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Pascal Lokiec : Le casse-tête des restructurations

Idées | Juridique | publié le : 01.10.2020 |

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Pascal Lokiec : Le casse-tête des restructurations

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La rentrée sociale a malheureusement été marquée par l’annonce de nombreux plans de restructuration. Vingt ans en arrière, qui aurait pu penser que la négociation collective allait en constituer l’un des principaux vecteurs, que ce soit pour supprimer des emplois, ou, au contraire, pour en sauver ? PSE, PDV, RCC, APC, APLD… Derrière les sigles qui occupent en ce moment bon nombre de services des ressources humaines, se cachent des dispositifs très variés qui, tous, accordent une place centrale à la négociation d’entreprise. Entre ces dispositifs, le choix relève parfois du dilemme cornélien.

PSE et RCC/PDV

Le PSE (plan de sauvegarde de l’emploi), le PDV (plan de départ volontaire) et la RCC (rupture conventionnelle collective) sont à ranger dans une première catégorie de dispositifs, destinés à supprimer des emplois. Le PSE permet la suppression, coûte que coûte, d’un nombre donné d’emplois, même si les efforts de reclassement qu’il implique feront que les salariés dont les postes sont supprimés ne quitteront pas forcément l’entreprise (c’est tout l’intérêt du volet « reclassement interne » du PSE), ou tout au moins ne seront pas licenciés (un PSE peut inclure un plan de départ volontaires dit « mixte »). Par contraste, la RCC peut conduire, en cas de déficit de candidatures, à un nombre de suppressions d’emplois inférieur à celui escompté.

Malheureusement, ce sont avant tout des PSE qui s’annoncent dans les semaines à venir, la RCC, qui dispense de se prévaloir d’un motif économique de rupture du contrat, étant davantage utilisée pour gérer des sureffectifs sans contrainte immédiate ou pour accélérer la GPEC.

Le choix entre PSE et RCC n’est pas du seul ressort de l’employeur puisque la RCC nécessite un accord collectif, là où le PSE peut être soit unilatéral, soit conventionnel. C’est d’ailleurs ce qui fait qu’une négociation sur une RCC qui échouerait, par exemple parce que les parties ne s’entendent pas sur le montant des indemnités de départ, peut déboucher sur un PSE, à la condition toutefois de reprendre à zéro la procédure des licenciements pour motif économique. Est-il possible de prévoir simultanément une RCC et un PSE, et ainsi licencier dans le cadre d’un PSE les salariés qui ne seraient pas volontaires ? Le questions-réponses du ministère ne peut pas être plus clair : la nouvelle RCC « n’a pas vocation à être mise en œuvre simultanément à un PSE dans le cadre d’un même projet de restructuration et de compression des effectifs ». Concrètement, l’entreprise qui souhaite appliquer ce type de stratégie va devoir mettre en place un PDV mixte, à savoir un PSE assorti d’un PDV, ce qui l’obligera à appliquer la procédure des licenciements pour motif économique. La voie des PDV « autonomes », dont l’objet est similaire à celui de la RCC puisque l’entreprise s’engage à ne pas licencier si le nombre de volontaires est insuffisant, reste ouverte mais pourrait s’essouffler avec la création de la RCC.

S’il est impossible de prévoir simultanément un PSE et une RCC, est-il possible de les faire se succéder ? Il faut logiquement attendre un délai raisonnable, faute de quoi la RCC sera considérée comme un contournement des règles relatives au licenciement économique, comme l’avait relevé le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en 2019. Précisons que l’accord de RCC, tout comme d’ailleurs un accord de GPEC, peut aussi prévoir un congé de mobilité pour favoriser le retour à l’emploi stable des salariés partants.

APC et APLD

L’APC (accord de performance collective) et l’APLD (activité partielle de longue durée) sont à ranger dans une seconde catégorie de dispositifs, qui visent au contraire à sauvegarder l’emploi. Aménager la rémunération, le temps de travail et/ou la mobilité géographique ou professionnelle des salariés, afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise, de créer ou de sauvegarder des emplois, tel est l’objet des accords de performance collective. Après un démarrage laborieux, quoique plus concluant que celui de ses prédécesseurs (les accords de maintien de l’emploi puis les accords de préservation et développement de l’emploi), la crise de la Covid pourrait conduire à une augmentation sensible du nombre de ces accords (370 en juin 2020). Il faut dire que le droit français n’a probablement jamais conçu un dispositif aussi souple de restructuration ; tout ou presque peut être organisé par APC, que ce soit une baisse directe du salaire, la suppression de primes, l’augmentation de la part variable de la rémunération, une baisse du temps de travail, un aménagement de la durée du travail sur le mois ou l’année, un déménagement, l’adoption de nouvelles dispositions conventionnelles dans le cadre d’un transfert d’entreprise etc. Et en présence d’un tel accord collectif, la capacité de refus des salariés est purement théorique puisqu’en cas de refus, leur licenciement est automatiquement justifié et échappe à la législation sur les licenciements pour motif économique.

