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Décodages

La CGT cherche sa raison d’être

Décodages | Syndicats | publié le : 01.05.2019 | Benjamin d’Alguerre

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La CGT cherche sa raison d’être

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Attaquée de tous côtés, la CGT se prépare un 52e congrès particulièrement agité. Désormais reléguée en deuxième place derrière la CFDT, la centrale de Montreuil cherche un nouveau souffle. Et Philippe Martinez, accusé d’autoritarisme, cristallise toutes les contestations.

Un congrès de la CGT n’est pas un long fleuve tranquille. Et le 52e, qui se tiendra du 13 au 17 mai à Dijon, ne dérogera pas à la règle. Son issue ne suscite pourtant aucun suspense : sauf improbable coup de théâtre, Philippe Martinez, unique candidat à sa propre succession, devrait être reconduit dans son mandat de secrétaire général. Non, ce qui coince, c’est le contexte dans lequel le congrès va se dérouler. « On l’entame dans un climat de défaite. On a été incapable de mobiliser contre la loi El Khomri et les ordonnances, on a raté Nuit debout et la “marée populaire” du 26 mai dernier. On est inaudible chez les “gilets jaunes”. Et, cerise sur le gâteau, la CFDT nous est passée devant en termes de représentativité ! » soupire le patron d’une grosse fédération. Et les adhésions dégringolent. Selon les comptages internes du syndicat dévoilés par « Les Échos », le nombre de cartes était passé, en 2017, sous le seuil des 650 000. Pire : dans certains de ses bastions historiques où elle faisait autrefois la pluie et le beau temps (EDF, SNCF), la centrale de Montreuil se fait lentement, mais sûrement, grignoter son leadership par d’autres organisations syndicales. Chez Air France, elle a carrément disparu des radars, renvoyée sous la barre de la représentativité. À la RATP, l’Unsa lui a chipé sa première place. Dans certaines fédérations territoriales de la métallurgie, comme en Savoie, c’est la débandade. Et la future substitution des CE et des CHSCT par les CSE créés par les ordonnances travail de décembre 2017 risque, là encore, de prélever son tribut sur sa représentativité dans les entreprises.

« Tout sauf Martinez ».

Toutes ces problématiques ont un point commun. Le document d’orientation du congrès de Dijon transmis par le bureau confédéral aux adhérents ne les évoque pas. Ou à peine. À en croire ce programme de 115 pages, illustré par des portraits de militants souriants, les travaux des congressistes devraient surtout porter sur des questions liées aux « évolutions technologiques comme le numérique », aux « nouveaux statuts du travail salariés » ou encore aux « enjeux européens et internationaux ». Et, bien sûr, à la « coordination des luttes », véritable marronnier cégétiste. Bref, cachez ce déclin que je ne saurais voir. Sera-t-il cependant possible de dissimuler totalement la crise comme la poussière sous le tapis à l’occasion des débats dijonnais ? Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha, et fin connaisseur du monde social, en doute : « Lors du précédent congrès de Marseille, en 2016, Philippe Martinez avait réussi à tempérer les plus radicaux parmi ses troupes en produisant une vive critique du “syndicalisme rassemblé’, qui tenait lieu de ligne à la CGT depuis 1995, et en appelant au retour d’un “syndicalisme de classes et de masse’. Il n’est pas dit que cette démarche est aujourd’hui suffisante. » D’autant qu’à Marseille, il s’agissait encore d’une CGT tétanisée par les suites de l’affaire Lepaon. Ce qui ne sera plus le cas lors des rencontres bourguignonnes… Au contraire, même. La contestation interne qui bouillonnait sous le couvercle pourrait se libérer d’un coup. Et surtout se cristalliser autour de la contre-motion portée par la Fnic, la fédération de la chimie qui, sur certains points, s’apparente à un brûlot sur le thème « tout sauf Martinez ». « Comme en 2016, aucune plateforme de débat autour de la motion confédérale n’a été mise en œuvre. À la place, Martinez et son équipe nous imposent un texte quasiment impossible à amender ! » grogne un cadre confédéral. « Cette façon de faire autoritaire nourrit le ressentiment de la base contre une direction confédérale perçue comme bureaucratique et incapable d’écoute. »

Purge.

