentation de la sédentarité aboutit à la diminution du bien-être », constate Cyril Forestier, enseignant chercheur à l’université du Mans, spécialiste de la psychologie des activités physiques et de l’engagement. « Les activités physiques sont des espaces de récupérations qui permettent de se régénérer », explique-t-il. « Si on diminue ces activités, cela engendre moins de récupération, une augmentation de la charge mentale et une diminution de la concentration : il y a une forte relation entre le bien-être des individus, leur énergie et leur capacité de se concentrer et d’être performant », poursuit-il. « Plus les personnes font de l’activité physique, meilleures leurs performances cognitives sont. Or, la sédentarité bloque cet effet régénérant », met-il en garde.

 

7 heures par jour en position assise.

La crise sanitaire, avec les confinements et le télétravail, a au contraire renforcé cette sédentarité. Santé Publique France a mené une étude pendant le premier confinement, de mars à mai 2020. « Durant la période de confinement la moitié de la population n’a pas atteint les recommandations d’au moins 30 minutes d’activité physique par jour et un tiers a déclaré un niveau de sédentarité élevée, passant plus de 7 heures par jour en position assise. La fréquence de rupture de sédentarité a été inférieure aux recommandations spécifiques au confinement pour 55 % des personnes interrogées » rapporte l’organisme. « En comparant à leurs pratiques d’avant le confinement, 47 % des répondants ont déclaré avoir diminué leur activité physique et 61 % avoir augmenté leur temps quotidien passé assis », complète Santé Publique France. Des données corroborées par l’Onaps. « 25 % des adultes ont augmenté le temps passé assis et 41 % leur temps passé devant les écrans », relève Paulin Genin. « Avec le télétravail, la sédentarité augmente car il supprime le trajet pour aller au travail et même si le salarié effectue ce trajet en voiture, il marche peut-être 300 mètres entre le parking et son bureau », comptabilise Pauline Genin. » Chez lui, il n’a pas ces 300 mètres pour aller s’asseoir devant son ordinateur. Et pour le déjeuner c’est la même chose, il n’a plus la nécessité de se déplacer », regrette-elle.

« On a beaucoup parlé des risques d’isolement, de dépression, de troubles musculo-squelettiques liés aux conditions de travail à domicile, pas toujours bien adaptés, mais pas du tout du risque de la sédentarité », regrette Cyril Forestier. « C’est le moment d’en parler et de réfléchir à changer les habitudes et comportements puisque l’on parle du retour au bureau », encourage-t-il. C’est ce que fait l’Amter d’Epernay, dans la Marne. L’Association médicale du travail d’Epernay et sa région a encouragé ses salariés, depuis le premier confinement pour ceux qui étaient en télétravail, à bouger. « En tant qu’employeur, c’est important de prendre soin de la santé de ses collaborateurs. Nous sommes 22 salariés dont deux femmes de ménage, et la santé est notre métier, donc je connais les risques liés à la sédentarité », raconte Jessica Jacques, directrice de l’Amter, qui a décidé de prendre les choses en main. « En télétravail j’appelle chacun des salariés pour prendre des nouvelles et je leur dis : « sors ! Même un quart d’heure. » », raconte-elle. « Pour moi c’est important d’avoir des salariés en bonne santé, cela évite aussi les arrêts de travail », anticipe-t-elle. La directrice reconnaît qu’il est plus difficile en télétravail de forcer les gens à bouger – même si elle a organisé un webinaire avec des gestes et postures d’étirements –, alors qu’au bureau, elle avait imaginé des « astuces » pour mettre les troupes en mouvements : les imprimantes ne sont pas dans les bureaux, la pause-café se fait sur la terrasse en marchant…

L’université d’Angers a aussi mis en place un challenge, en avril dernier, pour lutter contre la sédentarité de son personnel. « On a beaucoup parlé des étudiants qui ne bougeaient plus que de leur lit à leur bureau, mais nous nous sommes rendu compte que les personnels devenaient eux aussi très sédentaires », raconte Laurent Bordet, vice-président de l’université en charge de la vie des campus. L’université a donc décidé d’investir 5 000 euros dans l’application nantaise Kippling pour lancer un challenge sportif de cumul de pas. Le principe : des équipes de trois à cinq personnes (étudiants, personnels ou mixtes) tentent de faire un maximum de pas, pour devancer les autres. 180 équipes, soit plus de 800 personnes ont participé. « L’animation a duré trois semaines, et certains collègues ont pris l’habitude de venir à pied au travail. Moi, je me suis rendu compte que je faisais beaucoup de pas le matin, mais qu’après, de 9 h à 18 h en visioconférence, je ne faisais plus presque plus de pas, alors je me force à aller marcher dehors, je ne prends plus l’ascenseur, je ne prends plus ma voiture… », raconte-il. « On a aussi vu apparaître des choses rigolotes, comme des réunions en marchant, ou des gens qui passaient des appels téléphoniques en tournant autour de leur bureau » raconte-il, tandis que des chefs de service ont organisé des marches collectives pour cumuler travail et action. Le projet a été un succès qui sera certainement reconduit, histoire de remotiver tout le monde, peut-être en période de révisions pré-examens. « La suite sera aussi d’organiser une sensibilisation sur la différence entre sédentarité et inactivité », prévoit-il.

 

Seating is the new smoking.

La start-up In functionnal organise ce genre de sessions de sensibilisation depuis quelques années dans la région toulousaine. Après « avoir été passé à la moulinette pendant quinze ans par l’industrie pharmaceutique américaine », Bruno Dalla-Riva, spécialiste biomécanique, a lancé In functionnal avec Paul Marini, un ostéopathe, pour proposer des ressources aux entreprises sur le bien-être des salariés. « Les grands groupes ont des programmes santé et des salles de sport qui compensent un peu le temps de travail à rallonge qu’ils imposent, mais les entreprises manquent de ressources sur l’activité physique adaptée nécessaire pour favoriser l’engagement » dit-il. In functionnal anime donc des ateliers de prévention et des sessions adaptées, avec du yoga, de la méditation ou de la course à pied. L’enjeu pour lui, est plus important que l’augmentation de la concentration. « Des décennies de postures de bureaux abîment la posture érigée d’origine du corps et la colonne thoracique se voûte, les hanches dysfonctionnent et le corps s’effondre », met-il en garde. Il évoque l’arthrose, les douleurs chroniques et le vieillissement accéléré… Et ajoute la résultante mentale. « On n’imagine pas les problèmes causés par la simple position assise, pourtant « seating is the new smoking » (rester assis est aussi mauvais que fumer, ndlr) » affirme-t-il. « Cela commence par un mal de dos, puis cela mine le moral et ronge le quotidien avant de conduire à un arrêt de travail avec une médicamentation voire une opération », répète-il, tentant de convaincre les entreprises d’imaginer des solutions en interne pour éviter d’en arriver là.

Gonzalo Marchand, enseignant-chercheur de Lyon 1, qui intervient aussi en entreprise en prévention, imagine deux types de solutions. La méthode incitative, c’est-à-dire « modifier l’environnement pour changer les comportements ». Les photocopieurs sont éloignés des bureaux, les ascenseurs réservés aux collaborateurs des étages les plus élevés… « Comme les villes développent les pistes cyclables pour encourager la population à adopter le vélo, les entreprises peuvent motiver les collaborateurs avec des outils pour lutter contre la sédentarité, des salles de réunions debout ou des bureaux réglables, par exemple », encourage le chercheur qui préfère la deuxième méthode : la négociation collective ou la coconstruction de mesures de changements. « L’efficacité est plus importante car la discussion créée une dynamique », défend-il. « En discutant, chacun peut amener une idée et sera plus disposé à l’essayer », encourage-t-il. Il regrette aussi que la France soit réticente à faire entrer les chercheurs et des scientifiques en entreprise. « Les ergonomes ou ergothérapeutes ont pu entrer en entreprise sur la question des troubles musculo-squelettiques, il faudra faire de même sur la sédentarité car il y a beaucoup à faire du point de vue de la compréhension », encourage-t-il.

« La sédentarité ne peut pas être compensée par le sport, sauf à en faire deux heures chaque jour », reprend Paulien Genin, de l’Onaps, qui conseille donc des gestes plus simples (et moins chronophages !). Le but : modifier ses habitudes de travail pour interrompre, idéalement, toutes les demi-heures, le temps passé assis. « On peut instaurer des pauses de trois minutes entre chaque heure de réunion : au Canada, certaines entreprises ont même tracé au sol des pistes d’athlétisme dans les salles de réunion pour encourager les collaborateurs à se lever », raconte-elle. « On peut aussi déplacer la corbeille à papier près de la porte, mettre l’imprimante à l’étage du dessous, mettre des anneaux « ascenseur de secours » pour inciter à privilégier l’escalier… ». L’Onaps recommande aussi de s’étirer 5 à 10 minutes avant de s’installer à son poste de travail, de marcher de façon régulière, par exemple, pendant pour les coups de fil qui ne demandent pas de prises de notes, ou pour aller se chercher un café ou un verre d’eau. « Tout est mieux que rien, même dix minutes », encourage Paulien Genin, qui, avec ses collègues, fait des pauses debout pendant ses réunions en visioconférence. En entreprise, comme sur la plupart des sujets, la direction a un rôle de modèle à jouer. Des sociétés comme Michelin ont installé des pédaliers ou des swiss ball (ballon de gymnastique) dans certains services pour inciter leurs collaborateurs à être moins sédentaires. La CPAM de Clermont-Ferrand a aussi investi dans des vélo-bureaux. « Le but n’est pas l’activité, mais vraiment de rompre la sédentarité », répète l’Onaps. Des petits mouvements simples suffisent. C’est l’heure du café ? Et si vous alliez à la machine du premier étage, plutôt qu’au bout du couloir ?

Auteur

  • Lucie Tanneau