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Une coopérative pour sauver son emploi

À la une | publié le : 01.02.2020 | Irène Lopez

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Une coopérative pour sauver son emploi

Crédit photo Irène Lopez

Le modèle des Scop est utile en cas de casse sociale. Illustion avec Scop-TI et La Fabrique du Sud, deux coopératives nées sur les cendres d’usines fermées.

Jeannette, Phil’Print, Fralib, SeaFrance, Pilpa… L’imaginaire collectif des salariés est nourri de ces entreprises en difficulté sauvées, pour certaines, par la seule volonté des collaborateurs. Avec la donation ou la vente, la transformation en Scop (société coopérative et participative) est un des trois moyens de transmettre une entreprise à ses salariés. Fralib et Pilpa sont emblématiques de ce cas de figure. Ce sont les seuls exemples issus du combat social.

En 2010, la lutte des Fralib (Française d’alimentation et de boissons, gérée par Unilever, fabricant des thés Lipton et des infusions Eléphant) a été abondamment médiatisée. Le bras de fer avec Unilever pour empêcher la fermeture de l’usine dans les Bouches-du-Rhône a duré 1 336 jours. Ce chiffre est devenu le nom de la marque du thé qu’ils produisent désormais, après avoir repris l’usine en coopérative en 2014. Ancien délégué syndical CGT de Fralib, toujours militant, Olivier Leberquier est devenu directeur général délégué de Scoop-TI. Il raconte : « Lorsque la multinationale décide de fermer le site provençal, il y a deux options : soit on s’expatrie en Pologne, nouveau lieu de production, avec un salaire annuel de 6 000 euros, soit on quitte l’entreprise. » Les salariés se rebellent et refusent que l’usine soit vidée de son appareil productif : ils l’occupent donc, en toute illégalité, avec déjà l’idée d’une reprise. À trois reprises, la direction de Fralib présente un plan de sauvegarde de l’emploi censé justifier la délocalisation. À trois reprises, la justice l’annule et les salariés se tournent vers les médias, passionnés par cette histoire de pot de fer contre pot de terre. Olivier Leberquier précise : « De 182 personnes au moment de l’annonce de la fermeture de l’usine par Unilever en 2010, nous sommes passés à 58 coopérateurs, dont 41 salariés. »

De nouveaux métiers

En 2012, l’industriel Pilpa condamne son usine de crèmes glacées à Carcassonne, laissant 124 salariés sur le carreau. Inspirés par les Fralib, 19 travailleurs de Pilpa résistent : actions en justice et communication tous azimuts à destination du grand public. Jusqu’à un compromis : « L’ancien employeur nous a aidés en nous laissant les outils de production. Nous étions tous au chômage, nous avons créé la Scop grâce à nos indemnités. Et nous avons vu autrement l’entreprise gouvernée par les salariés », indique Christophe Barbier, président et responsable développement de La Fabrique du Sud, nom de la Scop créée. Les salariés restés sont issus à 90 % de la production. « Il nous manquait des compétences, ajoute-t-il. Certains d’entre nous ont dû se reconvertir en agent commercial, une ancienne chef de ligne est devenue comptable, moi président ! » La Fabrique du Sud mise tout sur la qualité de La Belle Audoise, sa marque de glaces : crème fraîche, lait entier, pas d’arôme ajouté, entre 50 et 75 % de teneur en fruits pour les sorbets… « Nous avons créé de nouveaux métiers : des créateurs de parfums et des spécialistes des formulations ont été nécessaires pour mettre en œuvre cette stratégie de qualité. Nous sommes revenus à de l’artisanat, tel qu’était conçue la glace il y a 40 ans. Nous préparons 5 000 pots à la journée, contre 12 000 à l’heure chez Pilpa. »

La Fabrique du Sud a lancé ses produits sur le marché il y a cinq ans, un peu avant que Scop-TI ne propose les siens. Pour démarrer, cette dernière a bénéficié de la solidarité d’associations, de particuliers, de syndicats, de collectivités et, bien entendu, des travailleurs.

