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Les femmes ignorées des luttes syndicales ?

Idées | Livres | publié le : 01.03.2019 | Lydie Colders

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Les femmes ignorées des luttes syndicales ?

Crédit photo Lydie Colders

De la révolution industrielle à aujourd’hui, la sociologue québécoise Rolande Pinard explore dans ce livre la question de l’invisibilité des femmes dans les luttes sociales. Un essai féministe, qui fustige le capitalisme comme le syndicalisme français.

Si les femmes ont été actives pendant le XIXe siècle pour acquérir des droits, « leur rôle a trop été ignoré par les historiens du travail », affirme la sociologue québécoise Rolande Pinard. Dans cet essai féministe, la chercheuse ausculte les causes de cette invisibilité à travers un siècle de transformation du capitalisme industriel. Des usines textiles au XIXe siècle en Angleterre au taylorisme au début du XXe siècle, jusqu’à la mondialisation et la crise des années 1980, ce voyage historique, très bien documenté, rappelle des causes bien connues, comme l’oubli des ouvrières reléguées à des « activités manuelles, précaires et peu qualifiées », et marquées par leur statut domestique. Résultat : « Les femmes ont ainsi progressivement été marginalisées du syndicalisme de métier, qui profitera aux ouvriers accédant à des emplois plus qualifiés », selon la sociologue. Elle appuie son propos sur de nombreuses recherches montrant comment, dans le capitalisme d’après-guerre, de grands groupes comme General Motors aux États-Unis ont encouragé ce système, en privilégiant « la fidélisation des travailleurs seulement », lors de « l’invention du marché interne du travail » du capitalisme industriel.

Délaissées des syndicats

La précarité « organisée par le capitalisme financier » des années 1980 n’arrangera pas la cause des femmes, poursuit Rolande Pinard. Bien qu’ayant massivement investi le travail dans les services à cette époque, elles resteront toujours occultées, « davantage touchées par la précarité » que les hommes, dans un monde du travail envahi par la flexibilité. Aujourd’hui, l’auteure entend démontrer que dans leurs luttes, les employées peu qualifiées et précaires « ne sont toujours pas soutenues par les syndicats », qui restent « un monde d’hommes ». Un avis illustré par quelques luttes récentes (grève des caissières dans la grande distribution, en 2008, en France, femmes de ménages immigrées sous-traitantes dans l’industrie hôtelière), peu soutenues par la CFDT ou par la CGT, selon Rolande Pinard. Dans leurs luttes, ces femmes auraient donc activé d’autres relais, « comme la création de bases militantes dans les associations locales » ou un « un réseau de sociabilité de militantisme communiste ».

Dans l’ère actuelle où les temps partiels touchent davantage les femmes que les hommes, Rolande Pinard fustige cette fameuse flexibilité, « qui renvoie à une utilisation maximale du temps des employés ». Elle n’y va pas de main morte, évoquant non pas une liberté pour les loisirs, surtout pour les femmes mères de famille, mais « une colonisation du temps privé par le temps de travail ». L’essai est aussi très critique avec le syndicalisme français, devenu au fil du temps « trop proche de l’entreprise, coupé des salariés et des citoyens ». La reconnaissance du travail des femmes « appelle donc d’autres formes d’action collectives », estime la sociologue. Un regard sans concession, à méditer…

L’envers du travail. Le genre de l’émancipation ouvrière.

Rolande Pinard. Éd. Lux. 392 pages, 20 euros.

Auteur

  • Lydie Colders