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Qui veut recruter un fonctionnaire ?

Décodages | Administrations | publié le : 01.03.2019 | Adeline Farge

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Qui veut recruter un fonctionnaire ?

Crédit photo Adeline Farge

Alors qu’il vise la suppression de 120 000 postes, le Gouvernement souhaite encourager les mobilités vers le secteur privé. Mais entre préjugés tenaces et méthodes de travail aux antipodes, les entreprises ne sont pas toujours prêtes à accueillir d’anciens agents du secteur public. Sauf s’ils disposent de compétences pointues.

Un véritable tollé chez les syndicats ! En évoquant lors du premier comité interministériel de la transformation publique, le 1er février 2018, l’idée « d’un plan de départs volontaires pour ceux qui souhaitent partir », Gérald Darmanin, ministre de l’Action publique et des Comptes publics, a mis le feu aux poudres. Alors qu’il entend donner un coup d’accélérateur à la réforme de l’État, dont le projet de loi devrait être présenté fin mars, l’exécutif veut encourager les mobilités des fonctionnaires, y compris vers le secteur privé. C’est l’une des pistes pour supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, soit 50 000 dans le périmètre de l’État et 70 000 dans la territoriale, d’ici 2022. « Ces plans de départs n’ont de volontaire que leur nom. Si un agent voit son service supprimé et qu’on lui propose un poste à 200 kilomètres de chez lui, les probabilités sont fortes pour qu’il n’ait pas d’autres options que de partir dans le privé », critique Jean-Marc Canon, secrétaire général de la CGT.

Le Gouvernement se veut rassurant : pas question d’ouvrir grand les vannes. Seuls les agents concernés par une restructuration, par une fusion de leur service, par une disparition de leurs missions ou par une évolution de leur métier en raison des mutations à venir dans l’action publique pourront bénéficier d’un accompagnement renforcé dans leurs transitions professionnelles.

Première pièce du package offert aux partants, l’indemnité de départ volontaire (IDV) rénovée. Pour inciter davantage de fonctionnaires à rejoindre le privé, Gérald Darmanin a promis que les candidats prêts à quitter l’administration pourront partir jusqu’à deux ans de la retraite – au lieu de cinq aujourd’hui – avec 24 mois de salaire. Principale nouveauté, ils auront accès aux allocations-chômage. Depuis le quinquennat Sarkozy, les démissionnaires peuvent prétendre, sous certaines conditions, à une indemnité d’un montant lié à l’ancienneté, et plafonnée à deux ans de rémunération. En revanche, ils n’ont aucun droit au chômage et ils doivent s’engager à ne pas réintégrer la fonction publique dans les cinq ans, sauf à devoir rembourser leur prime. Avec à peine un millier de bénéficiaires chaque année, le dispositif n’a pas eu de succès en dix ans. « Cette incitation financière ne suffit pas à convaincre les agents. Les départs restent très minoritaires, ils ne concernent généralement que les hauts fonctionnaires qui ont davantage de ponts de sortie vers le privé et qui y trouvent leur intérêt, avec les problèmes déontologiques que cela cause », constate Suzanne Maury, inspectrice générale des affaires sociales. En dehors de ceux qui ont de mauvaises conditions de travail ou qui veulent suivre leur conjoint, les agents ne caressent pas le rêve de rejoindre l’entreprise. « Bien qu’ils doivent se plier à des contraintes budgétaires, les fonctionnaires ont opté pour des métiers qui sortent de la culture du profit. Ils sont motivés par la qualité du service rendu aux usagers et par le sentiment d’utilité sociale », analyse Suzanne Maury.

Des candidats peu attractifs.

