logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Pascal Demurger, un « marginal sécant »

Décodages | Management | publié le : 01.06.2021 | Irène Lopez

Image

Pascal Demurger, un « marginal sécant »

Crédit photo Irène Lopez

La fiche biographique de Pascal Demurger a des allures de parcours sans faute. Diplômé de l’ENA en 1996, il devient responsable du cadrage des politiques sociales de l’ensemble du secteur public, à Bercy, ministère qu’il quitte en 2002 pour intégrer la Maif. Des postes successifs le font grimper jusqu’à la direction générale en 2009 du groupe mutualiste. Il y a six ans, il a engagé l’entreprise dans un changement culturel profond, de nouvelles pratiques managériales basées sur la confiance « a priori ».

Sur Internet, la liste de ses distinctions n’en finit pas. Pascal Demurger a été, notament, élu en 2014 personnalité de l’année par les Trophées de l’assurance, puis, à nouveau, en 2019, quelques mois après la parution d’un livre engagé exposant ses convictions de chef d’entreprise et son expérience d’une dizaine d’années à la tête de la Maif (« L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus », aux éditions de l’Aube). Il a également reçu plusieurs prix, dont celui d’Assureur de l’année en 2016. Un CV de gendre parfait. La formule le fait sourire : « Parlez-en à ma belle-mère ». Et si, pour sauver le monde, il fallait d’urgence repenser l’entreprise ? C’est la conviction que Pascal Demurger expose dans son livre. Une conviction partagée par Nicolas Hulot qui écrit, dans la préface, « oui, changer le monde passe aussi par l’entreprise ».

Sur le site de son éditeur, le directeur général de la Maif a rédigé son ambition, « celle d’inviter le lecteur à se projeter dans un monde aux antipodes du nôtre et qui, pourtant, est déjà en train d’éclore. Un monde auquel les entreprises, assumant leur responsabilité politique, contribueraient positivement, au-delà de leur seul apport économique. Ce n’est pas un monde idéalisé, une utopie inaccessible. Je le sais, car j’ai la chance de diriger une entreprise qui en fait partie. D’ailleurs, ni ma nature ni mes fonctions ne me portent à la rêverie ou à l’idéologie. Mais mon souhait est de témoigner, et plus encore de convaincre. Témoigner, car je mesure combien une entreprise peut servir le bien commun et combien cette contribution peut nourrir sa propre performance. Convaincre, car si ce qui est bon pour l’entreprise est bon pour le monde, alors il y a urgence à généraliser ce modèle. »

À travers les pages, affleure un hommage à la Maif. Son entreprise. Professionnellement, Pascal Demurger se définit comme un « dirigeant d’un grand groupe essayant de faire les choses de la façon la plus harmonieuse possible, en essayant, systématiquement, de rechercher un alignement des intérêts des uns et des autres ». Un goût du travail venu sur le tard. Lycéen, il suit les cours en dilettante. Encouragé par un professeur (« Pascal, tu es en train de gâcher ton avenir ») et par l’envie d’épater son père (« Papa, quelle est l’école la plus difficile à faire ? »), il s’inscrit en classe préparatoire, puis décroche le concours de l’ENA, dans la même promotion que Frédéric Mion, l’ancien patron de Sciences Po ou qu’Emmanuel Moulin, ex-directeur du cabinet de Bruno Le Maire.

Il mène sa carrière de haut fonctionnaire à Bercy quand une chasseuse de têtes le contacte pour un poste de DRH qui « pourrait l’intéresser à la Maif ». Mais il y a erreur de casting. Il ne souhaite pas se frotter aux ressources humaines. Qu’à cela ne tienne, un mois plus tard, le recruteur de la Maif revient avec une proposition différente : « Cela nous intéresse de vous recruter et de vous garantir un parcours chez nous ». Il entame donc, en 2002, son parcours dans le groupe mutualiste comme directeur général d’une filiale d’assurance. On lui confie des fonctions transverses qui lui permettent de s’immerger dans le métier de l’assurance. Trois ans plus tard, il est nommé à la direction générale du développement, puis succède ensuite au directeur général, parti à la retraite en 2009.

