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Être ou ne pas être le salarié idéal ?

Idées | Recherche | publié le : 01.01.2021 |

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Être ou ne pas être le salarié idéal ?

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Le salarié idéal existe-t-il ? Telle est la question sous-jacente à laquelle trois enseignants-chercheurs ont tenté de répondre à travers une étude menée auprès d’une quarantaine de salariés, à partir d’un questionnaire. Huit profils correspondant à autant de savoirs-être ont ainsi été identifiés. Il en ressort que le salarié idéal est, d’abord, celui qui s’adapte aux exigences attendues par l’entreprise ou par l’organisation.

Nous avons considéré que le salarié idéal existait… dans l’esprit des recruteurs, des managers et des DRH. Cet idéal a été mesuré par Pasquier (2011) qui avait demandé à un panel de 50 DRH de répondre à un questionnaire de personnalité de type « Big 5 – modèle à cinq dimensions » en se mettant dans la peau de ce salarié. Il en ressortait un profil sociable, ouvert, aimable, consciencieux et émotionnellement stable.

Nous avons demandé à 45 salariés de remplir le même document que les DRH interrogés par Pasquier (2011) : un questionnaire autodescriptif de type Q-Isat consistant à classer 100 adjectifs en lien avec les dimensions du « Big 5 », du plus ressemblant au moins ressemblant. Ce questionnaire a été donné à deux reprises : une première fois, avec la consigne de répondre « en toute sincérité », une seconde fois, avec pour indication de répondre « en donnant la meilleure image ». En comparant les réponses de participants à celles des DRH, nous avons pu établir s’ils étaient proches du salarié idéal, puis s’ils étaient capables d’en identifier les caractéristiques. Nous leur avons ensuite posé trois questions ouvertes : « Pensez-vous correspondre au salarié idéal ? » ; « Faites-vous des efforts pour correspondre au salarié idéal ? » ; « Pensez-vous que l’on puisse être soi-même au travail ? ». Les participants disposaient de vingt minutes par question pour répondre par écrit, soit une heure au total.

En combinant ces données quantitatives et qualitatives, nous avons identifié huit profils correspondant à autant de savoirs-être.

Les challengers

« Le salarié idéal veut toujours apprendre et s’épanouir dans son travail ». « Beaucoup d’autonomie, de l’empathie de la part de mon manager, un contexte où la routine n’existe pas trop et où ma performance est reconnue financièrement. Quand l’une de ces conditions n’est pas remplie, je peux devenir beaucoup moins idéal. »

Les challengers ont une bonne perception du salarié idéal et se reconnaissent en lui. Ils retrouvent en lui leur propre conception de la réussite. Cependant, leur volonté de coopérer reste conditionnelle, elle dépend de la compatibilité des demandes de l’entreprise avec leurs propres intérêts et valeurs.

Les super-adaptatifs

« Il est difficile de correspondre à un salarié idéal, car chaque employeur en aura sa propre idée. Je pense que j’essaie de m’en rapprocher en répondant aux attentes de mon employeur. » « Je m’adapte aux personnalités afin de travailler en équipe et être plus productif. »

Les super-adaptatifs perçoivent également le salarié idéal, mais en donnent une définition nuancée qui peut être adaptée en fonction des contextes. L’adaptation relève pour ces salariés d’une prise en compte du système socioprofessionnel, à travers, notamment, la notion de missions. Ces salariés s’adaptent afin de coopérer et de contribuer de façon positive à la dynamique des collectifs auxquels ils participent.

Les perfectionnistes

« Il m’est difficile de dire si je corresponds au salarié idéal. Je pourrai être tenté de dire oui d’un côté. Même si je n’ai aucune certitude que cette impression soit partagée par l’ensemble de mes collègues. » « Je pense que je dois faire encore mes preuves. » « Il m’arrive d’avoir des doutes, mais lorsque j’ai de petites réussites, je sais que je suis à ma place. »

Les perfectionnistes sont proches du salarié idéal défini par les employeurs, mais ils ne le savent pas. Ils se sur-adaptent. Ils sont très attentifs aux signes que leur communiquent les autres afin de redoubler d’efforts.

