logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

À la Caisse des dépôts et consignations, le dialogue social fut bon…

À la une | publié le : 01.05.2021 | Lucie Tanneau

Image

À la Caisse des dépôts et consignations, le dialogue social fut bon…

Crédit photo Lucie Tanneau

La CDC a longtemps fait figure de bon exemple du dialogue social au sein des grands corps publics. Une première crise en 2008 a écorné le mythe. Depuis cinq ans, les syndicats regrettent une nouvelle dégradation de l’écoute, accentuée par la crise de la Covid-19. Le nombre d’accords signés reste élevé, mais « c’est du quantitatif, pas du qualitatif », dénoncent certaines parties prenantes.

« Lettre ouverte à Éric Lombard, directeur général de la CDC. Alerte : forte dégradation du dialogue social ! » Le courrier rédigé par l’intersyndicale de la Caisse des dépôts et consignations à leur directeur général le 17 février 2020 ne laisse pas la place au doute : le dialogue social vit quelques tribulations au sein de l’établissement public financier et social. « Quelques exemples parmi les dérives observées : refus de négocier l’octroi d’une prime pour les personnels, cadres et non-cadres, avec un montant plus élevé pour les bas salaires ; remise en cause sournoise des règles d’attribution de la PVO, particulièrement pour l’encadrement ; échec des négociations NAO des salariés de l’Établissement public ; simulacre de négociation sur la QVT… », énumèrent les syndicats dans leur missive, aux allures de missile.

L’intersyndicale avait même prévu une éventuelle journée de grève, le 24 mars 2020, tombée à l’eau en raison du confinement. Qu’en est-il depuis ?

Pour le DRH, Paul Penny, le dialogue social peut se mesurer à l’aide d’indicateurs. « Si je regarde ce qu’on arrive à produire comme accords, au-delà des discussions, des divergences, parfois des “fâcheries”, ma réponse est que le dialogue social fonctionne, commence-t-il. En règle générale, on parvient à un accord sur l’ensemble des thèmes mis en négociation, excepté les NAO qui n’aboutissent pas depuis des années. Je n’ai qu’un seul exemple sur lequel nous n’avons pas abouti à la signature d’un accord, c’est un avenant sur le temps de travail résultant de l’accord QVT de 2020. Même si ce n’est pas facile tous les jours, quand on discute, on y arrive, note-il. Sur l’emploi, la mobilité, l’égalité professionnelle, le handicap, le télétravail… nous avons eu des accords majoritaires voire unanimes. » Ainsi, depuis 2015, plus de 50 accords et avenants ont été signés, « dont 25 % à l’unanimité », souligne le DRH.

Une quantité d’accords que ne contestent pas les représentants syndicaux. « Cinq accords signés en 2020 ce n’est pas rien. Et deux en janvier 2021, avec le taux d’intéressement qui est passé de 7,25 à 7,75 % et des frais de télétravail remboursés, on a eu de vraies avancées », accorde Salomé Vaillant, déléguée syndicale groupe de l’Unsa. « Mais quantité ne veut pas dire qualité : le dialogue social ne se limite pas à un nombre d’accords et de réunions pour lesquels, c’est clair, nous sommes les champions du monde, réagit Éric Boubet, secrétaire général SNUP-FSU. Depuis l’arrivée d’Éric Lombard (en décembre 2017) on constate une dégradation de cette belle maison qui avait réellement par le passé une richesse au niveau du dialogue social », regrette-il. Certains de ses homologues font remonter cette détérioration à 2016, ou, affirme Boris Vignault, de la CGT, à « la nomination de Paul Penny » en 2015, « avec sûrement des consignes de détruire le modèle social ! »

En 2008, la maison avait déjà connu des semaines de blocage du dialogue suite au refus de la direction d’accéder à la demande intersyndicale d’une prime pour tous, après les résultats des années précédentes (plus de 2 milliards d’euros en 2005 et en 2006). La situation n’en est pas là aujourd’hui, mais les syndicats paraissent crispés. « La qualité, ce n’est pas répondre favorablement à toutes nos demandes, mais lorsque c’est exactement l’inverse, cela pose question », pointe Éric Boubet (SNUP-FSU). « Aujourd’hui, et cela s’est renforcé depuis un an, je crains que ne disparaisse la culture d’entreprise », alerte-il.

Cette culture d’entreprise passe par des symboles sociaux… que la direction tenterait de « détruire », selon certaines organisations syndicales. En tête des préoccupations… le chalet de Courchevel, propriété de la CDC depuis 60 ans, qu’Éric Lombard a annoncé mettre en vente « sans concertation ». « Courchevel est vraiment un point de blocage », confirme Valérie Bonneau, de l’UNSA. « On serait ostentatoire avec ces soi-disant privilèges. Par rapport à une image extérieure et à la crise, la direction voudrait réduire cette offre sociale », regrette-elle. « On a recueilli 1 800 signatures par pétition malgré le télétravail, mais la direction ne veut rien entendre sur ce sujet, pour nous c’est un signe », renchérit Salomé Vaillant (UNSA). D’autres citent le changement de mutuelle ou la disparition d’associations (sportive, culturelle ou… de ventes de biscuits) comme des marqueurs. « Les anciens directeurs étaient plus à l’écoute, désormais on voit que le social n’est pas la priorité », regrette Salomé Vaillant.

Aux yeux des observateurs, la Caisse des dépôts et consignations a longtemps fait figure d’exception parmi les grands corps publics sur le dialogue social. « Depuis trente ans, tous les patrons et DRH ont essayé d’être des éclaireurs, les Davy Crockett de la Fonction publique. On a eu un accord de rupture conventionnelle mixte un an avant la loi, un accord d’intéressement pour les statuts publics et privés… », retrace Patrick Borel, 33 ans de maison, qui a connu sept directeurs généraux et cinq intérimaires. Si sa collègue Béatrice de Ketelaere, déléguée CFDT au sein du CUEP et du comité de groupe, confirme ce statut de précurseur, elle l’appelle autrement : « On était les souris de laboratoire », avance-t-elle.

Tous les deux font le parallèle entre le fonctionnement actuel de l’État et l’entreprise. « Comme en politique, il est important de ne pas oublier les corps intermédiaires, il devrait en être de même à la CDC », souhaite Béatrice de Ketelaere. Avec la mise en place de « Lombard répond à vos questions » depuis deux ans, la proposition d’un dialogue direct avec les salariés, la direction « squeeze » les représentants du personnel, selon la CFDT. Pour eux, l’éclatement géographique du groupe (sans parler du probable déménagement Ivry-sur-Seine, que les syndicats craignent de se voir imposer sans concertation) et la perte de l’activité bancaire forte a aussi affaibli les syndicats en leur ôtant des moyens de pression. « Il faut un rapport de force minimal pour que la coconstruction soit possible. Il n’existe plus », regrette Patrick Borel. « Les actions collectives attirent moins, et surtout on n’a plus de salle de marché, donc on ne peut plus l’envahir ! » ironise Béatrice de Ketelaere.

Une boutade qui en dit long sur le ressentiment des délégués du personnel. Si Paul Penny, le DRH, soulignait le nombre d’accords conclus pour signifier la vigueur du dialogue social, eux pointent du doigt un autre indicateur : la qualité des documents transmis pas la direction des ressources humaines. « Quand on reçoit des documents de 80 pages la veille d’une négociation, c’est le signe qu’il y a des améliorations à faire », commence Patrick Borel. « Certains PowerPoint manquent parfois de chiffres, et lorsque l’on multiplie les réunions, qui durent de plus en plus longtemps avec des documents reçus la veille… franchement les conditions sont de plus en plus compliquées et fatigantes », accorde Salomé Vaillant (UNSA). « On ne licencie pas les syndicalistes, c’est vrai, mais tant de discussions et de réunions, je ne pense pas que ce soit utile », reprend Boris Vigneault (CGT), qui annonce l’ouverture d’actions en justice pour des problèmes de conformité d’envoi des documents en amont des négociations de l’avenant télétravail.

Plus que la forme, une question de fond tend aussi les relations entre les parties prenantes, en 2021. « Reconduire dans sa forme antérieure un accord-cadre ? C’est un sujet de tension cette année », reconnaît Paul Penny. « Les partenaires sociaux sont attachés à cet accord-cadre traitant historiquement d’une grande diversité de sujets, allant de l’emploi à l’action sociale, en passant par la mobilité ou la parentalité. Pour ma part, je relève qu’au fil du temps, des accords thématiques dédiés ont pris leur place tels que la qualité de vie au travail, et il me paraîtrait pertinent de recentrer la négociation “cadre” sur l’emploi, les compétences et les parcours. Je n’en comprends pas moins l’attachement des organisations syndicales à ce que représente, culturellement, un tel accord. Nous allons en rediscuter », avance le DRH, qui marche sur des œufs. Tous les OS sont, en effet, vent debout. « Le DRH veut rebaptiser l’accord-cadre, or accord-cadre et intéressement sont pour nous les signes que le dialogue social est maintenu, prévient Salomé Vaillant. Sur l’accord-cadre, on sent la bascule : c’est sûrement la ligne du DG, ça se durcit », regrette-elle.