Pascal Demurger se décrit aussi comme un patron heureux : « Diriger une entreprise, décider de son avenir, de sa trajectoire, avoir une relation particulière avec des milliers de personnes… Ajoutez à cela un vrai beau projet, pas seulement une ambition business, et cela devient carrément génial ». Françoise Mercadal-Delasalles, la directrice générale du Crédit du Nord, une amie de vingt ans, le décrit comme un homme fidèle à ses objectifs et ses valeurs, qui donne du sens à ses actions.

Bienveillant et exigeant.

Le « beau projet » que Pascal Demurger a imaginé pour la Maif, il a commencé à le mettre en œuvre il y a six ans. Il repose sur un changement culturel profond : le management par la confiance. Exit le manager qui donne des ordres, surveille l’exécution et sanctionne (positivement ou négativement).

« Nous ne sommes pas simplement dans une relation transactionnelle du type « je loue ma capacité de travail contre rémunération ». Nous devons trouver du sens à ce que nous faisons, avoir une légitime fierté à notre contribution, participer à quelque chose de plus grand que nous », résume le directeur général. Dont acte. Un cadre de travail entoure le collaborateur, qui dispose de marges de manœuvre et de responsabilités plus importantes. Le gestionnaire de sinistre, par exemple, est responsable du temps qu’il consacre aux sociétaires, en opposition à une logique de productivité définie par un temps moyen et maximal ainsi qu’un nombre d’appels par jour.

Dans les relations quotidiennes, la bienveillance et l’attention portée à l’autre sont de mise, toujours alliées à l’exigence. Il en résulte davantage d’épanouissement dans le travail et infiniment plus de motivation et d’engagement de la part de tous. Cela s’est vérifié au mois de mars 2020, lors de l’annonce du premier confinement. Près de 4 000 ordinateurs portables ont été livrés chez les collaborateurs qui n’en avaient pas, pour qu’ils travaillent à distance. Certains PC ont été livrés, partout dans l’Hexagone, par d’autres salariés, parfois en camping-car, débrouillardise oblige.

Acteur qui fait bouger l’entreprise.

Il y a quelques années, le directeur général a imposé la suppression définitive des bonus pour les commerciaux, y compris les conseillers patrimoniaux. Une décision qui n’a pas plu à son équipe de direction. « Arrête Pascal, tu es fou. Tu vas trop loin ». Lui s’en explique : « Je voulais créer une relation client différente, dans l’intérêt de nos sociétaires et pas l’intérêt immédiat de la société. Nous conseillons nos sociétaires dans le sens réel de leurs intérêts ». Si les commerciaux ont adhéré à ce changement de paradigme, cela a été plus difficile pour les conseillers patrimoniaux. Finalement, un seul a décidé de partir.

Les retours du corps social sont positifs. Les 8 000 collaborateurs de l’entreprise lui remontent, à une très large majorité, une grande reconnaissance et une fierté de travailler à la Maif. Martin Richer, consultant en responsabilité sociale des entreprises, le décrit comme un « marginal sécant », c’est-à-dire un acteur qui fait bouger l’entreprise, qui veut la voir faire évoluer ses interactions avec ses salariés, ses managers, ses fournisseurs et plus largement son « écosystème », selon la définition du sociologue Michel Crozier.

Il s’enorgueillit, en tout cas, d’avoir une relation d’immense fidélité avec ses collaborateurs au moment où les dirigeants, en France, sont de plus en plus critiqués. Il se souvient d’une salariée qu’il a croisée un jour dans un couloir du siège et qui lui a dit la chose suivante : « Monsieur Demurger, je travaille à la comptabilité depuis quarante ans. J’ai 62 ans et je devrais être partie à la retraite il y a plusieurs mois, mais je reste car je veux voir le résultat des transformations que vous opérez. »

Écolo avant l’heure.