A priori le tout nouveau dispositif d’activité partielle spécifique, aussi appelée activité partielle de longue durée, va concurrencer les APC. L’APLD permet à une entreprise confrontée à une réduction durable de son activité de diminuer l’horaire de travail de ses salariés, jusqu’à 40 %, et de recevoir pour les heures non travaillées une allocation en contrepartie d’engagements, notamment en matière de maintien en emploi. Sauf s’ils obtiennent des engagements équivalents lors de la négociation d’un accord de performance collective, les syndicats devraient être plus enclins à passer par l’APLD eu égard aux garanties qu’a prévues le législateur : clauses obligatoires, diagnostic partagé, engagement de maintien de l’emploi, indemnisation du salarié pour la perte de salaire (partielle sauf si l’accord prévoit une prise en charge du delta par l’entreprise), interdiction de licencier pour motif économique… Bien plus encadré que l’APC, l’APLD est toutefois d’une portée plus modeste puisqu’elle ne permet que de réduire le temps de travail et ce sur une période limitée à 24 mois, consécutifs ou non, sur une période de 36 mois consécutifs, alors que les APC, qui permettent de jouer également sur la rémunération et sur les conditions de la mobilité, peuvent être à durée indéterminée, ce qu’ils sont d’ailleurs assez souvent en pratique. Dans le choix de l’APLD plutôt que de l’APC, le fait que la première puisse être mise en place par document unilatéral peut constituer un facteur d’attractivité du côté des entreprises ; avec toutefois un important bémol car on peut penser, sur le modèle de ce qu’ont fait les branches de la métallurgie (juillet 2020) et syntec (sept. 2020), que l’accord de branche sans lequel la voie unilatérale est fermée, encadrera strictement la marge de manœuvre des entreprises. La question ne sera pas uniquement celle du choix entre un APC et une APLD. Certaines entreprises sont tentées par une combinaison entre ces dispositifs. Si les risques de fraude à la loi seront très importants pour une entreprise qui les appliquerait aux mêmes salariés il n’est pas exclu que l’APLD puisse être demandée pour une catégorie de salariés, tout au moins pour un établissement de l’entreprise, et qu’un APC soit conclu dans un périmètre différent de l’entreprise. La problématique est à peu près similaire sur l’articulation entre APLD et PSE, pour laquelle la question de l’articulation ne peut se poser que sur des périmètres distincts. Dans les rapports entre APC et PSE, une difficulté supplémentaire peut se poser.

APC et PSE

A priori, rien à voir entre un APC et un PSE qui obéissent, pour l’un à une logique de flexibilité interne, pour l’autre à une logique de flexibilité externe. Le premier vise à sauver les emplois, le second tend à les supprimer. Et pourtant ! Dans les faits, un APC peut se concrétiser par des suppressions massives d’emplois si une majorité de salariés refusent la baisse des avantages telle que prévue par l’APC. Le cas est tout sauf théorique puisque pas moins de 163 salariés de Derichebourg, sous-traitant d’Airbus, ont refusé la suppression des primes de repas et de transport prévue par l’APC. C’est pourquoi le questions-réponses du ministère publié en juillet 2020 énonce, en substance, que l’accord de performance collective est conclu en fraude à la loi s’il était acquis dès le départ que les modifications induites par l’accord seraient massivement refusées par les salariés, de sorte que la finalité de l’accord n’était pas de changer la rémunération, la durée du travail, d’organiser la mobilité géographique ou professionnelle mais bien de supprimer des emplois. Dans l’appréciation de la fraude au PSE, un autre élément pourrait jouer : l’entreprise a-t-elle ou non remplacé tout ou partie de ceux qui ont été licenciés suite à leur refus du changement prévu par l’accord ? L’APC n’étant pas un outil de suppression d’emplois contrairement au PSE, au PDV ou à la RCC, il ne serait pas illogique que l’entreprise réembauche des salariés aux conditions nouvellement prévues par l’APC !

Comment va s’opérer le choix entre ces dispositifs ? L’employeur est maître à bord et si l’on s’en tient aux textes, peut passer directement par un PSE unilatéral, sans avoir cherché au préalable à négocier une mise en activité partielle de longue durée ni même tenté un accord sur le PSE. Les enjeux sont cependant si importants que va sans doute se poser en contentieux, comme cela avait été le cas à propos du recours à la GPEC comme préalable au PSE, la question de savoir si, sur le fondement du principe de loyauté, une obligation de négocier ne doit pas être reconnue avant tout recours à la voie unilatérale. Telle est la philosophie des accords de branche de la métallurgie et syntec sur l’APLD qui, tous deux, incitent dans leur préambule à passer par l’accord d’entreprise plutôt que de recourir au document unilatéral. Sans être formellement obligé de le faire, l’employeur a de toute façon intérêt à privilégier la voie négociée, à la fois parce qu’elle est généralement moins délétère pour le climat social dans l’entreprise, mais aussi parce que l’administration, qui a un droit de regard sur bon nombre de ces dispositifs, sera moins regardante sur une restructuration négociée que sur une restructuration décidée de façon unilatérale.