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Ruée sur un marché très convoité

Dossier | publié le : 01.04.2001 | J.-Ph. D.

Éditeurs de plates-formes, portails spécialisés, fournisseurs de contenu, intégrateurs de solutions, cabinets-conseils… L'e-learning aiguise les appétits d'un grand nombre d'intervenants. Mais les places sont chères.

Moins de 500 millions de francs en 2000. Plus de 1,6 milliard en 2004. Le marché français des formations par Internet ou intranet devrait exploser, si l'on en croit la société d'études américaine International Data Corporation (IDC). Sur le papier, l'e-learning présente, il est vrai, de sacrés avantages par rapport aux formations traditionnelles, dites « présentielles » : suppression des frais de transport et d'hébergement des stagiaires, suivi individualisé des parcours de formation, abolition des distances, mise en place quasi instantanée et auprès d'un grand nombre de salariés…

Les perspectives du marché de la formation en ligne aiguisent naturellement les appétits. D'après la société Fairway, spécialisée dans l'audit, le conseil et la formation, pas moins de 250 prestataires sont déjà présents sur ce créneau en France. Une offre pléthorique qui a de quoi désorienter plus d'un responsable de formation. D'autant que, comme le remarque Marion Blanc, vice-présidente de l'éditeur français de solutions d'autoformation tutorée de bureautique iProgress, « le marché est tellement segmenté que tout le monde peut se déclarer leader dans son domaine ». Edubyweb se présente ainsi comme « le portail francophone de référence en matière d'e-learning », mais Onlineformapro s'autoproclame « premier portail francophone de la formation professionnelle ».

En dépit de cette segmentation, Philippe Joffre, directeur général de Génération Formation, organisateur de salons et éditeur de guides (groupe L'Étudiant), discerne malgré tout trois grands types d'acteurs : « Le marché de l'e-learning se structure autour des fournisseurs de technologie, de contenu et de services. » Reste que, au sein même de ces catégories, des sous-groupes existent. Ainsi, chez les fournisseurs de technologie, les portails spécialisés se distinguent des éditeurs de plates-formes. Ces plates-formes sont des logiciels qui gèrent, sur Internet ou le réseau interne de l'entreprise, les informations et les ressources nécessaires à la formation. Le salarié a la possibilité de s'inscrire à des cours, de s'évaluer grâce à des tests, d'accéder à des contenus d'autoformation, de connaître ses scores et d'établir son tableau de progression. Les tuteurs, de leur côté, peuvent suivre pas à pas et analyser en direct le parcours de chaque « apprenant ».

Très chères plates-formes

Baptisées LMS (pour Learning Management System) par les spécialistes, les plates-formes facilitent le travail administratif des services de formation, avec des outils qui gèrent les catalogues, créent ou transposent les cours sous forme électronique, présentent des modules de facturation ou de paiement en ligne et convoquent les salariés aux sessions de formation par e-mail… Mis au point aux États-Unis, ces superlogiciels sont proposés par des éditeurs spécialisés comme Docent, Saba ou WBT Systems, avec sa plate-forme TopClassn, ou des généralistes comme Lotus (LearningSpace) ou récemment Microsoft, en partenariat avec la plate-forme IntraLearn. Aujourd'hui, des acteurs européens, le suédois Luvit, le britannique Click2learn avec sa plate-forme Ingenium, mais aussi français (Synergie 3R, Syfadis, Sylfide…), les ont rejoints. « Au total, il existe une centaine de modèles de plates-formes dans le monde, indique Philippe Joffre, de Génération Formation. Trente-cinq, environ, sont commercialisées en France. Mais le marché risque de se concentrer. D'ici à quelques années, deux ou trois seulement devraient subsister. »

Car les plates-formes sont chères. Surtout si le client ne possède pas les infrastructures informatiques pour supporter un système aussi lourd. La note peut alors facilement dépasser plusieurs millions de francs, sans compter l'achat des modules de formation. En outre, les LMS ont besoin d'un haut débit. Or « peu de directions informatiques sont prêtes à monopoliser autant de bande passante uniquement pour la formation », souligne Béatrice Hans, responsable des ventes professionnelles chez l'éditeur de CD-ROM d'enseignement aux langues Auralog. Les plates-formes présentent surtout un intérêt pour les grandes entreprises. C'est-à-dire là où l'organisation de la formation est la plus complexe et les économies d'échelle les plus faciles à réaliser. « Notre cœur de cible, ce sont principalement les grands comptes à forte dispersion géographique qui souhaitent intégrer leurs fournisseurs et leurs distributeurs à leur démarche de formation », confirme Dominique Josse, directeur commercial de Saba en France.