Si les fonctionnaires perçoivent parfois les entreprises privées comme un repoussoir, celles-ci ne les accueillent pas toujours à bras ouverts. Trop procéduriers, pas assez motivés, mal organisés, trop absents, habitués à trop de confort… ils polarisent bien des préjugés qui pèsent sur leur employabilité. Faire le grand saut revient à dire adieu à la sécurité de l’emploi. « Le Gouvernement cherche d’abord à réaliser des économies sur les fonctions support par des mécanismes de mutualisation. Les entreprises n’ont aucun intérêt à recruter ces profils alors qu’elles ont elles-mêmes restructuré leurs services. De plus, certains fonctionnaires ne manient pas suffisamment les outils informatiques et seront moins rapidement opérationnels. Les administrations sont parfois enfermées dans leur routine depuis des années », regrette Stéphane Jenck, directeur de la practice secteur public du cabinet de conseil RH Oasys.

Autre aspect à noter : les débouchés dans le privé sont limités. « Des emplois publics, comme celui d’enseignant d’histoire-géographie, n’ont pas d’équivalent dans les entreprises. Et pour les métiers qui sont proches, les conditions d’exercice et les exigences de productivité ne sont pas les mêmes », pointe Olivier Dupont, directeur responsable du conseil au secteur public chez Sémaphores. Si, a priori, les agents techniques de la petite enfance en charge de l’entretien, de la lingerie et des repas pourraient facilement trouver leur place dans la restauration collective, dans les faits, le pilotage des activités par des indicateurs standardisés risque de les déboussoler. « Les méthodes de travail et de management sont différentes. Dans la fonction publique, les relations hiérarchiques sont très verticales alors qu’elles tendent à être plus horizontales dans le privé. Les fonctionnaires qui n’ont souvent connu qu’un seul employeur peuvent avoir des difficultés à s’adapter à ce changement de culture et à s’intégrer dans les équipes. Ce qui peut dissuader les entreprises de les recruter », observe Stéphane Jenck.

Sécuriser les départs.

Pour offrir aux agents un filet de sécurité, un dispositif passerelle sera mis en place. Pendant un an, les fonctionnaires qui décideraient de partir dans le privé pourront être « mis à disposition » d’une entreprise tout en étant payés et gérés par leur administration. À l’issue de ce délai, ils auront le choix entre démissionner et toucher l’IDV ou bien réintégrer leur établissement. « Auparavant, la démission était un plan de non-retour. L’idée de ce sas de sortie est de ne pas couper le lien juridique qui lie l’agent à son administration, et de lui offrir une période transitoire pour qu’il puisse passer sereinement sa période de préavis et prendre ses marques dans son nouvel environnement », explique Stéphane Bloch, associé au sein du pôle Entreprises publiques du cabinet d’avocats Flichy Grangé.

En parallèle, une agence de reconversion calquée sur le modèle de l’agence Défense mobilité, qui aide les militaires à retourner dans la vie civile, verra le jour d’ici la fin de l’année. « Compte tenu des risques liés à un départ volontaire, la priorité doit être de s’assurer que les agents ne partent pas sur un coup de tête en leur laissant le temps de construire un projet de mobilité solide. Il faut les aider à identifier les opportunités professionnelles dans leur bassin d’emploi et les orienter vers des formations si leurs compétences ne répondent pas aux attentes des entreprises », estime Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT fonctions publiques. Bilan de compétences, coaching personnalisé, simulation d’entretien d’embauche, mise en relation avec les employeurs… le cabinet d’outplacement Sémaphores accompagne les fonctionnaires dans leur reconversion. « Peu mobiles dans leur carrière, les agents sont moins à l’aise pour se vendre lors des entretiens. Faute d’avoir développé un réseau professionnel, et par méconnaissance du marché de l’emploi, ils ont aussi du mal à repérer les postes qu’ils peuvent viser et les compétences transférables dans le privé », précise Olivier Dupont.

Des profils rares recherchés.

