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Managers d’aujourd’hui et de demain : (dés)illusions du changement

Idées | Recherche | publié le : 01.11.2020 |

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Managers d’aujourd’hui et de demain : (dés)illusions du changement

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La Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises) a publié cette année, avant la crise liée à la Covid-19, une étude portant sur les impacts des mutations du travail sur le management et les conséquences sur la formation au management. Cette étude est une main tendue vers un rapprochement entre les sphères académiques et professionnelles, dont les regards, régulièrement qualifiés d’antinomiques, semblent en réalité plus complémentaires qu’il n’y paraît.

Tous les managers, et en premier lieu ceux ayant plus de quinze ans d’ancienneté, vivent depuis le début de leur carrière le changement dans leur entreprise comme une constante, nous apprend une étude de la Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises). Mais ces changements ne sont pas des transformations de type disruptif. Nous ne sommes donc qu’au début des transformations en cours, puisque ces changements ne concernent que la surface des choses. En effet, les mutations actuelles correspondent à des transformations majeures – comme le passage de la bougie à l’ampoule électrique ou de l’hippomobile à l’automobile. Il s’agit de mutations complètes de l’ensemble de l’écosystème. Les acteurs, les objets, les supports comme les moyens techniques, tout va changer. Si tout devait basculer dans le management, nous en sommes encore loin dans les pratiques de travail. Certes, des transformations ont eu lieu de façon importante pour plus de la moitié des managers (et pour 14 % d’entre eux, les pratiques ont radicalement changé), mais surtout, 87 % des managers ayant plus de quinze ans d’ancienneté ont la perception de vivre constamment un changement fort. Sur onze pratiques proposées, nombreuses sont inconnues aux répondants. Leurs connaissances en la matière sont parcellaires, hormis concernant le télétravail et les espaces de coworking. Pour une majorité de managers, ce sont les technologies qui expliquent principalement les transformations actuelles. L’ordinateur et le Smartphone sont les deux outils de base du manager. Que de changements en 25 ans ! En 1995, les cadres disposaient d’une secrétaire pour taper leurs notes. Quelle transformation dans la mobilité et pour l’autonomie des managers que permettent ces deux outils ! Et les outils actuels permettent d’utiliser des applications qui constituent de puissants leviers de communication. En effet, ils sont des vecteurs de création et des supports de publication de contenus générés par chaque utilisateur. Car chacun est connecté autant qu’il peut diffuser des informations à la terre entière. Ce sont ces dimensions communicationnelles et informationnelles dont se privent les non-utilisateurs des réseaux sociaux. Et l’étude nous montre clairement un décalage générationnel dans l’utilisation de ces outils, puisqu’elle concerne 65 % des managers ayant moins de cinq ans d’ancienneté, contre seulement 35 % pour ceux qui ont plus de quinze ans.

Relations de pouvoir

Autre dimension intéressante : l’intrication de plus en plus importante entre la vie privée et la vie publique. Les deux tiers des managers interrogés vivent cette porosité entre ces deux espaces. Ils sont même plus de la moitié à vouloir pratiquer plus de télétravail. Mais surtout, cette étude constate que ce collaboratif tant revendiqué n’est, de fait, que peu pratiqué dans la réalité des managers. Le travail collaboratif est porteur d’illusions, mais aussi de désillusions. Il est peu décrit dans l’étude pour ce qu’il est ou pourrait être, en particulier le développement de la coopération dans le travail, cela devant passer par des postures différentes de celles existantes. Les managers ne peuvent y parvenir car ces questions ne sont pas abordées. Il est nécessaire, pour faire émerger ces nouvelles pratiques, de remettre en question les relations interpersonnelles, jusqu’à présent structurées par une symbolique hiérarchique de l’autorité du père par rapport à ses subalternes. Il s’agit de relations de pouvoir entre les personnes qui se situent dans un rapport de dépendance. Ce sont ces modes de relation qui sont remis en question. En effet, il faut relier ces problématiques à une autre plus large : la remise en question de l’autorité, loi du père, telle que l’a définie Jacques Lacan. Ainsi, en France, c’est en 1970 que la puissance paternelle disparaît de la loi pour une nouvelle notion, celle de l’autorité parentale. Cela correspond à la remise en question du pouvoir exclusif du père, celle du chef de famille, le seul détenteur de l’autorité et donc des décisions. À la place, se substituent des relations équilibrées dans le couple, construites par un dialogue entre égaux. C’est ainsi que l’émergence de la démocratie au sein des foyers a permis le développement de relation entre adultes afin de discuter des questions touchant au fonctionnement du couple. Cette démocratisation correspond à une mutation historique plus large d’un nouvel ordre relationnel « démocratique » entre les humains, ce qui s’intègre dans un changement de paradigme que certains qualifient de « postmoderne ».

