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Bénédicte Berthe ; Marc Dumas : Présentéisme et management

Idées | Recherche | publié le : 01.10.2020 |

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Bénédicte Berthe ; Marc Dumas : Présentéisme et management

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Si l’absentéisme est une problématique RH connue et examinée dans les entreprises, ce n’est pas toujours le cas du présentéisme. Pourtant, d’après diverses études1 ,ce phénomène génère davantage de coûts que l’absentéisme. Le manager doit donc s’en préoccuper.

Les contours du présentéisme

Plusieurs définitions de ce sujet d’étude récent existent. Selon l’Anact, « être présent sur son lieu de travail, mais de manière paradoxale », c’est-à-dire se démobiliser et se retirer, « être présent de manière excessive », c’est-à-dire passer ses horaires de travail vers ses temps de repos, et « être présent en mauvaise santé » sont trois formes de présentéisme. Néanmoins, la définition la plus couramment retenue par les auteurs, comme ici, considère seulement le fait de se rendre au travail alors que son état de santé physique ou psychologique ne devrait pas le permettre.

Les déterminants du présentéisme

Plusieurs facteurs qui expliquent ou qui favorisent le présentéisme ont déjà été identifiés : une charge de travail trop importante, un manque de remplacement en cas d’absence, une insuffisance des effectifs, une pression managériale forte, un environnement hypercompétitif, une dégressivité des primes en cas d’absence, des jours de carence, une norme de groupe qui établit une convention de présence, une culture métier, la personnalité, l’éducation ou les valeurs personnelles du collaborateur.

Nous avons mené une étude auprès du personnel soignant qui révèle que les émotions jouent également un rôle pour comprendre le présentéisme. En effet, nous avons identifié que pour les contractuels, la peur de perdre son emploi est un facteur explicatif de la présence au travail alors que l’état de santé est dégradé. D’autre part, pour les permanents, la culpabilité à l’égard de l’équipe conduit le personnel à se rendre même malade au travail2.

Les effets du présentéisme

Le présentéisme a des conséquences négatives en matière de bien-être et de qualité de vie du collaborateur, mais aussi de performance pour l’entreprise. En effet, certaines études montrent que le présentéisme entraîne une véritable souffrance physique au travail, un retard de guérison et une mise en danger du travailleur suite à des dégradations psychologiques graves telles que la dépression, le développement de pathologies chroniques, principalement des douleurs musculo-squelettiques. Le présentéisme a, également, des impacts négatifs pour l’entreprise en entraînant un accroissement des risques psychosociaux, une contamination des collègues de travail en cas de virus, un épuisement et un découragement des équipes qui compensent la perte d’efficacité due au présentéisme, une dégradation du climat social, une réduction de la qualité du travail, une forte accentuation du risque d’erreur, une augmentation des coûts de remplacement dus à l’aggravation des pathologies qui s’inscrivent dans la durée et, surtout, une perte de productivité, amplement démontrée par différentes études, due à la perte de capacités de la personne dont l’état de santé, et donc le capital humain, est dégradé. La perte moyenne de productivité est de 30 %3.

Le management du présentéisme

Une vigilance accrue face au présentéisme s’impose donc pour le manager. Quels sont ses leviers d’action ? La communication offre un premier champ d’intervention. Ainsi, il convient d’exprimer clairement les attentes organisationnelles en matière de présence afin de réduire les interprétations à ce sujet et de réorienter les conventions comportementales. Il convient également de ne formuler aucun reproche en cas d’absence. De plus, il peut être envisagé de développer les informations sur les effets négatifs du présentéisme sur la santé.

L’organisation du travail est un deuxième axe. Ne pas surcharger les équipes en cas d’absence ou assurer un remplacement permet d’atténuer la culpabilité ressentie par le salarié à l’égard de ses collègues, le conduisant à faire preuve de présentéisme. Par ailleurs, l’aménagement des charges et des temps de travail pour les personnes porteuses de maladie chronique est un choix rentable. Ensuite, la complémentarité entre absentéisme et présentéisme a déjà été soulevée. Dans une étude récente, nous avons pu montrer les étroites relations entretenues entre état de santé, absentéisme et présentéisme. Le manager doit donc questionner les dispositifs qui visent à réduire l’absentéisme. Ils peuvent en effet avoir des effets pervers. Au-delà d’un effet positif à court terme, une réduction de l’absentéisme peut aussi provoquer la survenue du présentéisme selon un cercle vicieux. Ainsi, il est indispensable d’évaluer si la mise en place d’une rémunération proportionnelle aux jours de présence, ou toute autre forme incitative, réduit l’absentéisme sans augmenter le présentéisme. Dans un contexte plus large de conciliation des temps entre vie privée et vie professionnelle et de droit à la déconnexion, les réflexions relatives au présentéisme ont également leur place.

Un tournant lié à la crise sanitaire ?

Nos prochaines recherches étudieront les changements induits par la crise sanitaire. Nous pouvons effectivement supposer que, tant du côté du collaborateur que du manager, mais aussi des équipes, les représentations en matière de présentéisme vont évoluer ainsi que les normes et les pratiques. Il est probable que « venir malade au travail » ne soit plus perçu de la même manière, ne provoque plus les mêmes émotions ni les mêmes réactions du côté de l’employé, et que les modes de gestion de l’employeur à cet égard soient différents.

Bénédicte Berthe

Maître de conférences en sciences économiques à l’université Bretagne Sud, enseignante à Vannes, en master gestion des ressources humaines, spécialisation temps partagé (membre du réseau Référence RH) et chercheuse au Lego, ses travaux portent sur le comportement du travailleur.

Marc Dumas

Professeur des universités en sciences de gestion à l’université Bretagne Sud, directeur de l’institut de management de la faculté de droit, sciences économiques et de gestion, enseignant à Vannes en master gestion des ressources humaines, spécialisation temps partagé (membre du réseau Référence RH) et chercheur au Lego, ses travaux portent sur les temps de travail, sur la qualité de vie au travail et sur l’implication.

(1) Gosselin, M. Lauzier R., 2011, « Lorsque la présence n’est pas garante de performance », Revue française de gestion, vol. 211, p. 15-27.

Monneuse D., De Boeck, 2013, « Le surprésentéisme, travailler malgré la maladie ».

(2) Berthe B., Dumas M., 2020, « Le présentéisme et ses leviers émotionnels comme problématique managériale : une étude par entretiens semi-directifs auprès du personnel soignant », Revue interdisciplinaire, management, homme, entreprise, hiver, n° 38, p. 25-48.

(3) Hemp P., 2004, « Presenteeism : at work – but of out it », Harvard Business Review, october, p. 49-121.