Autre inconvénient des plates-formes, les entreprises ne veulent pas se retrouver pieds et poings liés avec un standard. « Elles ne souhaitent pas être prisonnières d'une norme technique, comme en bureautique. Ce qui les obligerait à changer tous les ans de version. En outre, elles doutent de la pérennité des éditeurs de LMS », observe Philippe Gil, fondateur de l'intégrateur eLearning Agency et auteur d'un ouvrage intitulé l'E-Formation (éditions Dunod). Du coup, même si Dominique Josse, de Saba, assure que « 2001 va être une année décisive pour les projets de plates-formes en France », rares sont les entreprises hexagonales à s'être lancées dans cet investissement.

Les éditeurs ont intérêt à avoir les reins solides

En revanche, elles sont nombreuses à avoir choisi la location. En clair : au lieu d'acheter en propre le LMS, elles se contentent d'en louer une partie ou l'ensemble à un hébergeur qui dispose de plusieurs plates-formes. « Les sociétés peuvent ainsi tester en toute liberté autant de solutions qu'elles le souhaitent », explique Nicolas Denjoy, directeur général de SmartCanal qui propose, entre autres, de l'ASP (Application Services Provider). Cette formule souple apparaît tellement séduisante que les éditeurs de plates-formes ne peuvent plus l'ignorer s'ils veulent convaincre les entreprises d'acheter ensuite leurs produits. Docent a signé ainsi un partenariat avec SmartCanal. À défaut de pouvoir vendre LearningSpace, la plate-forme de sa filiale Lotus, IBM s'est résolu à l'héberger dans son département ASP. Comme le souligne Philippe Delanghe, responsable du bureau français de Docent, « les éditeurs de plates-formes ont intérêt à avoir les reins solides pour être capables d'attendre que les entreprises veuillent bien, un jour, sortir leur carnet de chèques ».

Mais, parmi tous les acteurs de l'e-learning, ce sont les portails spécialisés qui ont le plus de souci à se faire. Ces sites Internet proposent des modules de formation en ligne (gratuits ou payants) et toute une série d'outils (articles, logiciels à télécharger, forums de discussion, newsletters, chats…). La plupart possèdent leur propre plate-forme et vendent, à ce titre, différents services, comme le tutorat en ligne, l'organisation et le suivi de parcours… Les plus connus en France sont Studi.com, Edubyweb et Onlineformapro. Reste que leur offre pédagogique est encore limitée. « Il s'agit principalement de textes à trous et de QCM (questions à choix multiples) et très peu de son et de vidéo », constate Béatrice Hans, d'Auralog. En outre, leur viabilité économique n'est pas totalement démontrée. « Ils pensaient gagner de l'argent en vendant des bandeaux publicitaires et des modules de formation en ligne, résume Marion Blanc, d'iProgress. Or la publicité on line ne décolle pas et le commerce électronique ne tient pas ses promesses. Une start-up qui lancerait aujourd'hui un portail d'e-learning ne réussirait pas à lever les fonds nécessaires pour démarrer. »

Même les start-up déjà installées subissent le contrecoup de l'e-krach du printemps 2000. Lâché par Montparnasse Multimédia avec lequel il devait fusionner au sein de RollingMinds, Studi.com n'a pas réussi à convaincre les investisseurs de remettre de l'argent au pot. Résultat : le portail s'apprête à déposer son bilan et à licencier la moitié de ses effectifs, soit plus d'une vingtaine de personnes. De son côté, Onlineformapro envisage de mettre ses compétences à la disposition d'organismes traditionnels de formation, d'universités, voire d'institutionnels comme les conseils régionaux.

Les fournisseurs de contenu sont moins à plaindre. Ils se répartissent entre ceux qui vendent des formations prêtes à l'emploi dites « sur étagère » ou standards et ceux qui proposent du sur-mesure. Les premiers se positionnent essentiellement sur des modules d'enseignement à l'informatique (Lotus Notes, Windows NT, Net-scape, Oracle…), à la bureautique (Word, Excel, PowerPoint…) et aux langues, essentiellement l'anglais.

Le marché est largement dominé par les grands éditeurs anglo-saxons de CD-ROM d'autoformation, comme NETg, SkillSoft ou SmartForce. Les principales plates-formes de formation en ligne ont conclu des partenariats avec eux. « Ces contenus standardisés confortent les vendeurs de LMS dans l'idée qu'il est possible d'industrialiser les processus de formation. Ils veulent que l'on mange du NETg comme on mange du McDo », s'emporte Philippe Gil, d'eLearning Agency. Comme le constate Philippe Joffre, de Génération Formation, « les gros projets actuels de formation en ligne en France se fondent tous sur des contenus spécifiques ». Des petits cabinets-conseils, à l'instar d'Aska ou de SmartCanal, se sont spécialisés dans le développement de modules de formation sur mesure pour le compte d'entreprises. Ce type de prestataires emploie d'anciens formateurs, des spécialistes des techniques de communication et des professionnels de la formation à distance. Reste que, dans la majorité des cas, les entreprises développent déjà, seules ou avec l'aide de consultants, leurs propres cours.

