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Idées

Pôle emploi : la machine à broyer ?

Idées | Livres | publié le : 01.12.2019 | Lydie Colders

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Pôle emploi : la machine à broyer ?

Crédit photo Lydie Colders

Un livre-enquête édifiant, où l’on découvre la situation de agents harcelés, sous la pression des résultats. Et qui n’épargne ni la direction ni les syndicats.

Pourquoi, après la réforme de l’assurance-chômage, en juin dernier, Muriel Pénicaud a-t-elle suspendu la réduction des effectifs de Pôle emploi, et même prévu 1 000 agents supplémentaires sur trois ans ? Pour les journalistes Margaux Duguet, Catherine Fournier et Valentine Pasquesoone, auteures de « Pôle emploi. La face cachée », « le contexte social et la mobilisation des agents ne seraient pas étrangers à cette prise de décision de l’exécutif ». Car, depuis 2014, Pôle emploi est dans le viseur de la justice, une plainte étant toujours en cours d’instruction concernant « plus de 17 suicides » d’agents entre 2009 et 2014, rappellent-elles. Partant de cette information judiciaire déclenchée par le suicide « de trop » d’une jeune conseillère, les trois journalistes analysent les rouages « de cette machine à broyer » que serait devenu l’opérateur, de 2009, année de la fusion, à aujourd’hui.

Obsession des résultats

Avec des récits glaçants – parfois jusqu’à l’overdose – d’agents de Pôle emploi victimes de burn-out, de harcèlement, ainsi que des récits, par leurs collègues ou par des syndicalistes, du drame rencontré par les personnes qui se sont suicidées, le livre passe au crible une organisation du travail devenue pathogène : fusion à marche forcée (lutte entre « le clan » des ex-ANPE et celui des anciens de l’Assedic, très bien illustrée), pression « de la politique du chiffre » devenue infernale, injonctions « schizophréniques »… Plus inédit, les journalistes décrivent en détail la folie de « l’évaluation permanente » qui gagnerait l’opérateur. À lire en particulier : la bataille perdue par les syndicats pour faire interdire un outil dit « d’observation de la relation de service », permettant à la hiérarchie d’étudier le comportement d’un conseiller in situ, suite à la tentative de suicide d’une agente qui avait refusé de s’y soumettre. Un exemple « de flicage » arbitraire qui subsisterait donc, d’après les auteures.

Omerta de la direction

Si le parallèle avec les suicides chez France Télécom est souvent évoqué, l’ouvrage, s’appuyant sur de nombreux rapports d’expertise des élus ou sur les réponses de la direction de Pôle emploi (fiches de remontées de signalement face aux cas de harcèlement moral), montre que le malaise perdure : des récits sombres attestent que d’autres tentatives de suicide auraient eu lieu en 2018, frappant notamment les conseillers d’indemnisation, « à bout ». Les journalistes parlent d’« une omerta au sein de l’encadrement » sur des cas de harcèlements signalés il y a quatre ans, qui se seraient réglés avec des mutations discrètes des harceleurs. Et, plus grave, de « rapports tronqués » sur les risques psychosociaux en 2014, sous la direction de Jean Bassères. Cette enquête ciselée critique aussi les syndicats de Pôle emploi, « réticents » et divisés. Les auteures soulignent ainsi que la CFTC, pourtant à l’origine de l’information judiciaire en cours, s’est retirée de la plainte.

Pôle emploi. La face cachée.

Margaux Duguet, Catherine Fournier et Valentine Pasquesoone, éditions de l’Atelier, 240 pages, 18 euros.

Auteur

  • Lydie Colders