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Comment peut évoluer la représentativité des syndicats ?

Idées | Débat | publié le : 01.05.2021 |

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Comment peut évoluer la représentativité des syndicats ?

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Du 22 mars au 4 avril 2021, quelque cinq millions de salariés des entreprises de moins de onze personnes, d’employés à domicile et d’apprentis de plus de 16 ans étaient invités à voter pour le syndicat de leur choix, afin d’être représentés. Les résultats de ces élections ont été publiés le 16 avril, et la mesure de l’audience nationale interprofessionnelle, connue le 31 mai. Au-delà de la participation, tombée cette année à 5,4 %, la question centrale, alors que la CFDT espère réduire l’écart dans les TPE avec la CGT, se pose en ces termes.

Jean Grosset Directeur de l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès.

Réfléchir à la représentativité syndicale, c’est parler d’acteurs indispensables pour le dialogue social. Pour ceux qui en douteraient, les rapports de l’organisation internationale du travail rappellent que dans les pays sans liberté syndicale, il n’y a pas de droit, pas de contrat, pas de protection sociale. Le mouvement syndical français garde encore une représentativité incontestable dans certains secteurs, mais il faut regarder l’ensemble du salariat, et notamment les travailleurs les plus fragiles, avec les contrats les plus précaires. Selon les données disponibles, on peut estimer l’adhésion syndicale, tous syndicats confondus, à quelque 2,5 millions de salariés en France, dans le public et le privé, soit 11 % du salariat. Donner ces chiffres ne vise pas à décrédibiliser l’action syndicale, mais à observer lucidement la situation. Si l’on peut se rassurer en soulignant que le syndicalisme y a toujours été plus faible numériquement que dans d’autres pays, on évacue une discussion sur les difficultés actuelles du syndicalisme. Analyser objectivement l’implantation syndicale, ses avancées ou ses reculs, matérialisées par les suffrages des salariés, revient à s’interroger sur les pratiques et l’utilité syndicales. L’attitude antisyndicale de certains employeurs n’explique pas tout. Même si la situation actuelle pousse plutôt à l’individualisme, lorsque les salariés considèrent une action utile, ils la soutiennent. Il faut donc davantage réfléchir à comment, dans les entreprises, associer un maximum de salariés dans la négociation des accords collectifs les concernant. Car c’est une démonstration concrète de l’utilité syndicale. Celles et ceux qui mènent ces actions doivent avoir la formation pour le faire et leurs actions être reconnues dans leur parcours professionnel. Quant aux très petites entreprises, leurs salariés restent très loin des organisations syndicales. Renseigner ces salariés sur leurs droits, faire en sorte qu’ils bénéficient eux aussi des œuvres sociales ou culturelles, leur fournir une assistance juridique liée à l’adhésion est une tâche lourde, mais c’est un service syndical indispensable.

Dominique Andolfatto Professeur à l’université de Bourgogne, auteur de « La démocratie sociale en tension », (Presses universitaires du Septentrion, 2018) et de « Anatomie du syndicalisme » (Presses universitaires de Grenoble, juin 2021).

Sauf extraordinaire, l’élection des TPE ne renseignera guère sur l’évolution de la représentativité des syndicats. Pourquoi ? Parce que les salariés des TPE ont très largement ignoré, sinon boycotté ce scrutin lors des deux précédentes consultations en 2012 et 2017, avec tour à tour 10 % puis 7 % de participants. Une bérézina ! Malgré tout, l’administration du Travail, qui a créé de toute pièce un scrutin connecté à aucune institution représentative (si ce ne sont de lointaines et assez mystérieuses commissions paritaires régionales, ou CPRI…) persiste dans l’organisation de ces élections sur sigle syndical. Cependant, malgré un dossier de presse de 22 pages, cette même administration éprouve bien des difficultés à expliquer à quoi sert ce scrutin. Des élections pour être « représentés » est-il-dit. Mais cette évidence peut-elle suffire ? Des élections pour être « défendus ». Manifestement, les intéressés ne voient pas comment, même en connectant indirectement le scrutin avec les conseils de prud’hommes. Des élections pour être « conseillés ». Mais par qui et comment précisément, sauf à évoquer bien sûr les CPRI en fait inconnues des salariés, lesquels, au passage, ne désignent même pas les membres de cette institution ? Bref, une élection bien abstraite, qui, jusque-là, a suscité l’indifférence. Certes, on pourrait faire le pari, en lien avec le boom de l’e-commerce favorisé par la crise sanitaire, que beaucoup plus d’électeurs se résolvent à jouer le jeu du vote par Internet, le seul possible pour ce scrutin. Mais il faudrait que la participation soit multipliée par 8 ou 9 par rapport à 2017 pour que les audiences syndicales aient vraiment un sens. Sinon, comme lors des élections dans le collège salarié des chambres d’agriculture de 2019, organisées par correspondance et électroniquement, on peut craindre une nouvelle déroute. Pour autant, ce sont moins les syndicats qui sont en cause qu’une procédure hermétique qui, contrairement aux affirmations de ses promoteurs, ne contribue pas à la légitimité syndicale mais tend plutôt à lui nuire.

