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Vivre et travaillerailleurs

À la une | publié le : 01.11.2020 | Ingrid Seyman

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Vivre et travaillerailleurs

Crédit photo Ingrid Seyman

Finalement, la taille, ça compte. C’est en tout cas ce qu’assure le slogan d’une affiche placardée en septembre dans le métro parisien. Cette dernière, qui vante les mérites d’Alès, « élue deuxième ville d’Occitanie championne pour télétravailler », renvoie au site de la municipalité, sur lequel nous pouvons lire : « Pendant le confinement, vous avez fantasmé sur une autre vie, dans un autre lieu, là où il y a de l’air, de l’espace, de la verdure… Cet autre lieu existe.

Cette autre vie est possible, surtout si votre travail peut se faire à distance ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que les concepteurs de cette campagne promotionnelle ont tout compris : si les Franciliens étaient, jusqu’en mars dernier, prêts à endurer le stress, le manque d’espace, la pollution ou les heures perdues dans les transports au nom de leur vie professionnelle, ils sont nombreux, depuis le confinement, à avoir viré leur cuti. Selon une étude réalisée par Cadre emploi au mois de juin dernier, 84 % des cadres parisiens affirmaient que la pandémie, ainsi que les autres évènements survenus entre 2019 et 2020 (grève des transports, manifestation des « gilets jaunes ») avaient renforcé leur volonté de quitter Paris. 38 % d’entre eux envisageaient même de déserter la capitale sans pour autant changer de métier… Preuve, s’il en fallait, que c’est bien le télétravail, massivement expérimenté pendant le confinement, qui a changé la donne pour nombre de Franciliens, comme l’explique Michel, 52 ans, qui dirige une PME de 80 salariés dans l’agroalimentaire : « Depuis un moment, je rêve de quitter Paris. J’en ai assez de mettre trente minutes à trouver un Vélib. Et de vivre dans le bruit, la pollution et la saleté. Il y a une forte culture du travail à distance dans mon entreprise, avec des collaborateurs disséminés en France et à l’étranger. Le passage au “tout télétravail”, entre mars et juin, s’est très bien passé. Depuis, je sais que mon projet d’installation en Bourgogne n’est pas qu’une utopie. » Des propos qui font écho à ceux de Catherine, 56 ans, graphiste en free-lance : « J’ai monté ma société il y a deux ans, et contrairement à ce que j’imaginais, mes clients n’expriment pas le besoin de me voir régulièrement. Mon mari et moi étions très attachés à la vie culturelle parisienne, mais depuis le mois de mars, nous sortons de moins en moins. Nous avions le projet de partir en banlieue, à 20 kilomètres d’Issy-les-Moulineaux où nous vivons actuellement, pour avoir plus d’espace. Mais finalement, nous allons faire 500 kilomètres et nous installer près de La Rochelle. Nous allons troquer 1 h 30 de bouchons quotidiens pour rejoindre le centre de Paris, contre 2 h 30 de TGV, et la mer à côté. »

