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Décodages

« Juridiquement, le vêtement est une liberté individuelle, mais pas fondamentale »

Décodages | Travail | publié le : 01.02.2020 | Lucie Tanneau

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« Juridiquement, le vêtement est une liberté individuelle, mais pas fondamentale »

Crédit photo Lucie Tanneau

Que dit le Code du travail sur la tenue à adopter au travail ?

Florent Hennequin : Le vêtement est une liberté individuelle, mais pas fondamentale. Toutefois le Code du travail (article L. 1121-1) la protège, tout en permettant des restrictions qui doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. L’hygiène, la sécurité, le contact avec la clientèle, la décence peuvent ainsi être avancés par l’employeur mais cela doit être apprécié au cas par cas.

Comment entendre la limite de la décence ?

F. H. : Il n’y a pas de règle générale, mais une appréciation « in concreto » par le juge. La jurisprudence donne des indices. Par exemple, le juge considère que l’employeur peut interdire à une secrétaire d’agence immobilière en contact avec la clientèle de se présenter au bureau en survêtement (chambre sociale de la Cour de cassation, 6/11/2001 n° 99-43.988). De même, il a été reconnu le droit pour l’employeur d’interdire à un salarié de venir travailler en bermuda (contact avec la clientèle, 12/11/2008, n° 07-42.220). On a aussi pu demander à un charcutier de se présenter avec une tenue propre (29/02/1984, n° 81-42.321) ou à une assistante de direction d’enfiler un soutien-gorge sous sa chemise blanche transparente (22/07/1986, n° 82-43.988). A contrario, dans une situation où l’employeur a voulu interdire des coiffures ou des piercings pour des raisons esthétiques, le juge a pu considérer que cela portait atteinte à la liberté individuelle.

Dans le cas inverse, non pas d’une restriction mais d’une obligation de port d’un vêtement, que peut exiger ou non un employeur ?

F. H. : Les règles sont les mêmes : il faut que la tenue soit justifiée. Ainsi, les blouses le sont seulement sur certains postes, non pour une entreprise entière, de même que les uniformes d’agent de sécurité ne sont pas forcément jugés nécessaire pour les personnes attachées à la vidéosurveillance. Sur la question des talons hauts, je pense qu’un employeur qui exigerait leur port serait débouté par le juge car même si l’uniforme était nécessaire, porter des talons hauts ou bas n’est pas un élément fondamental. Les exiger ne serait sans doute pas proportionné au but recherché, alors que ça pourrait nuire à la santé de la salariée.

Les signes religieux entrent-ils dans le champ de l’habillement ?

F. H. : C’est encore plus délicat car on touche à la liberté de conviction, qui elle est reconnue comme fondamentale. On ne peut y porter atteinte que de manière très encadrée. Ainsi, il y a eu la saga judiciaire Babyloup (une salariée de crèche peut-elle ou non porter un voile ? Le licenciement a été validé), nuancée depuis par l’affaire Micropole (le licenciement d’une salariée voilée, dont un client s’était plaint, a été annulé suite à un recadrage de la Cour de justice de l’Union européenne).

Désormais, si l’employeur souhaite mettre en place une règle de neutralité interne, celle-ci doit être générale (convictions religieuses, politiques et philosophiques), sous peine d’être jugée discriminatoire, et figurer dans le règlement intérieur ou dans un document équivalent (article L 1321-2-1 du Code du travail).

De quels moyens dispose un employeur face à un employé qu’il estime vêtu de manière inadaptée ?

F. H. : S’il estime être dans son droit, l’employeur peut faire une injonction au salarié de se conformer à ses directives, puis, au besoin, entrer dans une logique de sanction, pouvant aller éventuellement jusqu’au licenciement. Il faut toutefois être certain que l’on a une bonne raison d’imposer des restrictions à la liberté vestimentaire car le juge contrôlera au cas par cas. L’employeur ne doit pas oublier qu’il porte atteinte à une liberté individuelle, voire fondamentale en matière de signes religieux, et qu’il doit être en mesure de le justifier par des éléments objectifs liés à l’intérêt de l’entreprise.

Auteur

  • Lucie Tanneau