logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

États-Unis : quand les vieux s’en vont pour survivre

Idées | Livres | publié le : 01.04.2019 | Lydie Colders

Image

États-Unis : quand les vieux s’en vont pour survivre

Crédit photo Lydie Colders

La journaliste Jessica Bruder a suivi pendant trois ans des retraités américains obligés de quitter leur maison, vivant de petits boulots itinérants à bord de leur caravane. Une enquête bouleversante sur les ravages de la crise de 2008.

Prenant la route avec Linda, une grand-mère de 64 ans qui sillonne les États-Unis à bord de sa caravane, vivant de petits boulots faute de pouvoir vivre de sa retraite de 500 dollars par mois, la journaliste Jessica Bruder livre une enquête édifiante sur le travail nomade des personnes âgées, victimes de la crise financière de 2008. Effondrement des « fonds de pension » finançant les retraites, érosion des salaires, flambée des loyers… ces seniors de la classe moyenne « ont eu l’impression de déjouer le système, en renonçant à des maisons en dur, en se libérant du joug des loyers et des crédits immobiliers pour s’installer dans des vans, se déplaçant au gré du beau temps et finançant leurs pleins d’essence au moyen de boulots saisonniers », explique-t-elle.

Entretien des campings

De ce périple au long cours, de ses rencontres avec d’autres « work-camper » âgés, Jessica Bruder tire un livre remarquablement écrit, âpre, très attachant. Pas une once de misérabilisme dans cette communauté nomade « où les liens se nouent », mais de l’énergie chez Linda ou chez sa copine Silvianne. Elles ne craignent pas les boulots les plus ingrats, comme nettoyer un camping, l’été en Californie, pour un salaire à peine supérieur au minimum légal. Problème : chez ce gestionnaire qui embauche des saisonniers sexagénaires, la journaliste pointe « une charge de travail dépassant largement les heures payées », ou, à l’inverse, comme l’a vécu Linda, « plongée sous la barre des 290 dollars hebdomadaires », des contrats réduits à la semaine en fonction des réservations…

Amazon aime les vieux

Si de nombreux journalistes ont dénoncé les conditions de travail déplorables d’Amazon, ce livre est particulièrement éclairant sur ce point. Au Nebraska ou ailleurs, on y apprend que le géant de la logistique a déployé une stratégie nommée « Camper force » pour embaucher des itinérants – jeunes ou vieux – lors de pics de commandes. Avec des parcs entiers de mobil-homes près des entrepôts… On y suit Linda, manutentionnaire de nuit « pour augmenter son salaire de 75 cents », qui « devait se pencher, soulever, s’accroupir, tendre le bras, grimper et descendre des marches, dans un hangar équivalent à la taille de treize stades de foot américain ». Intérimaires minutés à la seconde pour scanner, parcourant « quinze à trente kilomètres par jour pour 11,25 dollars de l’heure », affaissements plantaires, douleurs dorsales « classées sans suite » par les inspecteurs chargés de la prévention des accidents au travail : l’enquête est accablante sur le cynisme d’Amazon. Jessica Bruder n’a pas hésité à se faire embaucher dans cet entrepôt, ou comme saisonnière ramasseuse de betteraves, « douze heures par jour », chez un gros producteur de sucre du Minnesota, « connu pour embaucher des gens en âge de partir à la retraite ». Un texte saisissant sur le dur labeur qui n’épargne plus les retraités « pauvres » de l’Amérique du XXIe siècle.

Nomadland.

Jessica Bruder. Éd. Globe, 320 pages, 22 euros.

Auteur

  • Lydie Colders