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« La personnalisation, une tendance de fond pour les années à venir »

À la une | publié le : 01.12.2019 |

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« La personnalisation, une tendance de fond pour les années à venir »

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Le règne des individualités est l’un des scénarios envisagés comme possibles à un horizon de dix ans par la dernière étude d’E &P « Diversité en 2030 ». Par quoi se caractérise-t-il ?

Laurence De Ré-Vannière : On voit apparaître chez les salariés une volonté de plus en plus forte d’être considérés par l’entreprise dans leur globalité : non plus seulement comme des travailleurs, mais comme des individus à part entière, avec des envies, des goûts, un cercle autour d’eux… En forçant le trait, comme l’exige l’exercice de prospective, en 2030, selon ce scénario, l’individu revendiquera la reconnaissance de sa singularité et s’intégrera à des communautés de personnes qui lui ressemblent, communautés qui se feront et se déferont au gré des envies et des intérêts individuels. En fait, plusieurs tendances nourrissent ce scénario : le renforcement de l’individualisme, le développement de singularités de plus en plus complexes, l’importance de la mise en avant de soi et de ses réussites sur les réseaux sociaux (mais pas que), l’accentuation ou l’émergence de certaines revendications identitaires, la relation à l’entreprise plus épisodique et plus court-termiste…

Quels sont les risques d’un tel scénario ?

L. D. R.-V. : La conjonction de multiples facteurs, dans un contexte de pénurie des talents parfois, fait que les entreprises ont tendance à proposer des dispositifs liés à la vie du salarié, avec une vision plus ou moins humaniste, pour répondre à la demande des collaborateurs, mais aussi pour que la charge de travail soit soutenable, parce que les rythmes ne vont pas se calmer. C’est pour elles un enjeu de performance, d’où des politiques de talent acquisition, de fidélisation, de services à la carte en fonction des profils recherchés et, donc, toujours plus de personnalisation. C’est la tendance de fond pour les années à venir.

Si l’on va trop loin, le risque est de fragiliser le collectif, de perdre la vision de l’intérêt commun, mais aussi d’encourager des comportements individualistes dont il sera ensuite difficile de se sortir, et de faire naître un sentiment d’iniquité chez les personnes se sentant oubliées par les politiques de l’entreprise, avec des tensions exacerbées entre communautés à la clé. Les individus ne sachant pas se mettre en scène et revendiquer leur singularité seront écartés.

Dans ce scénario, les entreprises seront confrontées à deux principales options : promouvoir des singularités choisies en fonction de leur business, de leur positionnement et de leurs valeurs pour en faire un élément de différenciation stratégique ; ou bien recruter, satisfaire des individus et promouvoir les complémentarités et le talent collectif. La question sera de savoir où mettre le curseur entre reconnaissance individuelle et préservation du collectif, cette question étant objectivement complexe pour les entreprises et pour les DRH.

Quels sont les sujets auxquels l’entreprise va devoir s’intéresser ?

L. D. R.-V. : L’aide aux aidants est un sujet qui va monter en puissance, car elle va concerner de plus en plus d’actifs avec l’allongement de la durée de vie au travail. La santé en est un autre. Des études prévisionnelles à l’échelle mondiale indiquent que des maladies comme le diabète vont arriver dans le top 10 des causes de mortalité, que des maladies chroniques comme le cancer vont encore se développer, mais aussi qu’en raison des progrès de la médecine, la façon de se soigner va évoluer. Il y aura davantage d’ambulatoire, pas forcément prolongé par un arrêt de travail, et donc un besoin de plus de flexibilité dans l’aménagement du temps de travail pour accompagner les salariés durant leur traitement. La parentalité, dans une acception plus large, est également une question à laquelle l’entreprise va devoir réfléchir (rôle du père, prise en compte de la grand-parentalité et plus globalement acception plus inclusive au regard des évolutions sociétales). Pour aborder ces sujets tout en préservant le collectif, les DRH auront à accompagner les managers sur l’organisation du travail. L’apparence physique mais aussi les convictions religieuses, philosophiques et politiques (sur l’évolution du climat par exemple) vont par ailleurs prendre de l’acuité.

Dans votre étude prospective, vous pronostiquez un essor du nudge afin d’orienter les comportements, et vous mettez en garde contre de sérieux écueils à éviter…

L. D. R.-V. : Le nudge peut avoir des effets bénéfiques, mais dans une approche gouvernée. S’il peut en effet apporter un coup de pouce positif, en matière de prévention santé par exemple, son utilisation demande néanmoins une certaine vigilance. Certaines entreprises se lancent dans le nudge, notamment, pour faire progresser la diversité. Or, il est important de prendre le temps de la réflexion et de se demander jusqu’où on veut aller pour orienter les comportements vers ce qui est souhaitable ou souhaité. Le sujet nécessite également d’être mis en débat en pluridisciplinarité : qui décide de ce qui est bien ou mal ? Qui valide la nouvelle norme, la pilote et l’ajuste ? Ces questions ne sont pas anodines.