Cette relation avec les troupes de la Maif n’a pas toujours été aussi idyllique, notamment avec les représentants du personnel. Le directeur général a même récolté un droit d’alerte par le comité d’entreprise. « Quand j’ai pris mes fonctions de DG il y a douze ans, je ne dirigeais pas l’entreprise de la même façon qu’aujourd’hui. J’étais un manager classique, autoritaire, presque froid », confie Pascal Demurger. Aujourd’hui, il estime avoir beaucoup évolué, être moins autoritaire. Le secrétaire du CE, syndiqué CGT, lui a avoué : « Nous avons souvent été en désaccord. Mais nous vous faisons confiance. Votre projet est bon. Vous souhaitez le mener à bien. Nous avons décidé de vous soutenir. »

Certaines critiques pouvaient aussi venir de l’extérieur de l’entreprise, notamment quand il a décidé de rembourser, il y a un an, une partie de la prime auto en restituant ainsi aux sociétaires une partie des économies générées par la chute des sinistres, confinement oblige. Une mesure qui s’est chiffrée à 100 millions d’euros. Ses collègues assureurs lui en tiennent toujours rigueur. « Les gens ne comprennent pas que l’on prenne une décision sans intérêt derrière », commente-t-il.

Écologiste avant l’heure même s’il s’en défend, il avoue avoir pris conscience de la prégnance et de l’importance des sujets environnementaux quand ses deux aînés sont devenus adolescents. « Quand j’ai compris le monde dans lequel ils voulaient évoluer, j’ai voulu changer les choses ». La Maif soutient, entre autres, la Fondation Yann Artus Bertrand. Le célèbre photographe et réalisateur ne tarit pas d’éloges, lui non plus : « C’est quelqu’un de bien, qui possède une vision très humaniste. Nous sommes un peu de la même famille, nous parlons le même langage. »

En 2018, Pascal Demurger a présenté un nouveau plan stratégique pour la période 2019-2022, intitulé « Engagés pour demain ». Il vise à orienter l’activité et les projets de la Maif en prenant d’abord en considération les impacts sur les parties prenantes de l’entreprise, sur la société et sur l’environnement.

En 2019, à rebours d’une partie du patronat, il soutient le principe de la « société à mission », née de la loi Pacte. Cette dernière permet aux sociétés qui le souhaitent de faire entrer des objectifs sociétaux et environnementaux dans leur objet social. Pour Pascal Demurger, éthique et performance ne s’opposent pas. Au mois de juillet 2020, la Maif devient officiellement une société à mission et s’engage à « placer l’intérêt de (ses) sociétaires au cœur de (ses) activités », « favoriser l’épanouissement de (ses) acteurs internes par une attention sincère au sein d’un collectif engagé », « contribuer à la construction d’une société plus solidaire », « contribuer à la transition écologique » et « promouvoir le développement de modèles d’entreprises engagées dans la recherche d’impacts positifs ».

Cette philosophie n’a rien de nouveau puisqu’elle est le résultat des valeurs que Pascal Demurger a instillées dans l’entreprise. Pourquoi l’acter maintenant ? Il répond : « Pour rendre la démarche irréversible ». « Un énarque formé à Bercy, qui fait ce qu’il a fait, ce n’est pas banal. Même si une entreprise comme la Maif est plus réceptive à l’innovation sociale que le CAC 40. Aurait-il pu en faire autant dans une entreprise du CAC 40 ? », s’interroge Martin Richer ? La réponse est probablement contenue dans la question…

Dates

1996. Sort diplômé de l’ENA (promotion Victor Schoelcher)

2002. Quitte Bercy pour la Maif

2009. Devient directeur général de la Maif

2018. Lance un nouveau plan stratégique 2019-2022 « Engagés pour demain »

2019. Publie « L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus », aux éditions de l’Aube

Juillet 2020. La Maif devient entreprise à mission.

Auteur

  • Irène Lopez