Côté ambiance, les nombreux départs de cadres qui se sont succédé ces derniers mois au siège de la Confédération (Jean-François Naton au travail et à la santé, Jean-Philippe Maréchal à la formation professionnelle, Gilles Oberrieder aux retraites…) nourrissent le sentiment qu’une sévère purge a été menée en prévision du congrès. « Rien qu’en 2019, je compte sept ou huit départs sur l’espace confédéral », calcule un insider de la maison. Point commun entre tous les partants ? « Ils affichaient des profils proches du PCF », affirme cette source. Hasard ? « Tous ont été remplacés par des technocrates sortis des facs, sans passé syndical. Très compétents techniquement, mais sans conscience de classe et sans connaissance fine de l’histoire du syndicalisme… Est-ce normal de voir l’une de ces nouvelles recrues, sortant d’une réunion paritaire, faire la bise au négociateur du Medef ? ». En off, le décryptage est clair : la crainte qui saisit de nombreux militants face à cette « professionnalisation » de la CGT, c’est celle de voir surgir, à l’intérieur même du sanctuaire cégétiste, des profils « à la Stéphane Lardy », cet ancien numéro deux de FO et négociateur tout-terrain dont le ralliement à la Macronie, comme directeur de cabinet-adjoint du ministère du Travail en charge de la rédaction des ordonnances travail, en a soufflé plus d’un dans le monde syndical.

Interrogé sur d’éventuelles velléités de purge, Philippe Martinez se défend, invoque des départs à la retraite naturels ou motivés par des conflits personnels entre collaborateurs. N’empêche. Un nuage de suspicion généralisée semble planer sur la centrale de Montreuil et le ressentiment qui en résulte pourrait bien s’exprimer, mi-mai, par une adhésion massive au texte alternatif présenté par la chimie. Selon certains comptages internes, réalisés au doigt mouillé, près de 30 % des congressistes pourraient s’y rallier par rejet de la direction confédérale. Et l’expression du mécontentement pourrait entraîner des dégâts collatéraux dans les futures instances du syndicat. Baptiste Talbot, le patron de la fédération cégétiste des services publics, ainsi pressenti pour rejoindre le bureau confédéral à l’issue du congrès, pourrait faire les frais d’une trop grande proximité avec Philippe Martinez, victime de la défiance de ses propres troupes.

Les désaccords ou le bordel.

Un vent de révolte, voire de scission, risque de souffler sur Dijon. « Je ne crois pas à la menace d’une scission. Le seul intérêt pour la brandir serait de vouloir prendre le pouvoir à la CGT, mais les contestataires sont trop minoritaires pour ça. Même la chimie, malgré ses provocations, n’a jamais été scissionniste », affirme un autre hiérarque cégétiste, qui préfère s’exprimer mezzo voce. Pour Frédéric Sanchez, numéro un de la puissante fédération des métallos, les agitateurs sont surtout ceux qui souhaiteraient rejouer le match du congrès de Marseille. « Même si nous étions encore le premier syndicat, il y aurait toujours des gens pour venir polluer la sérénité des débats. À Marseille, on a connu de vifs désaccords, notamment sur notre stratégie dans la façon d’aborder les luttes. Mais à la fin, on a voté et on s’est accordé sur les orientations à suivre. Que la contestation s’exprime, c’est légitime, mais il doit y avoir une différence entre exprimer un désaccord et foutre le bordel ! » lance ce soutien affiché de Philippe Martinez. Parmi les points qui risquent de fâcher : le positionnement international de la CGT. « Certaines fédérations réclameront sans doute notre départ de la Confédération européenne des syndicats », prophétise un familier des affaires internes. En cause : la présidence de cette instance supranationale doit bientôt revenir à… Laurent Berger. La fonction a beau être essentiellement honorifique, il est des cégétistes qui sortent le crucifix et les gousses d’ail rien qu’à l’idée de se ranger derrière la bannière du grand rival réformiste…

Vox clamantis in deserto.