Dans cette situation tendue, le double statut public et privé qui coexiste au sein du groupe est pour certains une chance de tirer tous les agents vers le haut, et pour d’autres un point qui complique les négociations, avec des règles très cadrées pour le public qui freine la négociation globale. « Nous sommes la seule institution relevant de la fonction publique habilitée à signer des accords de “plein exercice” concernant à la fois nos fonctionnaires et nos salariés de droit privé », souligne Paul Penny. « C’est une disposition légale spécifique qui nous permet de négocier », se réjouit-il, soulignant que sur le télétravail, par exemple, la maison a créé « en cohérence avec le cadre national » un « droit local, cousu main ». « Sur les rémunérations, c’est plus compliqué, car il y a des obligations statutaires avec des limites infranchissables de la fonction publique sur lesquelles nous n’avons pas de levier. Cela crée des négociations dissymétriques, car les engagements ne peuvent être les mêmes pour le public ou le privé, et compliquent nécessairement le dialogue social », reconnaît le DRH qui tente, malgré cela, dans la majorité des cas de conclure des accords communs. Patrick Borel évoque un « nivellement par le bas », qui n’est pas le seul fait de la direction… « Les salariés utilisent les syndicats comme des associations de consommateurs et ne viennent nous voir que pour négocier leur départ », dénonce cette dernière. Patrick Borel regrette aussi que les syndicats signent les accords répondants aux attentes des collaborateurs mais soient de moins en moins force de proposition.

Une remarque qui met en lumière une caractéristique du dialogue social à la Caisse des dépôts et consignations : le nombre élevé de représentants syndicats… et leur mésentente. « Les négociations, ce sont 30 personnes autour de la table : la direction et cinq représentants des cinq organisations syndicales représentatives » décrit Salomé Vaillant. « Avec d’un côté les réformateurs, l’UNSA, la CFDT, et la CGC et de l’autre les tribunitiens, la CGT et le SNUP-FSU » schématise Patrick Borel. Et de chaque côté de la table des négociations, « l’envie un peu narcissique d’avoir le micro et de faire durer les interventions », taquine-t-il. « Les cinq syndicats sont de plus en plus divisés », admet Éric Boubet. La lettre ouverte envoyée à Éric Lombard en février dernier était donc un exceptionnel consensus. En décembre, l’intersyndicale s’est aussi retrouvée pour marquer son opposition à la sortie du Comité unique de l’Établissement public (CUEP)1, une instance maison créée en 2018 et composée de commissions spéciales chargées d’examiner les questions qui lui sont soumises, comprenant notamment une commission des personnels publics et une commission des salariés, instance qui hébergé aussi le Comité santé sécurité conditions de travail (CSSCT).

Tous s’accordent aussi sur le fait que la crise liée à la Covid-19 complique le dialogue social. « Les réunions en présentiel n’existent quasiment plus, cela dénature le dialogue social car il n’y a plus d’humanité », regrette Éric Boubet. « Les aspects liés à la crise sanitaire sont bien gérés », reconnaît Valérie Bonneau, « mais il manque le langage corporel indispensable à un bon dialogue, et il y a moins d’écoute derrière un écran », regrette Salomé Vaillant. « C’est vrai que ce n’est pas confortable, mais cela ne freine pas les discussions et ce n’est pas handicapant », nuance Paul Penny. « On ne va pas noircir le tableau, des accords ont été signés et ils permettent d’améliorer le quotidien des gens, ce qui est le but premier des syndicats. Le dialogue social à la CDC pourrait néanmoins être conduit par la direction de manière plus constructive, en évitant le nivellement sur le moins-disant de chacun des deux statuts », résume Patrick Borel, qui aimerait retrouver l’esprit pionnier des Davy Crockett.

(1) Le décret n° 2018-449 du 5 juin 2018 relatif aux instances de concertation propres à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est paru au JO le 6 juin 2018. Il met en place la CUEP avec son CSSCT, trois commissions locales uniques, et une Délégation des personnels privés (DPP) chargée des compétences des anciens Délégués du personnel.

Auteur

  • Lucie Tanneau