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Faut-il maintenir une réforme systémique des retraites ou privilégier une réforme paramétrique ?

Idées | Débat | publié le : 01.12.2020 |

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Faut-il maintenir une réforme systémique des retraites ou privilégier une réforme paramétrique ?

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La réforme des retraites préparée par le Gouvernement d’Édouard Philippe devait faire converger l’ensemble des 42 régimes vers un système par répartition, universel, par points. Mais compte tenu de la violence de la crise économique, qui va creuser les déficits à moyen terme, amenant le Conseil d’orientation des retraites à réviser ses prévisions financières, une question se pose…

Cendra Motin : Députée LREM, vice-présidente de la commission des Finances, rapporteure du projet de loi sur la réforme des retraites.

Quel intérêt auraient les Français d’accepter un toilettage financier du système de retraite, qui les amènerait à coup sûr à travailler plus longtemps, si aucune avancée sociale ne leur est proposée ? En effet, s’ils savent très bien que la crise économique dans laquelle nous sommes entrés va avoir un effet désastreux sur leur retraite, ils ne sont, pour autant, pas prêts à faire tous les sacrifices. Ils en font déjà beaucoup depuis des mois, on ne peut donc pas tout leur demander… Faire une réforme pour sauver notre système de retraite par répartition et garder la solidarité intergénérationnelle, les Français y sont prêts. Travailler plus pour garantir à nos enfants que le poids de nos retraites ne pèsera pas démesurément sur leur avenir, les Français y sont prêts. Réformer notre système de retraite pour qu’il soit plus juste et qu’il soit plus adapté à la société actuelle, les Français en ont besoin. Je crois que le courage en politique, c’est de tenir ses engagements tout en prenant en compte le réel. Tenir l’engagement du président de la République en matière de retraite, c’est garantir qu’un euro cotisé donnera les mêmes droits à tous, qu’il n’y aura plus de régimes spéciaux, que les femmes aux carrières heurtées seront mieux protégées, que les fins de carrière seront davantage accompagnées, qu’une vie de travail donnera le droit à une pension décente. C’est, en somme, redonner confiance dans un système unifié plus juste et plus simple. Mais le confronter au réel, c’est admettre que tout cela n’est pas possible à budget constant, c’est intégrer qu’avec la crise économique, les montants cotisés vont baisser, c’est prendre en compte que les retraités de demain n’auront pas eu les mêmes carrières que les retraités d’hier dont ils paieront, pourtant, les pensions. Le confronter au réel, c’est admettre que même pour conserver le système injuste que nous avons aujourd’hui, un effort sera nécessaire.

L’intérêt pour les Français, c’est donc bien de conjuguer les engagements d’hier au présent, et de soutenir une réforme paramétrique au service d’un nouveau système de retraites.

Victor Poirier : Directeur des publications à l’Institut Montaigne, spécialiste des questions de finances publiques et industrielles.

Au cœur d’une crise économique et sanitaire majeure, l’exécutif doit néanmoins poursuivre son agenda, à commencer par l’épineuse réforme des retraites. L’Institut Montaigne le souligne dans sa nouvelle note intitulée « Réformer les retraites en temps de crise » : celle-ci est la fois importante sur le plan financier – les retraites représentent 14 % du PIB, mais aussi sensible sur le plan politique. Cependant, reste-t-il de la place pour un tel débat aujourd’hui ? Si les actifs paient un lourd tribut sur le plan économique (chômage et baisse de pouvoir d’achat, notamment), les retraités français – dont l’âge effectif de départ est l’un des plus bas de l’OCDE, et le taux de remplacement l’un des plus élevés – sont majoritairement épargnés, leurs pensions n’étant pas indexées sur la croissance. Or, avant même la crise de la Covid-19, le taux de pauvreté des jeunes était déjà deux fois plus élevé que celui des retraités. La « nouvelle donne » renforce la crainte d’une rupture d’équité intergénérationnelle. Comment garantir la pérennité du système de retraites en partageant l’effort et en tenant compte du contexte économique actuel ? Seule une réforme alliant concertation, équité et pragmatisme permettra de remettre le système de retraites français sur de bons rails. Concertation, car il est indispensable de ne pas ajouter à l’incertitude ambiante une crainte supplémentaire chez des citoyens déjà très prompts à l’épargne de précaution. Équité, car l’effort doit être partagé, notamment en maintenant l’idée d’une suppression de régimes spéciaux coûteux, et en redistribuant les économies aux nouveaux chômeurs frappés par la crise. Pragmatisme, car chacun doit prendre conscience des sombres perspectives financières de notre système par répartition. Allonger – progressivement – le temps de cotisation pour ceux qui le souhaitent, ou réduire les pensions de ceux qui préfèrent partir plus tôt, apparaît aujourd’hui comme une mesure inévitable et responsable.

Anne-Marie Guillemard : Sociologue, professeure émérite à l’université Paris-Descartes-Sorbonne, membre du Conseil d’orientation des retraites.

La réforme adoptée en force en janvier 2020 et désormais suspendue n’a plus grand-chose à voir avec le projet initial. La logique comptable, avec l’ambition de contenir à court terme les déficits publics, a pris le pas sur la logique de réformer en profondeur le système à moyen terme. Face à ces constats, il est urgent de poser que les ajustements paramétriques de court terme, nécessaires pour faire face au problème conjoncturel de déficit engendré par la crise sanitaire, doivent être impérativement désolidarisés de la réforme systémique de moyen-long terme, indispensable aujourd’hui pour adapter durablement le système de retraite aux progrès de la longévité et au vieillissement démographique. Les deux réformes doivent être engagées sans tarder, mais avec des visées clairement différenciées. Seule la réforme systémique peut résorber le sentiment d’inégalité de traitement entre catégories en unifiant les règles hétéroclites des différents régimes, afin que les Français se sentent embarqués dans un système solidaire, soutenable et équitable pour leur retraite, et reprennent ainsi confiance dans le système. Toutefois, la relance de cette réforme systémique est à hauts risques car elle exige de rouvrir le dialogue social, de reconstruire un diagnostic partagé et d’envisager une gouvernance qui ne relègue pas les partenaires sociaux à un rôle consultatif. Quant aux mesures paramétriques d’âge à mettre en œuvre pour gérer le déficit, elles devront impérativement s’accompagner de politiques du travail et de l’emploi visant à rendre le travail soutenable plus longtemps et à prévoir des mécanismes adéquats de prise en compte de la pénibilité et de retraite progressive. Faute de quoi, la mesure creuserait non seulement les inégalités mais perdrait aussi en efficacité. Car l’essentiel est de prolonger l’activité afin d’équilibrer les comptes de la retraite. Or, plus de 40 % de ceux qui liquident leur retraite ne sont plus en emploi.

Ce qu’il faut retenir

//Mauvaise nouvelle. À cause de la pandémie, le système de retraite pourrait être déficitaire de 25,4 milliards d’euros cette année, selon la dernière note d’étape du Conseil d’orientation des retraites. Des estimations néanmoins légèrement inférieures à celles qui avaient été retenues en juin (29,4 milliards d’euros) par l’organisme. Commandés par le Premier ministre en août dernier, à la suite du confinement, ces travaux ont pour but d’éclairer l’exécutif sur l’urgence d’une réforme. Si, pour le COR, la forte dégradation du déficit est « de nature conjoncturelle », ses projections pour les années suivantes sont loin d’être optimistes, puisqu’il note que le solde du système de retraite « se dégraderait à nouveau sensiblement » entre 2022 et 2024. Le COR doit remettre un nouveau rapport (avec des chiffres complétés sur l’impact de la seconde vague Covid), et doit engager, dès 2021, « un processus de réflexion et de discussion autour des différents scénarios possibles ».

//Que faire ? Dans une note publiée à la fin octobre et intitulée « Réformer les retraites en temps de crise », l’Institut Montaigne estime que « si elle peut être bénéfique à long terme, la mise en place immédiate d’un système universel et d’une caisse unique apparaît aujourd’hui secondaire. En revanche, une réforme paramétrique rapide est devenue indispensable et urgente au regard de l’état de nos finances publiques ». Pour ce faire, l’institut propose quatre orientations. D’abord, ne pas augmenter les cotisations sociales. Ensuite, agir dans la concertation avec les partenaires sociaux et supprimer définitivement les régimes spéciaux, pour redistribuer ces économies en matière de droits à ceux qui vont perdre leur emploi dans les mois qui viennent (par exemple, les nouveaux chômeurs depuis mars 2020 bénéficieraient de droits à hauteur du dernier salaire perçu et non pas à hauteur de leurs prestations d’assurance chômage), et enfin, laisser le choix aux Français entre allonger les temps de cotisation ou réduire les pensions de ceux qui préfèrent partir plus tôt.

En chiffres

0,1 %

C’est le nombre de retraités décédés (chiffres arrêtés avant la seconde vague de Covid-19). Selon le COR, « la très forte contraction des ressources, associée au repli du PIB (– 10 %), ne serait pas compensée par la faible diminution des dépenses liée à la faible surmortalité des retraités enregistrée jusqu’à présent ».

Source : www.cor-retraites.fr/node/544

800 000

C’est, selon les prévisions, le nombre total de suppressions d’emplois à fin 2020. Autrement dit, des cotisations en moins, qui, associées aux reports de charges accordées aux entreprises et aux indemnités exonérées de charges dans le cadre du chômage partiel massif, sont autant d’éléments « qui ferment le robinet des entrées de cotisations dans les caisses de retraite », selon le COR.

Source : www.cor-retraites.fr/node/544