Mais encore faut-il que ces contenus soient compatibles avec les contenants. D'où l'intervention d'un troisième type d'acteur sur le marché de l'e-learning : les fournisseurs de services. Ce sont soit des intégrateurs de solutions, soit des cabinets-conseils. Le travail des premiers consiste à assembler les différentes « briques » de la formation en ligne (LMS, technologies secondaires comme le gestionnaire de plannings d'Adesoft ou les classes virtuelles développées par Centra et InterWise, formations sur étagère ou sur mesure…) en fonction des besoins de l'entreprise. « Bâtir une solution e-learning s'avère très compliqué pour une société, observe Philippe Gil, d'eLearning Agency. Elle se demande sur quels critères elle va choisir sa plate-forme et ses contenus, comment faire de la pédagogie en ligne et comment intégrer l'ensemble du projet à son système d'informations. » Arguant de leur savoir-faire technologique, les SSII, à l'exemple d'Atos, de Cap Gemini ou de Sema Group, commencent à investir le créneau à grande vitesse.

La guerre des Big Five

Mais les cabinets-conseils, et notamment les Big Five, sont encore plus offensifs. En publiant en avril 2000 la première étude consacrée à l'e-learning en France, Arthur Andersen a réussi à se positionner comme un acteur incontournable du marché. « Notre ambition est de devenir le leader », avoue sans ambages Hugues Roy, responsable de la cellule e-learning (35 personnes en France) chez Arthur Andersen Business Consulting. Les Accenture (ex-Andersen Consulting), PricewaterhouseCoopers (PWC) et autres Ernst & Young ne comptent pas lui laisser le champ libre et proposent, à leur tour, une offre e-learning. Selon Philippe Morin, directeur de l'association de promotion de la formation ouverte et à distance Algora (ex-Oravep), « les Big Five sont les acteurs qui vont le mieux tirer leur épingle du jeu. Primo parce que leur expertise dans le conseil est reconnue. Secundo parce qu'ils possèdent de grosses capacités de financement. Un paramètre indispensable pour une activité comme la formation en ligne qui nécessite de lourds investissements. Tertio parce qu'ils ont déjà leurs entrées chez les grands comptes. Enfin parce qu'ils développent depuis longtemps leur propre contenu ». Depuis trois ans, PWC commercialise « Insider », une série de CD-ROM de formation sur les marchés financiers et la gestion de trésorerie. Arthur Andersen vend, uniquement aux États-Unis, des modules d'enseignement aux métiers de l'audit et de l'expertise comptable.

En outre, les cabinets-conseils figurent parmi les premières entreprises au monde à s'être lancées dans l'e-learning. « Après la fusion de PriceWaterhouse et de Coopers & Lybrand, la direction générale a souhaité instaurer une culture commune, notamment par l'utilisation d'une nouvelle méthodologie, et a donc diffusé à tous les salariés un CD-ROM de formation », se souvient Fouad Arfaoui, associé chargé de la formation chez PWC. Depuis 1994, l'ensemble des collaborateurs d'Arthur Andersen a accès, sur le réseau interne, à près de 400 modules de formation. « Nos consultants ont sans cesse besoin de remettre à jour leurs compétences, explique Hugues Roy. En outre, comme les recrutements s'étalent désormais tout au long de l'année, il fallait trouver un dispositif plus souple que les séminaires d'intégration. » Autant d'expériences que les cabinets-conseils ne manquent pas de mettre en avant.

Pour autant, rien n'est gagné pour les Big Five. Ils pourraient, à l'avenir, avoir à se frotter à encore plus forts qu'eux : les entreprises elles-mêmes. « Si le marché de l'e-learning s'avère juteux, les gagnants de demain s'appelleront sûrement France Télécom ou Vivendi, pronostique Philippe Gil, d'eLearning Agency. Le premier parce qu'il maîtrise les tuyaux. Le second parce qu'il possède, avec Havas (devenu Vivendi Universal Publishing, NDLR), un stock inépuisable de contenus. » Une stratégie que les deux mastodontes mènent déjà sur le créneau du ludo-éducatif, avec le site @près l'école pour France Télécom et le portail Education.com pour Vivendi.

Auteur

  • J.-Ph. D.