Fleur Laronze Maîtresse de conférences HDR en droit social, université de Strasbourg.

Certaines formes d’emplois ont fait surgir de « nouveaux » salariés, comme les entrepreneurs salariés d’une coopérative (reconnus par la loi sur l’ESS) ou les travailleurs recourant à une plateforme collaborative de type Uber. Mais la représentativité syndicale est encore adossée à l’entreprise structurée sous la forme d’une société capitaliste. Des mécanismes existent sans qu’une nouvelle réforme apparaisse nécessaire. La loi du 5 juillet 2010 sur la rénovation du dialogue social dans la fonction publique ne fixe aux organisations syndicales aucun seuil à respecter pour être représentatives. Il serait possible de dessiner un système d’élection tel qu’il est mis en place dans les TPE actuellement, élargi à toutes les entreprises du secteur privé sans exiger un score électoral minimum. Également, on peut envisager de restaurer le double canal de représentation du personnel propre au droit du travail français. Si les membres élus du personnel représentent les salariés pour contribuer à l’amélioration de leurs conditions de travail, les syndicats peuvent apparaître plus forts dans les instances de direction en participant à la gestion économique de l’entreprise. Les administrateurs salariés qui siègent dans les conseils d’administration sont soutenus et formés par les syndicats et, depuis la loi du 14 juin 2013, peuvent être désignés par les organisations syndicales représentatives. Outre les lieux à investir, ne faudrait-il pas envisager un réalignement des critères de reconnaissance des syndicats au regard des pouvoirs qui leur sont attribués ? Ils sont encore aujourd’hui les plus outillés pour exprimer les intérêts spécifiques à un secteur d’activité ou d’une population salariée en grande précarité. Avec la montée en puissance de l’aspiration individuelle à l’autonomie prenant des visages multiples (intrapreneuriat, portage salarial, travail à temps partagé…), les travailleurs mettent à l’épreuve le rôle classiquement assigné au syndicat. Leur repositionnement s’impose pour reconstituer la collectivité du travail à l’ère du numérique et de la Covid-19. Et le législateur les y invite en permettant à des collectifs de travailleurs de plateformes d’être admis à la représentativité.

En chiffres

13,01 %

C’est le score enregistré par FO en 2017 lors du précédent scrutin dans les TPE, contre 15,25 % en 2012. L’Unsa, quant à elle, avait fait un bond de cinq points, à 12,49 %.

8 %

À part la CFDT, le premier syndicat dans le privé, FO (15,60 %), la CFE-CGC (10,69 %) et la CFTC (9,48 %) avaient toutes trois passé la barre des 8 % en 2017.

Ce qu’il faut retenir

// Une élection primordiale… Depuis la loi du 20 août 2008, la représentativité des syndicats de salariés du privé en France repose sur les élections dans les entreprises, ainsi que sur les suffrages obtenus par les syndicats dans les élections pour les salariés des très petites entreprises. L’audience des syndicats dans le privé est calculée tous les quatre ans en additionnant les suffrages exprimés dans le cadre des élections des comités sociaux et économiques (CSE) présents dans les entreprises de plus de onze salariés, les suffrages des salariés agricoles, et les suffrages des salariés des TPE. Selon le Gouvernement, qui vante un scrutin simple, rapide et confidentiel, en ligne ou par correspondance, l’élection dans les TPE est primordiale. « Vous pourriez penser que la crise sanitaire n’est guère propice à cette élection. C’est tout le contraire. Cette crise concerne directement votre emploi, vos conditions de travail et vos salaires et vous devez faire entendre votre voix », a insisté le président du Haut Conseil du dialogue social, Jean-Denis Combrexelle, dans le dossier de presse du ministère du Travail. Le scrutin a pour principale finalité de parachever la mesure de l’audience des syndicats au niveau interprofessionnel et dans les branches. À cet égard, l’enjeu principal pourrait être la représentativité des syndicats dans les branches, notamment celles où les salariés de TPE sont majoritaires. Les syndicats représentatifs (plus de 8 % des suffrages) peuvent négocier des accords, désigner des conseillers aux prud’hommes et des représentants dans les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI). Ces dernières assurent depuis 2015 une mission de conseil et de médiation auprès des salariés et employeurs des TPE.

// … Mais boudée quand même Sur fond de crise sanitaire et économique, avec, entre télétravail et couvre-feu, des difficultés à faire campagne, les centrales se sont inquiétées d’une désaffection record. Déjà, la participation a été très faible lors des deux précédentes éditions : 10,38 % en 2012 et 7,35 % en 2017. En 2017, la CGT avait remporté le scrutin dans les TPE, recueillant 25,12 % des voix (contre 29,54 % en 2012), suivie par la CFDT avec 15,49 % (19,26 % en 2012). Ce qui n’avait pas empêché la CFDT de devenir – fait historique – le premier syndicat dans le privé, recueillant au total 26,39 % des suffrages devant la CGT (24,85 %). Dans la presse, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a déclaré espérer que la confédération conserve sa place de numéro un. Philippe Martinez, son homologue à la CGT, admet que la CFDT est « plus implantée dans les entreprises ». Un handicap qu’il juge difficile à combler…