Pourtant, les entreprises n’hésitent pas à courtiser les talents dotés d’expertises pointues. Les professionnels de l’informatique ou les spécialistes de la sécurité sont très convoités. « Les informaticiens et les ingénieurs chargés des dispositifs de cyberdéfense du ministère de l’Intérieur sont des cibles intéressantes pour les entreprises, qui sont prêtes à leur faire des ponts d’or. Ces professionnels peuvent commencer leur carrière dans le public et fonder leur attractivité sur cette expérience », insiste Stéphane Jenck. De leur côté, les agents qui ont géré des projets d’envergure sont « chassés » pour leurs savoirs, mais aussi pour leur carnet d’adresses. D’autres disposent d’une connaissance fine des rouages administratifs pour décrocher des marchés publics et des territoires dans lesquels ils ont exercé. Ainsi, Keolis se tourne vers d’anciens fonctionnaires de la Police nationale pour des postes de conducteurs de bus, de contrôleurs et de médiateurs. L’opérateur de transport de voyageurs compte sur eux pour appuyer ses équipes lors des opérations de lutte contre les fraudes, pour évacuer les rames de métro en cas d’incident ou pour réorganiser le réseau selon les événements locaux. « Ces professionnels sont déjà intervenus dans les zones urbaines sensibles, ils ont été confrontés aux problèmes d’incivilités. Ils ont aussi été formés à la gestion des mouvements de foule. Grâce à cette expérience, ils ont acquis des réflexes qui leur permettent de repérer les situations à risque et de prévenir les violences. Dans nos métiers, il faut savoir réagir rapidement pour empêcher les débordements », explique Marie-Caroline Colin, directrice recrutement et gestion de carrière pour le groupe Keolis.

Puiser dans le vivier des fonctionnaires est aussi la solution de Maser Engineering. La société d’ingénierie a recruté en CDD de six mois une professeure de technologie mise en disponibilité par l’Éducation nationale. Diplômée d’un DUT génie mécanique et productique, l’enseignante conçoit des ateliers de formation pour promouvoir les métiers de l’industrie auprès des élèves de troisième. « Les bons formateurs, avec à la fois des compétences techniques et pédagogiques, sont rares. L’enseignante connaît le secteur de l’industrie, mais aussi les codes des nouvelles générations. Elle arrive à capter leur attention et à trouver des ressorts pour les intéresser aux métiers industriels », souligne Marc Ansidei, responsable activité conseil et formation chez Maser Engineering. Alors qu’il n’a pas les moyens de concurrencer les rémunérations du privé, le défi pour l’État est de réussir à faire partir les agents qu’il souhaite et de retenir les meilleurs profils qui pourraient être tentés de profiter de cet appel d’air pour booster leur carrière. Une gageure.

« Quitter l’Éducation nationale, c’est renoncer à la stabilité de l’emploi »

La réalité du métier d’enseignant a fait déchanter Paul-Louis Roux, entré dans l’Éducation nationale en 2002. Après avoir enchaîné les remplacements, puis exercé dans les instituts de rééducation, ce professeur des écoles a demandé au bout de dix ans une mise en disponibilité pour reprendre ses études. « C’était un filet de sécurité qui me permettait de revenir dans l’Éducation nationale si mon projet de reconversion échouait. Bien que les salaires soient peu attractifs, quitter l’Éducation nationale, c’est aussi renoncer à la stabilité de l’emploi pour partir vers l’inconnu. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans rémunération et sans droit au chômage. » Alors qu’il écrivait des chroniques culturelles pendant son temps libre, il a opté pour un master 2 en information-communication. C’est en recherchant des stages qu’il s’est confronté au monde de l’entreprise. « Beaucoup d’employeurs voient les fonctionnaires comme des fainéants, des gens peu fiables et râleurs. En mettant en avant ma maîtrise de la langue française et ma culture générale, j’ai trouvé un stage dans une agence de communication qui a fini par m’embaucher. » Après avoir, pendant cinq ans, rédigé du contenu rédactionnel et animé les réseaux sociaux pour des clients, il s’est lancé un nouveau défi : créer son agence de conseil. « Même si j’ai dû apprendre à faire tout le travail d’un commercial, mes compétences pédagogiques sont un atout. »

Auteur

  • Adeline Farge