Une campagne de socio-financement

Ces exemples sont des success stories. Pourtant, les difficultés sont réelles. Les deux Scop ont dû se retrousser les manches pour développer les contrats. Concernant La Fabrique du Sud, Pilpa est parti avec le carnet d’adresses des clients. Du côté de Scop-TI, la marque Eléphant s’est envolée avec Unilever. Les coopérateurs de Scop-TI travaillent pour des marques « distributeurs » de grandes enseignes. Elles représentent pour l’heure 80 % de la production, pour 50 % du chiffre d’affaires. Les marques « maison », 1 336 et Scoop-TI, génèrent le reste de l’activité, soit 20 % apportant l’autre moitié du chiffre d’affaires. Indépendante depuis 2014, l’usine cherche encore son équilibre financier. La phrase d’Olivier Leberquier « On n’a pas géré en bons capitalistes ; ça tombe bien, on n’a pas envie d’être de bons capitalistes » est désormais célèbre. Il n’hésite pas à la citer quand il s’exprime dans les médias.

Aujourd’hui, la Scop continue de faire appel aux dons en lançant une campagne de socio-financement. « Nous avons besoin d’un financement supplémentaire, les banques ne nous apportant aucun soutien… Avec une participation de votre part même modeste, nous pourrons poursuivre cette belle aventure, qui est également la vôtre ; et ainsi pérenniser l’avenir de notre site et nos emplois », peut-on lire sur le site Internet de Scop-TI. Au 20 décembre 2019, la générosité de 3 055 donateurs avait permis de récolter 383 819,60 euros. La Fabrique du Sud a, quant à elle, affiché un chiffre d’affaires de 2,650 millions en 2018 (contre 750 000 euros en 2014). Tous les salariés, sociétaires, se sont payés dès les premiers mois. Le salaire le plus bas s’élevait à 1 250 euros net et le plus haut à 1900 euros net. Aujourd’hui, toutes les rémunérations ont été relevées de 150 euros net.

Décider de façon démocratique

Comme toutes les entreprises, les Scop ont une organisation et une direction. Seules les grandes décisions stratégiques sont prises avec l’ensemble des salariés associés lors des assemblées générales. Au quotidien, la direction assume pleinement son rôle. La pédagogie du responsable, l’écoute et l’implication du personnel facilitent la prise de décision. Le mot synergie prend tout son sens. Le dirigeant d’une Scop est d’autant plus légitime que ce sont les salariés qui l’ont choisi. Les rapports sociaux sont par nature plus équilibrés. « C’est aujourd’hui l’assemblée des coopérateurs qui est souveraine. Il y a bien sûr un conseil d’administration et un comité de pilotage, mais chaque coopérateur a la possibilité de remettre en cause leurs décisions » s’enorgueillit Olivier Leberquier. Ce que confirme la standardiste de Scop-TI : « Quand nous avons une décision à prendre, nous fermons l’usine et nous nous réunissons. Nous procédons à un vote. C’est très simple. Tout le monde a voix au chapitre. » D’un montant de 440 000 euros, le capital de La Fabrique du Sud est détenu par 23 de ses 24 salariés. Christophe Barbier explique : « Dans une Scop, nous sommes tous impliqués, tous responsables. Il y a des cadres dirigeants et des responsables de service pour garantir une bonne gestion de l’activité. Mais nous pouvons tous décider de façon démocratique. Tous les quatre ans, il y a des élections pour remettre en question la présidence ou décider de sa reconduction. » Dans une Scop, les individus ont une double casquette. Le sociétaire mène l’entreprise, son rôle est régi par les statuts de la Scop. Le salarié exécute les décisions prises par les sociétaires, sa fonction dépend du droit du travail.