Une nouvelle vie

Ce désir d’exil, évoqué par Catherine et par Michel, Kelly Simon en a fait son métier. Créatrice de Paris je te quitte, un site qui met en relation des particuliers avec des agents immobiliers et des recruteurs sur tout le territoire français, la jeune femme a constaté un bond de 60 % du trafic depuis fin avril : « Nous recevons deux fois plus de demandes de recherche de logements en province et trois fois plus de CV qu’avant la pandémie. » « L’impact du confinement a été énorme », confirme Mike Dejardin, président de Utility.fr, une plateforme de déménagement destinée aux particuliers et aux entreprises : « Depuis le printemps dernier, le cadre des grandes villes a compris qu’il pouvait améliorer de façon notable sa qualité de vie. » Si les visiteurs du site Paris je te quitte sont à 80 % âgés de 20 à 45 ans, ceux qui franchissent le pas et qui transforment leur désir d’exil en réalité ont souvent un peu plus de rides… Et de moyens financiers. « Ma clientèle, au niveau national, c’est 60 % de parisiens qui veulent partir en province. Des CSP+, entre 40 et 55 ans, avec ou sans enfants. » Alors qu’ils envisageaient jusqu’à présent de ne s’éloigner que de 200 à 300 kilomètres, le confinement semble avoir déployé les ailes des candidats à l’exil. « Aujourd’hui, les gens n’hésitent plus à s’installer dans un rayon de 500 à 700 kilomètres de Paris. Ils vont dans le Sud, et particulièrement autour de la façade Atlantique. À Bordeaux, à Montpellier, ou à 50 kilomètres maximum de villes desservies par le TGV comme Lyon, Nantes ou Marseille ». Sans surprise, c’est la maison individuelle qui fait rêver les Franciliens en manque d’espace : « Plus de 80 % des déménagements opérés par le biais de la plateforme le sont depuis un appartement vers une maison. Avec les prix de l’immobilier en province, on gagne généralement 20 m2 si on opte pour une grande ville. Mais on peut facilement s’offrir 200 m2 avec le prix d’un 60 m2 en Île-de-France lorsque l’on choisit de s’installer à la campagne ! »

Partir pour les enfants

Si l’extension du télétravail depuis le printemps dernier a boosté ce désir d’exil, nombreux sont les Franciliens à avoir sauté le pas avant l’épidémie de Covid-19. Parmi eux, pas mal de quinquagénaires en quête d’un lieu de vie agréable pour leur future retraite… Mais aussi beaucoup de jeunes parents, qui n’imaginaient pas voir grandir leur progéniture en région parisienne. « J’ai toujours su que je ne voulais pas avoir un bébé en Île-de-France, monter trois étages à pied avec une poussette sous le bras et passer mes dimanches après-midi au parc, explique Audrey Couyras, group manager events et community chez Ubisoft. Lorsque mon mari a été muté à Montpellier, j’ai demandé à mon employeur d’être muté là-bas aussi. J’étais déjà enceinte. Le télétravail n’était pas du tout dans la culture de la maison… Mais comme mon conjoint et moi travaillons dans la même entreprise, j’ai réussi à les convaincre », précise-t-elle. Audrey passe désormais ses week-ends à la plage, vit dans 80 m2 (contre 40 m2 à Paris), et fait construire une maison. Responsable opérationnel chez Neo-nomade, Hadrien Brumaux a, quant à lui, choisi de s’installer à Lille : « Je viens du Nord, d’une famille nombreuse, qui a poussé dans un grand jardin. En déménageant ici, nous nous sommes rapprochés de mes parents et nous offrons à notre enfant l’opportunité d’une vie plus simple et équilibrée que celle que nous menions à Paris. » Pour ce jeune cadre, salarié dans une plateforme dédiée aux solutions de travail à distance, il est tout à fait naturel de télétravailler. « Et si je dois garder mon fils un après-midi en semaine, je n’hésite pas une seconde… Sachant que je rattraperai ma demi-journée de travail le soir ou le week-end », explique ce père de famille, qui assume parfaitement de travailler en fonction de ses contraintes familiales. Et n’envisage pas une seconde de sacrifier son équilibre personnel sur l’autel de sa carrière.

Un nouvel arbitrage

Que ce soit pour se mettre au vert, pour se rapprocher de sa famille ou de la mer, pour élever son enfant dans un environnement protégé, pour gagner en qualité de vie au quotidien, la logique qui prévaut chez ces exilés, comme chez les candidats au départ, est celle d’une inversion des priorités et des arbitrages entre vie professionnelle et vie personnelle. « À un moment donné, j’ai compris que mon existence à Paris, entièrement conditionnée par mon travail, n’avait plus aucun sens, témoigne Fabienne, ex-cadre dans une grande entreprise. La semaine, je travaillais d’arrache-pied et j’étais rarement chez moi avant 21 heures. Le week-end, je le passais à dormir, histoire de récupérer et d’être en forme le lundi. » À l’aube de ses 40 ans, la jeune femme prend conscience qu’elle n’a pas envie de gagner plus d’argent ni d’endosser plus de responsabilités. Elle demande alors sa mutation à Lyon, qu’elle obtient en acceptant de voir baisser son salaire de 20 %. « J’ai alors découvert l’immense bonheur de me rendre au bureau à pied, en cinq minutes tous les matins. Et de partir à 18 heures tapantes, comme l’ensemble de mes collègues. » Après s’être formée au coaching, Fabienne Laurede a fini par démissionner et a créé une entreprise de développement personnel à travers l’écriture. Celle qui gère aujourd’hui le site auteurdemavie.com ne regrette pas une seconde son salaire de cadre, ni sa vie parisienne : « Je me suis offert du temps, de l’espace et l’opportunité de réfléchir enfin à ce que je voulais faire de mon existence », raconte cette néoentrepreneuse parfaitement épanouie. Si l’expérience de Fabienne Laurede à Lyon est aussi positive, c’est aussi parce qu’elle a su se créer un réseau dans sa ville d’adoption, grâce à sa formation au coaching et à sa pratique de nombreux loisirs.

La nécessité d’un ancrage local

« Il est essentiel d’avoir une vie sociale sur place », estime aussi Florence, chargée de développement pour une société de production parisienne qui vit et qui télétravaille depuis septembre dans la cité balnéaire d’Anglet, sur la côte basque : « Je ne vois pas l’intérêt de m’éloigner de mon employeur si c’est pour que toute ma vie sociale continue de se passer à Paris », explique cette mère de famille, qui compte scolariser sa fille au sein d’une école basque, dans laquelle les parents sont très impliqués, en partie pour étoffer son réseau local. Outre ces futurs parents d’élèves, Florence peut également compter sur la famille de son conjoint, installée dans la région, pour favoriser leur intégration dans la région. Et son mari, monteur, souhaite aussi développer sa clientèle sur place. « Je ne m’imagine pas être un simple consommateur de mon futur lieu de résidence, confirme Michel, le dirigeant de PME tenté par l’exil en Bourgogne. Si nous nous installons sur place, j’imagine avoir une activité, quelle qu’elle soit – professionnelle, associative, militante – dans la région. » Aujourd’hui, la plupart des exilés franciliens ont encore un lien très fort avec la capitale, où se trouvent généralement les bureaux de leurs employeurs. Ainsi, Florence et son mari ont-ils gardé leur appartement parisien en location, qui leur sert de pied-à-terre lors de déplacements professionnels. Tous les mois, Audrey Couyras passe deux à trois jours au siège d’Ubisoft en région parisienne, et se rend à la même fréquence aux studios de Lyon et d’Annecy. S’il travaille la majorité du temps chez lui, Hadrien Brunaux se rend à Paris au moins un jour par semaine et n’hésite pas à brancher son portable dans un espace de coworking à Lille, quand il ressent le besoin de cloisonner vie privée et vie professionnelle.

Des vies à la carte ?

À l’image d’Hadrien, les cadres sont ainsi de plus en plus nombreux à avoir plusieurs lieux de travail… Voire plusieurs lieux de vie. C’est le cas de ce responsable logistique qui travaille trois jours par semaine à Paris, un jour depuis son domicile à Montmorency et un dernier dans un bureau partagé à La Ferté-Saint-Cyr, un village du Loir-et-Cher d’à peine 1 000 âmes, qui offre désormais cinq places de coworking aux cadres férus de week-end prolongés à la campagne. « Je m’y rends le vendredi, cela me permet de passer trois nuits dans la maison de mes parents qui habitent juste à côté », explique celui qui semble naviguer avec une aisance folle entre ses trois lieux de travail et ses deux lieux de vie. L’occasion de rappeler que les cadres exilés sont généralement des champions en matière de mobilité et de flexibilité. Mais qui à deux maisons court toujours le risque de perdre la raison !

Auteur

  • Ingrid Seyman