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Maintenir l’emploi à tout prix pendant la crise

Décodages | Europe | publié le : 01.10.2020 | Lys Zohin

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Maintenir l’emploi à tout prix pendant la crise

Crédit photo Lys Zohin

Dès que la Covid-19 a touché l’Europe, plusieurs pays ont adopté des mesures en faveur du chômage partiel. Si le Gouvernement affirme que le dispositif français est le plus généreux dans ce domaine, il est surtout le moins contraignant…

« Le système de chômage partiel le plus généreux d’Europe » : rappelez-vous, c’est ce dont s’enorgueillissait, en mars dernier, juste après le début du confinement, le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe. Reste que les comparaisons sont délicates, tant les schémas sont hétérogènes, évolutifs et assortis ou non de contraintes. Toujours est-il que face à la crise sanitaire, nombre de gouvernements européens ont volé au secours des entreprises, en adoptant la prise en charge partielle du paiement des salaires. Une façon de préserver le capital humain en vue de la reprise. L’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suisse, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Royaume-Uni ont, à des degrés divers, agi en ce sens. Ces dispositifs ont parfois évolué, pour être élargis à certaines catégories oubliées au départ – comme les indépendants – ou réduits lors du déconfinement. Tous s’arrêteront à un moment ou à un autre – même s’ils peuvent être prolongés en fonction de la situation – et « jusqu’à la mi-2021, s’ils sont dégressifs et pas trop généreux », avance Holger Schmieding, chef économiste au sein de la banque allemande Berenberg située à Londres. Le « Coronavirus Job Retention Scheme » britannique, lancé le 20 mars, devrait en tout cas s’éteindre au 31 octobre 2020, tandis qu’en Espagne, les « Expedientes de Regulación Temporal de Empleo » (ERTE), lancés le 14 mars et prévus jusqu’en juin, ont d’abord été étendus jusqu’à septembre, puis, pour les secteurs les plus affectés seulement – comme le tourisme – jusqu’à la fin de l’année. En Allemagne, les compensations en matière de chômage partiel, en place depuis le 13 mars 2020 (et rétroactives depuis le 1er mars) – le Kurzarbeit – sont prévues sur 12 mois (contre six mois pour le Kurzarbeit de base) et jusqu’au 31 décembre 2020. Le 25 août, elles ont été prolongées à 24 mois.

En France, l’accès au chômage partiel a été prolongé jusqu’en décembre pour les secteurs les plus touchés comme le tourisme, la culture, le sport ou l’événementiel. Pour le reste de l’économie, l’autorisation d’activité partielle est accordée pour une durée maximum de douze mois. Les entreprises qui sont couvertes par un accord sur l’activité partielle de longue durée (APLD) pourront y recourir pour deux ans et l’accès sera ouvert jusqu’au 1er novembre.

Au-delà de la durée et des conditions d’obtention, les comparaisons internationales – comme celle de la Banque centrale européenne – se concentrent, à l’image du discours français, sur le taux de remplacement du salaire. En France, le décret du 25 mars 2020 stipule une « baisse d’activité ou des difficultés d’approvisionnement pouvant être objectivées », alors qu’en Allemagne, les entreprises peuvent recevoir des compensations si au moins 10 % de leurs effectifs (contre un tiers pour le Kurzarbeit habituel) sont affectés par une réduction des heures de travail. Et un salarié, en Allemagne, ne reçoit que 60 % de son salaire net de référence pour les heures chômées (67 % pour les salariés ayant au moins un enfant à charge), contre environ 84 % en France. Par ailleurs, jusqu’à fin 2020, les salariés au chômage partiel en Allemagne verront leur compensation grimper en fonction de sa durée. Ainsi, à partir du quatrième mois, à condition de travailler au moins à mi-temps, ils percevront 70 % du salaire net de référence au titre des heures chômées (77 % pour les salariés ayant au moins un enfant à charge) et à partir du septième mois, 80 % (87 % pour les salariés ayant au moins un enfant à charge).

