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« Le terme d’emploi peu qualifié est impropre »

À la une | publié le : 01.01.2021 | Catherine Abou El Khair

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« Le terme d’emploi peu qualifié est impropre »

Crédit photo Catherine Abou El Khair

Didier Demazière souligne les stigmatisations dont sont victimes les personnes occupant des emplois peu qualifiés. La spécificité de leurs postes n’étant pas reconnue pour des raisons économiques, cette conception de leurs emplois entretient l’idée erronée selon laquelle les mobilités professionnelles entre de tels emplois seraient aisées.

Dans le contexte de la crise, êtes-vous inquiet pour la réinsertion des profils dits « peu qualifiés » ?

Didier Demazière : Ma première inquiétude, avant même celle de l’emploi, porte sur les conditions de vie de ces personnes. Il faut quand même rappeler que cet étiquetage d’emploi peu qualifié est associé à de faibles rémunérations, à du temps partiel. Dans le contexte de la crise, ces personnes n’ont donc pas la possibilité matérielle de faire le gros dos. La nécessité de se sortir de cette situation en retrouvant un autre emploi est extrêmement forte. Les personnels de l’hôtellerie-restauration, où l’activité est susceptible de repartir en dernier, vont devoir trouver du travail dans d’autres secteurs. Or leurs chances de reconversion rapide ne sont pas très élevées. Le terme d’emploi non qualifié est impropre : les employeurs ont toujours tendance à recruter des personnes qui ont déjà de l’expérience. À mon sens, la situation des travailleurs saisonniers est également problématique. De par la structure de leur activité, ils travaillent de manière discontinue et cela est perçu par les employeurs comme un signe de faible goût pour le travail et d’instabilité.

Comment comprendre la situation de ces profils dits « peu qualifiés » ?

D. D. : Il faut distinguer les emplois peu qualifiés de la main-d’œuvre qui occupe ces postes. Celle-ci peut être diplômée, mais se retrouve déqualifiée en occupant ces emplois. Ce mouvement majeur de l’économie, qui a fait émerger une nouvelle catégorie d’emplois bas de gamme, continue de se développer. L’essor frappant du commerce en ligne, qui s’accompagne du développement d’emplois peu qualifiés, s’inscrit dans cette logique : ces services, qui ont pour but d’acheminer des produits jusqu’au domicile du client, ne fonctionnent que s’ils n’entraînent pas de surcoût par rapport au commerce physique. De même, vous ne commanderez pas de repas à domicile si la livraison en double le prix. Pour continuer de fonctionner et de gagner des clients, l’économie a donc besoin qu’un certain nombre d’emplois soient considérés comme peu qualifiés. Le problème, c’est alors l’absence de perspectives professionnelles pour les personnes qui occupent ces emplois. Jusque dans les années 1980, un emploi peu qualifié était situé en bas des hiérarchies professionnelles : dans les usines, on confiait à un ouvrier peu qualifié les tâches les plus élémentaires : balayer l’atelier, nettoyer les machines… Mais il s’inscrivait dans une organisation du travail dans laquelle il était possible d’évoluer. L’amélioration des compétences de base ne se fait pas qu’à l’école, mais aussi en entreprise. Et quand on parle d’emploi peu qualifié aujourd’hui, c’est aussi cela qu’on élimine.

Que penser des solutions qui leur sont proposées ?

D. D. : Agiter l’argument des métiers en tension est un peu facile. C’est considérer que ces personnes peuvent circuler entre des positions qui n’ont aucune particularité ni de spécificité, et donc pas de coût d’entrée. Être serveur dans un café, vendeur dans un magasin, cela veut dire énormément de choses. À chaque fois, il y a un environnement particulier auquel on peut être attaché, qu’il s’agisse de rythmes de travail ou des interactions sociales qu’impliquent de tels postes. Ainsi, on ne passe pas de vendeuse à femme de ménage aussi facilement que cela. C’est aussi différent qu’être électricien ou plombier ! Être femme de ménage implique de se déplacer, d’avoir un agenda en tête, de travailler dans des environnements totalement différents où les attentes ne sont pas toujours explicites… De ce fait, dans ces franges de l’emploi peu qualifié, les mobilités et les reconversions ne sont pas aussi fluides qu’on voudrait le penser.

Quelles sont les marges de manœuvre des pouvoirs publics ? Les branches professionnelles ont-elles un rôle à jouer ?

D. D. : Comme les reconversions ont un coût pour les personnes, il faut que les emplois d’arrivée apportent une perspective, un épanouissement. Cela suppose un important travail en amont, loin du discours général d’injonction à la mobilité et à la reconversion qui ne fait que stigmatiser des personnes qui n’ont pas les ressources pour cela. Il faut par ailleurs que les emplois de destination soient identifiés, qu’il y ait une garantie de les obtenir. Certaines branches font un travail pour identifier les compétences spécifiques exigées et nécessaires pour occuper des emplois peu qualifiés, comme dans les services à la personne. D’un point de vue symbolique, donner des noms de métiers à ces emplois est une bonne chose. Mais cela ne règle pas le problème économique qui est que si ces emplois existent, c’est parce qu’ils sont maintenus à bas coût.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair