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Comment gérer les relations avec les parties prenantes ?

Idées | Débat | publié le : 01.12.2019 |

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Comment gérer les relations avec les parties prenantes ?

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Si les actionnaires, ou shareholders, des petits porteurs aux fonds « activistes » ont été sous les feux de l’actualité ces dernières années, place, désormais, aux parties prenantes, les stakeholders. Des tiers que les entreprises doivent prendre en considération, afin d’être en adéquation avec les évolutions légales et sociétales. Dès lors, une question se pose…

Éric Camel : PDG d’Angie Consulting.

La théorie classique qui voulait que tout passe par le marché – ainsi, une entreprise produisait quelque chose et le vendait aux consommateurs – a été revisitée, pour y inclure désormais les externalités, autrement dit les effets des activités de l’entreprise sur l’environnement, sur le social et sur le sociétal. L’entreprise a donc des responsabilités supplémentaires, contenues dans la notion de RSE et dans celle des parties prenantes. Il s’agit donc, à partir d’un comité des parties prenantes, d’établir un dialogue. Les parties prenantes doivent en effet être averties des risques, mais une fois la mesure des risques prise, puis les engagements pour les contrer consentis, encore faut-il contrôler les résultats et les faire certifier par un tiers. Or, à part la certification B Corp, il n’existe pas aujourd’hui de dispositif satisfaisant, au même titre qu’il en existe un pour les comptes de l’entreprise. Pour l’instant, on contrôle le financier, mais pas l’extra-financier. Dès lors, deux solutions sont possibles. On peut tenter de « monétiser » les externalités pour les faire rentrer dans la comptabilité traditionnelle certifiée, ou alors on normalise les externalités, pour, là aussi, les faire rentrer dans un système vérifiable et transparent. Quelle que soit la solution choisie, elle prendra en compte aussi bien les impacts négatifs liés aux activités des entreprises que les effets positifs, induits par des politiques proactives. Ainsi, si la loi Pacte réaffirme de façon nette la primauté de l’actionnaire, elle encourage également à la responsabilité et à l’adoption, de la part des entreprises, d’une raison d’être. Un dialogue suivi et approfondi avec les parties prenantes, associé à une meilleure transparence et une plus grande fiabilité de la mesure d’impact, aura, en outre, une vertu supplémentaire, celle de jouer en faveur des organisations dans une bataille capitale qu’elles ont à mener : la confiance vis-à-vis du public.

Françoise Weber : Présidente du conseil des parties prenantes Korian.

J’ai découvert le dialogue avec les parties prenantes dans le contexte des crises sanitaires ou de sujets de société parfois polémiques. J’en ai tiré l’intime conviction que, pour les organismes publics comme pour les entreprises, le dialogue avec les parties prenantes est une nécessité et un atout. J’ai la chance de présider le premier conseil des parties prenantes du secteur médico-social, celui de Korian. Si le dialogue avec les parties prenantes y était déjà une réalité, notamment au niveau des établissements, il ne disposait pas encore d’instance dédiée au niveau de sa gouvernance. À un moment où le groupe vit des évolutions majeures de sa stratégie, avec l’émergence de nouvelles formes de prise en charge, il lui est apparu essentiel que ses parties prenantes soient représentées au niveau d’un conseil. Les conditions de sa mise en œuvre sont essentielles pour sa réussite. Il faut d’abord une volonté des administrateurs et de la direction générale, ainsi que des missions clairement fixées. En l’occurrence, chez Korian, elles sont destinées à éclairer sa gouvernance sur les grands enjeux, voire les risques, liés à sa stratégie. Les visions et les expériences des principales parties prenantes internes et externes y sont portées, de façon constructive. L’entreprise doit être claire dans les questionnements qu’elle soumet au conseil et celui-ci doit répondre en donnant des avis concrets et opérationnels. Enfin, l’entreprise doit savoir faire un retour sur les suites données à ces avis. Le dialogue stratégique avec les parties prenantes devient alors un véritable atout pour l’entreprise et, de façon ultime, pour ceux qui sont impactés par son activité.

Anne-Catherine Husson-Traore : Directrice générale de Novethic.

Cet été, la Business Roundtable, qui rassemble les dirigeants de 180 géants américains comme Apple, Amazon, JP Morgan, etc., a publié une déclaration à la tonalité surprenante. Elle visait à faire descendre de son piédestal le « roi » actionnaire, pour le rétrograder au même rang que toutes les autres parties prenantes ! Le texte expliquait, par exemple, que les entreprises ne devaient pas tout sacrifier sur l’autel du dividende mais aussi, je cite, « investir dans leurs employés en les rémunérant de manière juste et en leur offrant de vrais avantages sociaux ». Ce changement de paradigme transforme en profondeur les entreprises qui, du coup, doivent repenser leurs modèles à l’aune de la juste répartition de la valeur créée entre toutes les parties prenantes. Jusque-là, la maximisation des profits était, dans de nombreux cas, liée à une réduction des coûts concernant en particulier deux parties prenantes : les salariés, à travers la masse salariale, et la collectivité, à travers la fiscalité, l’un comme l’autre devant être le plus faible possible. Signe du changement d’époque, le procès intenté, en 2019, par les salariés de l’usine Procter &Gamble d’Amiens. Ils réclament à l’entreprise plus de 100 millions d’euros, somme correspondant au « manque à gagner sur leur participation aux résultats de l’entreprise ». Ils estiment que la stratégie d’optimisation fiscale mise en place par le groupe américain de lessives, qui rapatrie en Suisse une grande partie des bénéfices générés par son usine française, les a privés chacun de dizaines de milliers d’euros. Leur revendication est un rappel utile sur le rôle que la partie prenante « ressources humaines » joue dans la croissance des entreprises et du risque qui pèse sur elles si les salariés se sentent lésés du fruit de leur travail.

Ce qu’il faut retenir

// Bonne nouvelle. Selon l’Oxford English Dictionary, le mot « stakeholder » (« partie prenante ») apparaît au début du xviiie siècle et s’applique essentiellement aux jeux d’argent. Le stakeholder est celui qui, d’une façon ou d’une autre, a un enjeu (« stake », en anglais), puisqu’il peut être affecté par le succès ou par l’échec de l’opération. Par la suite, le xixe siècle consacre la suprématie des shareholders, les actionnaires. Et ce n’est que dans les années 1960 que la situation commence à s’inverser : le concept de parties prenantes est alors adapté au monde de l’entreprise. Depuis, malgré des hauts et des bas, il n’a cessé de se renforcer. En 1996, peu avant de devenir Premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair n’a-t-il pas soutenu la notion de « société des parties prenantes » ? Autour de 2010, la gestion de la relation entre parties prenantes et entreprises devient une fonction à part entière pour ces dernières. Une nouvelle forme de gouvernance est née. Plus ouverte, davantage inclusive, elle embrasse les salariés, les fournisseurs, les clients, les riverains ; bref, tous ceux pour qui les activités de l’entreprise revêtent un enjeu social, sociétal et environnemental.

// Mauvaise nouvelle. En 2017, la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre vise à mieux prévenir les atteintes aux droits fondamentaux et à l’environnement liées à l’activité des multinationales, de leurs filiales, des sous-traitants et des fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une relation commerciale établie. Deux ans après son adoption, plusieurs associations (Action Aid, Les Amis de la Terre, Amnesty International, CCFD-Terre Solidaire, le Collectif Éthique sur l’étiquette et Sherpa) publient une étude montrant que les premiers plans de vigilance que devaient présenter les entreprises concernées, en 2018, sont souvent incomplets, voire inexistants…

En chiffres

12 %

C’est, selon une récente étude menée par la Stanford Business School, le maigre pourcentage des PDG et directeurs financiers des 1 500 sociétés de l’indice S&P qui estiment que travailler sur les intérêts des parties prenantes est un coût à court terme, mais qui mène à une valeur accrue à long terme.

63 %

C’est le pourcentage de consommateurs qui préfèrent acheter des biens et des services de sociétés dont les valeurs reflètent les leurs, selon une étude menée en 2018 par le cabinet Accenture auprès de 30 000 personnes à travers le monde.