Gérer dans la durée.

La Confédération allemande des syndicats (DGB) s’est dite satisfaite de cette progressivité « parce que les salariés ont plus de mal à joindre les deux bouts sur une longue période », explique Ruxandra Empen, du département de la politique emploi de la DGB. Enzo Weber, directeur de la recherche au département de prévision et d’analyse macroéconomique de l’université de Regensburg, en Bavière, estime au contraire que cette progressivité est « le fruit d’un compromis politique hâtif entre la droite et la gauche, qui envoie un mauvais message puisqu’on peut vouloir s’appuyer sur le système le plus longtemps possible ». En outre, « le dispositif bénéficie davantage aux secteurs industriels, très impactés certes, mais dont les salaires sont élevés, et moins aux services (restauration et autres). Puisqu’ils ont repris en partie leurs activités, les services entrent moins dans les critères alors que les salaires y sont bas », ajoute-t-il.

Conditions d’obtention.

En France, pas de progressivité pour les salariés, mais une dégressivité pour les entreprises. Ainsi, alors que depuis le 25 mars, l’indemnité versée au salarié pour les heures non travaillées était prise en charge à 100 % par l’État et par l’Unédic, dans le sillage du déconfinement, les conditions ont été revues au 1er juin. L’indemnité versée au salarié reste inchangée : il perçoit 70 % de sa rémunération brute (soit environ 84 % du salaire net), et au minimum le Smic net. La prise en charge par l’État et par l’Unédic est de 85 % de l’indemnité versée au salarié, dans la limite (inchangée) de 4,5 Smic (soit 6 927,39 euros bruts). Les entreprises sont remboursées à hauteur de 60 % du salaire brut au lieu de 70 % précédemment. Depuis le 1er juillet, l’État français soutient également les entreprises faisant face « à une réduction d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre leur pérennité ». Les sociétés concernées (dans les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile…) pourront diminuer leur temps de travail dans la limite de 40 % sur une période pouvant aller jusqu’à deux ans, à condition que cette réduction fasse l’objet d’un accord majoritaire collectif dans l’entreprise ou dans la branche et qu’il inclut des « engagements spécifiquement souscrits en contrepartie, notamment pour le maintien de l’emploi ». Le salarié percevra 84 % de son salaire net, tandis que l’entreprise sera compensée à 85 % de l’indemnité allouée au salarié pour un accord conclu avant le 1er octobre, et à 80 % à partir du 1er octobre. En Espagne, en revanche, quels que soient leur situation ou leur secteur d’activité, les entreprises doivent s’engager à maintenir les salariés dans l’emploi pendant au moins six mois pour recevoir l’aide de l’État. En cas de suspension du contrat de travail ou de réduction des heures travaillées, le calcul se fonde sur la moyenne de ce qui a été touché par le salarié sur les six derniers mois (contre un an pour les indemnités chômage habituelles) : le chômeur perçoit 70 % de son salaire pendant les six premiers mois et 50 % ensuite, avec un maximum de 1 100 euros par mois sans enfant, de 1 254 euros avec un enfant et de 1 411 euros si le foyer compte deux enfants ou plus. Enfin, aux Pays-Bas, depuis le 17 mars, le Now remplace le système habituel de soutien en cas de réduction des heures travaillées. Les entreprises qui souhaitent en bénéficier doivent afficher, sur trois mois consécutifs (à l’origine, entre le 1er mars et le 31 juillet et désormais jusqu’en septembre), un recul de leurs revenus nets d’au moins 20 %. Les entreprises doivent poursuivre le paiement total des salaires habituels pendant la période de compensation de l’État et ne pas licencier pour des raisons économiques, techniques ou organisationnelles. Ainsi, si les revenus de l’entreprise baissent de 100 %, les employeurs seront compensés à hauteur de 90 % des coûts salariaux et si les revenus baissent de 50 %, de 45 % des coûts salariaux, et de 22,5 % si les revenus reculent de 25 %. La compensation est plafonnée à 9 538 euros bruts mensuels par salaire. Le dispositif est également assorti de contraintes (formation, rachat d’actions, distribution de bonus aux dirigeants, dividendes). « Certaines entreprises rajoutent à l’aide de l’État pour payer la totalité du salaire. Si elles ont assez d’argent pour le faire, je ne vois pas pourquoi l’État leur interdirait de distribuer des dividendes », commente cependant Holger Schmieding.

