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Analytique RH et algorithmes : quoi de neuf dans la lutte contre les discriminations ?

Idées | Recherche | publié le : 01.12.2019 | Delphine Philip de Saint Julien

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Analytique RH et algorithmes : quoi de neuf dans la lutte contre les discriminations ?

Crédit photo Delphine Philip de Saint Julien

L’essor de l’analytique et des algorithmes renouvelle les questionnements autour des risques de discrimination. En effet, si les outils de ce type permettent, d’une part, de mesurer les discriminations et, d’autre part, de formaliser les critères de sélection et d’évaluation, diminuant ainsi les risques de discrimination directe et de biais inconscients, ils peuvent aussi reproduire des biais existants, et menacer la diversité des équipes.

Depuis plusieurs années, l’utilisation des chiffres et des données par la fonction RH s’est modifiée, en lien avec l’émergence de deux tendances : analytique RH et algorithmes. L’analytique RH (HR Analytics) consiste à mobiliser des méthodes statistiques sophistiquées pour analyser et comprendre des phénomènes RH, souvent dans une optique d’amélioration de la prise de décision. Cette tendance s’inscrit donc pleinement dans la mouvance de l’evidence-based management, ou management/gestion fondé sur les preuves. La mobilisation d’algorithmes en gestion des ressources humaines est plus récente et encore balbutiante, même dans les grandes entreprises. Il s’agit de construire et d’utiliser des programmes informatiques permettant d’automatiser certaines actions ou certaines décisions. Ainsi, dans le domaine du recrutement, il existe de plus en plus d’outils qui permettent d’automatiser la présélection de profils. Plus précisément, trois grands types d’outils peuvent être distingués : 1) les outils qui présélectionnent les CV à partir de critères indiqués par la personne qui recrute ; 2) les outils qui présélectionnent les CV à partir de scores obtenus à des tests de personnalité, de compétences, etc. ; 3) les outils qui font de l’appariement (matching) entre des offres de poste et des CV, généralement à partir d’une analyse sémantique, sans se fonder sur des critères préétablis.

L’apparition de l’analytique et des algorithmes en RH renouvelle les enjeux autour de la lutte contre les discriminations et en faveur de la diversité. En effet, si des voix s’élèvent régulièrement en faveur d’une mobilisation de la quantification pour identifier et donc diminuer les inégalités et discriminations, d’autres pointent du doigt les risques de discrimination engendrés par la mobilisation d’algorithmes1.

L’usage des données et des statistiques, un outil au service de l’identification des inégalités et discriminations

Depuis quelques décennies, le droit français impose aux entreprises des obligations de reporting sur les inégalités, notamment liées au genre (loi Roudy de 1983 sur le rapport de situation comparée, par exemple). Très récemment, l’indice d’égalité professionnelle défini par le Gouvernement et que les entreprises doivent publier annuellement s’inscrit aussi dans cette mouvance d’utilisation des chiffres et des données pour identifier les inégalités. Plus encore, ces différentes obligations visent aussi l’action. Ainsi, la loi Génisson de 2001 impose de mobiliser les indicateurs du rapport de situation comparée dans le cadre de la négociation triennale obligatoire sur l’égalité femmes-hommes pour s’accorder entre partenaires sociaux sur les actions les plus adaptées. Autrement dit, les chiffres sont utilisés pour identifier les discriminations et inégalités, et donc agir pour les réduire. Les mouvements militants suivent d’ailleurs cette logique : quantification du travail domestique non rémunéré par différents mouvements féministes pour souligner son inégale répartition ou pour militer en faveur d’une rémunération de ce travail ; quantification du pourcentage de personnes LGBT+ dans la population par les associations pour insister sur le décalage entre leur importance numérique et leur invisibilité ; mobilisation de méthodes de testing2 pour mesurer les discriminations subies par les personnes issues de l’immigration, par exemple. Certains travaux de recherche s’inscrivent aussi dans cette mouvance, en mobilisant des méthodes statistiques parfois très sophistiquées pour arriver à une mesure la plus précise possible de l’écart salarial par exemple, ou de l’écart d’accès aux responsabilités, entre différentes populations.

La quantification peut donc être mobilisée pour identifier les inégalités et éventuellement mettre en place des actions pour les réduire, et l’analytique RH peut tout à fait s’inscrire dans cet apport, en permettant la mobilisation de méthodes statistiques sur les données RH pour mieux analyser les différentes inégalités et discriminations.

Quantification et formalisation : la diminution des biais inconscients

Par ailleurs, la quantification va souvent de pair avec la formalisation. Par exemple, le premier type d’outil de présélection de CV que nous avons mentionné (présélection des CV à partir de critères indiqués par la personne qui recrute) nécessite la formalisation de critères en amont du recrutement. Ce type d’outil est à double tranchant en ce qui concerne les discriminations. En effet, il mobilisera uniquement les critères indiqués. Cela écarte par exemple les risques de biais inconscient, c’est-à-dire la mobilisation inconsciente de critères non explicités. Ainsi, de nombreuses études montrent l’influence de la photo sur la probabilité que le CV soit sélectionné, soulignant ainsi les risques de discrimination (sans doute en partie inconsciente) sur l’apparence physique. Ce risque disparaît avec un algorithme. En revanche, si la personne qui recrute formalise des critères discriminatoires (genre, nationalité, etc.), l’outil suivra ces critères sans les mettre en question.

Reproduction des biais et menace sur la diversité des profils

Par ailleurs, un algorithme est construit par des êtres humains, et à partir de données passées, et de ce fait il peut contribuer à reproduire des biais et inégalités présents dans l’esprit des personnes qui l’ont conçu ou dans ces données. Ainsi, plusieurs entreprises ont dû renoncer à utiliser des algorithmes de recrutement après avoir constaté que les profils féminins étaient systématiquement écartés des offres de postes techniques. Par ailleurs, la recherche de l’égalité peut passer non seulement par la lutte contre les discriminations, mais aussi par la recherche de diversité. Or, un algorithme présente un risque non négligeable de recrutement de profils très homogènes, c’est-à-dire le fait de recruter toujours le même type de profil pour le même type de poste.

Finalement, l’analytique RH et les algorithmes apportent un soutien à la lutte contre les discriminations, tout en engendrant de nouveaux risques en la matière. Il est alors nécessaire que la fonction RH assume toute sa responsabilité dans ce domaine, par exemple en rappelant les enjeux de non-discrimination et de diversité aux personnes expertes des données qui conçoivent ce type d’outils et en s’assurant bien que les outils contribuent plutôt que nuisent à la diversité.

(1) Voir par exemple les travaux de Cathy O’Neil.

(2) Le testing consiste entre autres à envoyer plusieurs CV identiques, avec uniquement un paramètre qui change (par exemple, le patronyme), pour mesurer l’effet de celui-ci sur la probabilité que le CV soit sélectionné.

Auteur

  • Delphine Philip de Saint Julien