Une entreprise comme les autres

Le guide juridique des Scop prévient que créer une coopérative ne présente pas plus de difficultés qu’une entreprise traditionnelle. Rédiger des statuts, assurer les démarches avec les administrations et avec les financiers, solliciter les clients…

Les Scop sont des entreprises à part entière, exposées pleinement à la concurrence. Elles sont confrontées à l’impératif de profitabilité. Ce qui les distingue, c’est l’utilisation de leurs profits, tournés en priorité vers les salariés et vers la pérennité de l’entreprise, sans oublier, cependant, de rémunérer le capital. Christophe Barbier est prudent : « La situation reste fragile. Le marché des glaces est très concurrencé. D’autant plus que personne ne nous attend. Nous acheter est, par conséquent, un acte militant. Aujourd’hui, notre production est distribuée à 90 % en grande surface. 400 supermarchés nous font confiance et nous positionnent dans les linéaires, à côté de grandes marques comme Häagen-Dazs. Nous aimerions maintenant nous développer et être distribués dans les restaurants. »

Un modèle méconnu

Une Scop est une société coopérative et participative dont les salariés sont les associés majoritaires. Il en existe plus de 3000 en France. Leur fonctionnement, les conditions de leur création et leur pérennité véhiculent fréquemment des clichés. Tentons de démêler le vrai du faux.

Les salariés sont-ils seuls maîtres à bord ?

Dans une Scop, les salariés sont associés majoritaires à au moins 51 % du capital, et à 65 % des droits de vote. Toutefois, tous ne sont pas forcément associés de leur entreprise, même s’ils ont tous vocation à le devenir. Une Scop peut accueillir des associés extérieurs susceptibles de détenir jusqu’à 49 % du capital, et 35 % des droits de vote.

Le partage du profit est-il équitable ?

Le profit est répari comme suit : une part pour tous les salariés, sous forme de participation et d’intéressement ; une part pour les associés sous forme de dividendes ; une part pour les réserves de l’entreprise.

Les Scop sont-elles créatrices d’emplois ?

En 2018, le Mouvement des sociétés coopératives comptait 60400 emplois, avec en vue le cap des 70 000 à l’horizon 2020. Les effectifs ont augmenté de 4,5 % dans l’année, et de 12,9 % depuis fin 2016. 3311 coopératives sont désormais actives sur le territoire français, générant un chiffre d’affaires agrégé de 5,5 milliards d’euros, en progression de 6,2 % sur un an.

La Scop est-elle synonyme de solution pour sauver les entreprises en difficulté ?

Sur les quelque 200 Scop déclarées chaque année, moins de 5 % sont issues de redémarrages d’entreprises en difficulté. La très large majorité des créations sont des nouvelles entreprises ou des transformations en Scop à la suite du départ à la retraite du dirigeant fondateur.

La position du dirigeant est-elle plus fragile ?

Dans une Scop, il y a un dirigeant comme dans n’importe quelle entreprise. Mais celui-ci est élu par les salariés associés. Dans la pratique, rares sont les cas d’éviction précoce. Au contraire, la durée moyenne d’exercice d’un dirigeant de Scop est d’une vingtaine d’années.

La Scop est-elle adaptée à tous les métiers ?

Il est possible d’entreprendre en Scop dans tous les métiers. Aujourd’hui, un tiers des emplois se situe dans le BTP, un quart dans l’industrie et plus de 40 % sont dans les services de toutes natures.

Est-ce un modèle pérenne ?

Le taux de survie à trois ans des entreprises créées en Scop s’élève à 82 %, au-dessus de la moyenne nationale (66 %). À cinq ans, le taux atteint 65 % contre 50 % pour l’ensemble des entreprises françaises1.

La Scop rend-elle heureux ?

L’édition 2017 du baromètre Chorum-CSA de la qualité de vie au travail dans l’économie sociale et solidaire (ESS), montre que les salariés et dirigeants de coopératives sont en moyenne plus heureux au travail que leurs homologues des autres statuts de l’ESS. Ils notent 7 sur 10 leur qualité de vie au travail, contre 6,3 dans les associations, 5,8 dans les mutuelles, 5,7 dans les fondations (la note est de 6,1 dans les entreprises du secteur privé).

(1) Source : Insee.

Auteur

  • Irène Lopez