Rares sont les entreprises publiques ou privées, à but lucratif ou non, qui déploient de telles démarches pour revisiter le mode relationnel sur lequel elles fonctionnent (au sens anthropologique du terme). L’étude indique clairement qu’il n’y a que 7 % de managers dont l’entreprise déploie de telles démarches disruptives. La route est encore longue pour que se substituent dans les relations des repères traditionnels à de nouveaux « re-pairs » qui sont des modes démocratiques entre adultes. Pour ce faire, les membres des équipes doivent construire des relations basées sur un respect et sur une reconnaissance mutuels dans les échanges interpersonnels. En premier lieu, les décisions concernant le fonctionnement de l’équipe passent en amont par des discussions entre ses membres qui correspondent à un certain nombre de principes : liberté de parole, respect de chacun… Ce sont des outils de codéveloppement, de coaching.

Triangulation des visions

Mais cette étude comporte des limites : elle a, certes, cherché le regard des managers sur le management et celui d’institutions de formation, mais elle n’a pas intégré celui des managés sur le management. La place des managés, c’est-à-dire des équipes, aurait pu permettre une triangulation des visions. Il serait particulièrement intéressant de connaître leur vision sur le management dit « contemporain » qu’évoque l’étude, et de voir s’ils y voient un changement radical ou, au contraire, plus mesuré. Les auteurs évoquent, à juste titre, la nécessité de « privilégier la solidarité à la collaboration », ce qui mérite un éclairage. En effet, l’étymologie de solidarité vient du latin « in solidum » (qui signifie « pour le tout »). Ce « pour » qui désigne l’engagement et l’implication de chacun pour le collectif. Faire émerger une solidarité authentique requiert que les personnes impliquées aient des postures nouvelles afin de s’assurer d’une connaissance et d’une reconnaissance mutuelles entre elles, de favoriser la liberté de parole et d’encourager l’écoute et l’empathie, de faire comprendre l’intérêt et la puissance du don et du contre-don maussien… La collaboration se limite au travail prescrit ou réel quand la solidarité est celle du partage, en particulier des ressources considérées comme des « communs » au sens d’Elinor Ostrom. C’est en quoi cette étude propose, de fait, de repenser le management au prisme de la solidarité, en intégrant la notion de commun au service de cette solidarité, et de favoriser l’implication de chacun dans une responsabilisation collective au sein des organisations.

La seconde partie de l’étude porte sur la façon dont les institutions de formation au management enseignent cette discipline par rapport aux transformations du travail. Les auteurs en distinguent trois types :

• les premières sont qualifiées de « performatives ». Les transformations du travail sont issues de la vision anticipatrice des institutions de formation au management ;

• les deuxièmes sont « adaptatives ». Les institutions s’adaptent aux transformations perçues du travail dans un souci d’alignement ;

• les troisièmes sont « décalées ». Les institutions de formation au management conservent leur vision et sont plus ou moins étanches aux « modes » qui émergent. L’étude ne donne pas de pourcentage, mais de par notre expérience, nous constatons que les premières dites « performatives » sont très minoritaires.

Cette étude s’appuie sur un panel de managers divisé en trois groupes :

• les jeunes managers qui ont moins de cinq ans d’activité professionnelle et qui vivent encore dans la fraîcheur de ce qui constitue leur première expérience ;

• ceux qui ont entre cinq et quinze ans d’expérience professionnelle ;

• et enfin les managers ayant plus de quinze ans d’ancienneté. Cette catégorie correspond à ceux qui ont de l’expérience et ont souvent des postes importants de management.