Car à l’heure où la CFDT caracole en tête de la représentativité syndicale, où son patron réunit un casting de luxe d’ONG, de syndicats réformistes et de mouvements associatifs pour proposer à l’exécutif un « pacte social et écologique » aux côtés de l’ex-ministre Nicolas Hulot et où « Le Monde » le portraitise en « premier opposant à Emmanuel Macron », la CGT semble se replier sur elle-même, faute d’un positionnement clair et affiché. Son projet de « coordination des luttes » ? Les autres syndicats lui ont adressé une fin de non-recevoir. La participation à la mission Lecocq sur la santé au travail ? Jean-Philippe Naton, initialement choisi comme expert, a été prié d’y renoncer sous pression de la base, et sa place a échu à un spécialiste venu de la CFDT. La réforme de l’assurance-chômage ? La CGT n’a jamais eu l’intention de signer le moindre accord. La concertation sur la réforme des retraites ? Elle a choisi de s’en retirer. Le grand débat ? « Un enfumage », répond-elle. De quoi satisfaire les tenants d’une radicalité pure et sans tache qui refuse tout compromis avec un Gouvernement honni, mais, pendant ce temps, les appels à la mobilisation restent sans réponse… Certes, sur le terrain, les militants engagent – et remportent parfois – de belles bagarres sociales (Safran Aircraft Engines, Bosch Rodez, Arcopal, etc.). Mais l’échelon national continue à clamer dans le désert, faute d’une présence forte dans les plus petites entreprises. « Le périmètre de la CGT ne couvre que 25 % des entreprises… Les 75 % restants, ce sont les “gilets jaunes” ! » affirme un responsable local. Des « gilets jaunes » dont Montreuil se méfie, et avec lesquels l’organisation n’entretient que des rapports lointains. Pas touche, pas trop près… Faute d’implantation suffisante dans les TPE d’où ils sont issus, la CGT ne parvient pas à leur parler. « Elle le pourrait, pourtant. Mais à condition de donner des moyens aux unions départementales (UD) du syndicat, aujourd’hui privées de ressources financières au profit des grandes fédérations. Bref, revenir à l’essence de la CGT d’avant-1917 : une organisation plutôt libertaire, construite autour de syndicats d’entreprises », poursuit ce militant de terrain qui a passé quelques week-ends sur des ronds-points.

La gouaille, la moustache et quoi d’autre… ?

Alors, quel cap pour la CGT de demain ? « Elle cherche surtout à incarner un rôle tribunitien, être le porte-parole des plus faibles. Sa ligne ne va pas changer : elle restera à la recherche de la coordination des luttes, mais, sur ce plan, elle s’est fait doubler par les “gilets jaunes” à l’automne dernier », explique Dominique Andolfatto, politologue et spécialiste du syndicalisme. Quant à la convergence des luttes, encore faut-il savoir avec qui converger. « Lorsqu’elle a commencé à parler de convergence des luttes, la CGT pensait à des rapprochements avec la CFDT. Mais aujourd’hui que les relations se sont rafraîchies avec celle-ci, le balancier penche plutôt du côté de FO ou de Solidaires. Même si comparaison n’est pas raison, la CGT est confrontée au même dilemme que le PCF, en son temps, qui hésitait entre la social-démocratie et l’extrême gauche. Entre le pôle syndical réformiste et celui que l’on qualifie de contestataire, il n’est pas évident de rester sur une ligne de crête », détaille Pierre Ferracci. Côté alliés, les candidats ne sont pas légion. Si Pascal Pavageau, ancien leader de FO, semblait intéressé par un durcissement de ton et pas opposé à l’idée de combats menés de front, son successeur, Yves Veyrier, qui se présente volontiers comme réformiste, semble inscrire davantage ses pas dans ceux d’un Jean-Claude Mailly, qui n’avait jamais voulu couper les ponts avec l’exécutif. Et, en filigrane, la rivalité entre les deux organisations sur la représentativité dans la fonction publique demeure.

« La CGT a besoin d’évoluer en tant qu’organisation », juge Philippe Martinez (lire page 30). Oui, mais comment ? Le syndicat centenaire devra sortir de sa zone de confort contestataire et, pourquoi pas, effectuer sa révolution culturelle. « La stratégie de convergence des luttes a échoué et, par ailleurs, la CGT n’a pas réussi à attirer à elle de nouveaux travailleurs : jeunes, précaires, autoentrepreneurs diplômés… Son assiette sociologique – industrie, petite et moyenne fonctions publiques, entreprises semi-publiques – tend progressivement à se réduire », constate Dominique Andolfatto. Comme les entreprises avec la loi Pacte, la CGT doit d’urgence retrouver une raison d’être et un objet social. Le pourra-t-elle ? Un cadre résume : « Martinez a la gouaille et la moustache. C’est un bon début pour un dirigeant de la CGT, mais il en faut un peu plus. »

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre