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Ce rire qui démine les situations difficiles

Décodages | Management | publié le : 01.12.2019 | Valérie Auribault

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Ce rire qui démine les situations difficiles

Crédit photo Valérie Auribault

Réorganiser les services, affronter une période de crise ou modifier le management. Des situations qui peuvent engendrer des tensions et diviser les équipes. Certains ont décidé d’en rire. Pour mieux évoluer et travailler.

Peut-on rire de tout, en tout lieu et avec tout le monde ? Doit-on rire des problématiques stratégiques, organisationnelles, opérationnelles, fonctionnelles, concernant la direction générale, les ressources humaines, les relations clients… ? Et le rire a-t-il sa place dans le monde du travail ? Lieu de toutes les exigences, de tous les défis et où les compétences – et le sérieux – sont de mise ? Pourtant, le rire passe de plus en plus les portes de l’entreprise. « Il y a vingt ans, il n’y avait pas sa place. L’idée même était considérée comme farfelue », souligne Corinne Cosseron, « rigologue » et fondatrice de l’École internationale du rire. Aujourd’hui, solliciter le rire pour créer de la cohésion ou pour faire face aux difficultés n’est plus honteux. Ou presque. « Les entreprises ont largement fait appel à nous durant la crise financière, poursuit Corinne Cosseron. Et à cette époque, même les syndicats ne voulaient pas de nous. À présent, ils nous ont adoptés car ils voient les retombées sur les salariés. Pour autant, il est toujours difficile d’en parler sur la place publique. C’est encore tabou. » Corinne Cosseron intervient dans des sociétés, de Londres à Singapour. « Le rire dédramatise. C’est une bouffée d’oxygène. Et ce sujet doit être pris au sérieux. Il est crucial de laisser libre cours aux émotions, insiste-t-elle. Outre la confiance que cela génère au sein des équipes, rire limite le mal-être et ses conséquences. Et donc l’absentéisme. »

Briser les murs.

« C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens », disait Molière. Faire rire les collaborateurs, les managers, les responsables des ressources humaines et les directeurs généraux des problèmes qu’ils peuvent rencontrer au quotidien, Serge Grudzinski en a fait son pari. Pour mieux répondre aux nécessités des firmes, de leurs politiques et de leur réussite. Il y a plus de vingt ans, le fondateur de Humour Consulting Group et auteur de « Laugh to lead » était encore consultant en stratégie pour divers cabinets internationaux. Passionné par le rire et désireux de le communiquer, il décide d’abandonner une carrière prometteuse et créé son propre cabinet pour « débloquer, soigner, motiver les entreprises et leurs collaborateurs grâce au grand rire unanime. C’est l’émotion maximale qui ouvre des ponts », affirme-t-il. Fort de son expérience de consultant, Serge Grudzinski sait disséquer les sujets qui fâchent. Ces sujets qui divisent les équipes, creusent l’écart entre les managers et leurs collaborateurs et sont susceptibles de perturber les résultats de l’entreprise. « À force de vivre ensemble, tout groupe humain développe des tensions assimilées à des murs. On ne se comprend plus. Ces murs sont des molécules négatives, des briques d’émotions. Les gens, dans ces conditions, ne veulent plus avancer ensemble, et lorsque vous êtes dirigeant d’entreprise, vous ne savez plus que faire. Ils tentent alors d’y remédier grâce à des solutions rationnelles qui ne fonctionnent pas, car les murs d’émotions négatives se sont accumulés », constate Serge Grudzinski.

Apaiser les réticences.

Ces murs, de grandes entreprises les ont allégrement franchis. Le groupe Axa, Thomson CSF (ex-Thales), ou encore Sita (filiale de l’ex-Lyonnaise des Eaux devenue Suez) ont fait appel à la « présentation humoristique de management » de Serge Grudzinski. Une présentation qui a fait ses preuves au-delà des frontières hexagonales. « Le rire est universel, poursuit Serge Grudzinski. Bien sûr, il ne suffit pas de sortir une petite blague. Il faut étudier en amont les problématiques pour savoir où l’entreprise a mal, quelles sont les tensions. Je rencontre un panel de la population puis je pose un diagnostic. » Mille quatre cents shows et aucun identique. Rwanda, Arabie saoudite, Kazakhstan, partout dans le monde, le « grand rire unanime a le pouvoir de mettre les gens en ébullition et de souder les collaborateurs. Le collègue que vous ne supportiez pas a ri à vos côtés. Le mur est tombé ». Encore faut-il sauter le pas de cette méthode innovante. « J’avais déjà travaillé avec Serge dix ans auparavant dans le cadre d’une fusion au sein d’un cabinet. Les équipes étaient particulièrement tendues, se souvient Valérie Dixmier, directrice des ressources humaines et de l’organisation au sein de Somfy. L’intervention de Serge a été magique. Une fois que l’on a fait rire les gens, on a gagné. » Ainsi, lorsque Valérie Dixmier a senti les prémices de difficultés face à la nouvelle organisation, elle a immédiatement pensé au grand rire unanime pour apaiser les inquiétudes des équipes. « Avec cette réorganisation impulsée au sein de l’entreprise, j’avais 90 % des responsables d’agences contre moi. Je n’avais qu’une solution : le rire. J’ai exposé cette idée au CEO de Somfy. Il m’a fait confiance et a dit “banco”. » Les équipes ont été réunies dans une grande salle pour un séminaire. Ils ont finalement assisté à un one man show. Le but était de leur expliquer les difficultés engendrées par l’actuelle organisation et la façon dont l’entreprise allait y remédier pour aller de l’avant. Le tout avec humour. « La salle était pliée de rire, les collaborateurs ont été conquis, raconte Valérie Dixmier. Une fois le show terminé, ils ont tout d’abord cru à une blague avant de se rendre compte que le projet était bien sérieux. Mais cette séance et ces explications caricaturales avaient permis d’ouvrir les esprits, de les toucher au cœur et de les rassembler. Les dérives et l’absurdité de l’organisation ont été mises sur la table. Et les collaborateurs ont fait le lien. » La nouvelle organisation au sein de Somfy a ainsi pu se faire en douceur. « Pour cela, une heure et quart de spectacle a suffi. Nous avons gagné un temps fou », précise Valérie Dixmier.

Faire passer les messages.

D’autres qui n’ont pas encore tenté l’expérience sont pourtant convaincus du bienfait du rire. « Je crois beaucoup à la mobilisation des gens et au pouvoir de l’émotion. Et le rire fait appel à l’émotion », souligne Nicolas Lehmann, président du directoire de Brenntag France. Alors qu’il venait de prendre la présidence de l’entreprise, Nicolas Lehmann cherchait la meilleure façon pour faire évoluer celle-ci et pointer du doigt certains dysfonctionnements. « Je n’avais que trois mois d’ancienneté, le but n’était pas de faire un flop. On donne les clés de la maison au consultant, c’est un échange basé sur la confiance, un choix important. Mais le comité de direction a suivi ma proposition », explique-t-il. Avant le one man show, Serge Grudzinski rencontre les équipes, note les dysfonctionnements, les freins qui posent problème. Pour ensuite mieux taper là où ça fait mal. Mais toujours de façon subtile. La salle entière doit rire pour que le message soit transmis et que la cohésion se crée. « Le rire permet une prise de conscience, de prendre de la hauteur. Et l’on se dit : “Ce n’est pas possible, nous n’avons pas fait ça, nous ne sommes pas comme ça !” Puis c’est le déclic. Les gens comprennent qu’ils doivent changer. L’avantage du rire, c’est que tout le monde s’en souvient. C’est un outil puissant. D’ailleurs, nos équipes continuent d’en parler des mois après. »

Manuel Colleaux, directeur général adjoint logement chez Altarea Cogedim, a également été convaincu par l’intervention « décisive et absolument remarquable de Serge Grudzinski. La prise de conscience s’effectue de façon pointue sans que cela soit perçu comme une charge de travail supplémentaire ». Le séminaire d’Altarea Cogedim portait sur le management. L’entreprise, en plein boom, avait considérablement augmenté ses effectifs. De jeunes managers pouvaient gérer des équipes entières. Il s’avérait nécessaire de les sensibiliser aux besoins de celles-ci afin de mieux gérer la charge de travail et se montrer reconnaissant auprès des collaborateurs. « Nous cherchions une façon innovante pour éveiller leur intérêt, quelque chose de désinhibant tout en évitant de heurter les sensibilités », indique Manuel Colleaux. Le consultant est introduit comme un spécialiste du management. Puis, lentement, le spectacle et son message se mettent en place. « C’était la fin de la journée en juillet. Chez les collaborateurs, nous sentions la fatigue de la journée et de la fin du premier semestre. Au début, les gens n’osent pas rire. Car ils ne s’y attendent pas. Les collaborateurs ne sont pas dans la confidence. L’effet de surprise est capital. Puis, le rire s’installe. À l’issue du spectacle, au bout d’une heure et demie, tout le monde était de nouveau frais, souriant et enthousiaste. De nombreuses personnes sont venues pour me faire part de leur satisfaction d’avoir entendu certains messages, et de cette façon. »

Le rire est désormais pris au sérieux, y compris par les salariés eux-mêmes. Corinne Cosseron souligne que « souvent, ce sont des services qui nous contactent et nous demandent de convaincre leur responsable. Le rire fait tomber les peurs, fait gagner du temps et dédramatise. Les psychologues, eux-mêmes, viennent se former chez nous. Au sein des hôpitaux, les équipes qui rient ont un meilleur taux de guérison. Là encore, ce sont des salariés qui ne vont pas bien, qui n’ont guère de soutien, pas de cellule de crise pour décompresser, affronter la mort et les familles en larmes. Le rire n’est pas la solution unique mais il est salvateur ».

Auteur

  • Valérie Auribault