Les prudents

« Plutôt entier et spontané, je n’ai toujours pas réussi à changer complètement. » « Faire des concessions est nécessaire au travail, mais cela n’empêche pas de rester soi-même. » « Cependant l’idéal n’étant pas l’idéal des autres, il est fort possible qu’en réalité je ne sois pas ce salarié que je crois idéal ! » « Sans pour autant bafouer notre personnalité, nous nous devons quand même de nous adapter à la vie en communauté. »

Les prudents sont globalement adaptés, tout en étant très préoccupés par l’idée de rester fidèles à ce qu’ils sont vraiment. Ils perçoivent l’adaptation comme une concession, ce qui les amène à une réserve, voire à une méfiance, vis-à-vis des attentes des autres, qu’ils prennent malgré tout en compte.

Les autocritiques

« Non, je suis bien conscient de mes qualités, mais aussi de mes défauts. Les connaître me permet de travailler à les améliorer. » « Le salarié idéal est peut-être celui qui valorise ses qualités tout en corrigeant ses défauts. » « Je fais des efforts pour (…) être moins exigeant avec moi-même et les autres (…) accepter la critique. » Les autocritiques savent qu’ils sont éloignés de l’idéal des employeurs et semblent en souffrir. Cet éloignement est involontaire et ils se remettent en question. Dès lors, leurs efforts leur apparaissent coûteux. Ils considèrent qu’être soi-même au travail n’est pas vraiment possible et qu’il convient d’apprendre à jouer un rôle.

Les objecteurs

« Le salarié idéal n’existe pas. Pour ma part, je possède des aptitudes qui seront appréciées différemment d’un contexte à l’autre : prudent, direct. » « Pour moi il n’y a pas de salarié idéal… » « Ainsi, je ne crois pas que c’est au salarié de s’adapter à son environnement. »

Les objecteurs se distancient volontairement du salarié idéal et affirment leur différence. Ils n’envisagent pas de fournir des efforts pour se conformer aux normes des employeurs. Ils remettent en cause la légitimité du salarié idéal et revendiquent le droit à être eux-mêmes.

Les motivés

« J’arrive au travail toujours avec le sourire. J’ai une bonne conduite, je suis très accueillante, très polie, motivée. Je suis à l’écoute des personnes en fonction de leur demande, de leur besoin. » « Il faut rester professionnel et savoir se maîtriser. On ne peut pas tout dévoiler. On doit faire attention à ce que l’on dit et à ce que l’on fait. » Les motivés ne perçoivent pas le salarié idéal des employeurs, mais développent leur propre version. Cette dernière focalise généralement sur le professionnalisme et les rapports humains. Ces salariés font des efforts pour se présenter de façon agréable aux autres. Ils présentent ainsi une image assez lisse pour ne pas heurter les autres.

Les indépendants

« J’ai développé une certaine personnalité de par mon expérience, mon relationnel, mon investissement pour le travail que l’on me demande de faire. » « Oui, je suis tout ce qu’on me voit ! Rien de caché ! Pas de fausse image ! » « Ce qui fait de moi un employé idéal, c’est ma motivation et mon implication pour le travail. » Les indépendants trouvent que leurs caractéristiques personnelles sont appropriées. Ce sont des individus confiants. Ils sont peu vulnérables aux critiques, mais aussi peu réceptifs aux attentes des autres. Notre étude montre l’importance des dimensions sociales et normatives de certains savoirs-être. La capacité d’adaptation des salariés repose notamment sur une compréhension des mécanismes sociaux participant à l’évaluation des compétences. Certains salariés sont effectivement très conscients de ces normes, d’autres savent qu’ils ne les maîtrisent pas, entre les deux, une partie des répondants croient les connaître, mais décrivent des profils différents de celui donné par les employeurs. Nos résultats suggèrent ainsi des apprentissages complexes.

L’adaptation socioprofessionnelle des salariés dépend également de leur disposition à fournir des efforts pour répondre aux attentes de leur employeur. Les questions éthiques et existentielles autour de l’adaptation aux exigences de l’entreprise dans le cadre de la relation de travail occupent une place importante dans l’esprit de nos répondants. Plus qu’un problème d’allégeance à l’autorité, nos résultats montrent que l’adaptation aux normes du salarié idéal pose la question d’être ou de ne pas être soi-même au travail.