Faire face à l’urgence.

En Italie, un « puzzle de mesures », selon l’expression de Sergio Noto, professeur en sciences économiques à l’université de Vérone, est en place, en fonction des secteurs impactés et des régions. Le principal outil est le CIGS (Cassa Integrazione Guadagni Straordinaria). Depuis le 23 février, au titre des heures chômées, la caisse couvre 80 % du salaire brut de référence, dans la limite de 40 heures par semaine et d’un plafond de 939,89 euros par mois pour les salaires inférieurs à 2 159,48 euros et de 1 129,66 euros pour les salaires supérieurs à 2 159,48 euros. La durée de l’indemnisation a été fixée à 18 semaines maximum entre le 23 février et le 31 octobre 2020. « Mais ce système n’est valable que pour les ETI et les grandes entreprises, relève le professeur Noto. Or le tissu économique italien est majoritairement fait de très petites entreprises. Faute de plan élaboré, le Gouvernement a choisi, face à l’urgence, d’envoyer directement de l’argent aux gens. » Grâce à l’arrivée prochaine de fonds européens, le Gouvernement a annoncé, en août, une enveloppe supplémentaire pour la caisse de financement du chômage partiel, en vue d’une extension de celui-ci, assorti d’une interdiction des licenciements collectifs sur l’année pour les entreprises bénéficiaires du dispositif.

Par ailleurs, au Royaume-Uni, pour être éligibles au programme, les employeurs doivent verser à leurs salariés sans activité 80 % de leur salaire, dans un plafond de 2 500 livres (environ 2 700 euros) – ce qui signifie qu’un salarié a droit, par exemple, à 60 % du plafond s’il est au chômage pendant 60 % de son temps habituel de travail. Et le niveau de l’aide de l’État versée aux employeurs recule depuis le 1er août. Ainsi, en septembre, le Gouvernement paie 70 % des salaires pour les heures non travaillées, dans un plafond équivalent à 2 400 euros environ. En octobre, l’aide ne sera plus que de 60 % des salaires pour les heures non travaillées, avec un plafond équivalent à 2 000 euros. Une dégressivité incitative qu’apprécie Holger Schmieding, le chef économiste de la banque allemande Berenberg située à Londres.

Difficile, avec toutes ces différences, de s’y retrouver… Mais si l’on excepte l’Autriche, qui a introduit un nouveau Kurzarbeit le 20 mars et dont le taux de remplacement du salaire net est de 85 % (pour un salaire brut allant jusqu’à 2 685 euros), et les Pays-Bas, la France est bien le pays le plus généreux, et surtout, le moins contraignant…

Deutsche qualität

Le Kurzarbeit a prouvé son efficacité durant la crise économique et financière de 2008-2009 : l’Allemagne a été le seul pays du G7 à ne pas connaître une chute de l’emploi en 2009, alors que son PIB se contractait de 5,1 %. Aujourd’hui, compte tenu de la démographie et des pénuries de candidats qualifiés, les employeurs allemands ont plus que jamais intérêt à préserver l’emploi. Mais certains économistes estiment qu’en gardant les salariés, le Kurzarbeit ralentit d’indispensables évolutions dans les entreprises. « C’est pour cela que nous militons pour qu’il soit davantage lié à la formation. Si c’était le cas, il n’y aurait aucun problème entre transformation et besoin de nouvelles compétences », relève Ruxandra Empen, du département de la politique emploi de la DGB.

Auteur

  • Lys Zohin