logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

L’U2P, dernière de cordée du camp patronal

Décodages | Organisations | publié le : 01.02.2019 | Benjamin d’Alguerre

Condamnée jusqu’à présent à occuper un strapontin au bout de la table des négociations, l’U2P est bien décidée à faire entendre la voix de ses 152 000 entreprises adhérentes dans le débat social. Mais ni les autres organisations patronales ni les pouvoirs publics ne semblent décidés à lui laisser occuper l’espace qu’elle estime être le sien.

L’affaire s’est jouée de façon feutrée, le 8 janvier dernier. Ce jour-là, Sophie Duprez est élue présidente de l’assemblée générale du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), à l’occasion de la séance d’installation de cette instance qui, depuis le 1er janvier 2019, remplace le RSI (régime social des indépendants). À l’U2P, l’Union des entreprises de proximité, on n’est pas loin de crier à la forfaiture. Non que la personnalité de la gérante de l’enseigne de restauration rapide auvergnate Crousti Pain (125 salariés) soit en cause, mais c’est, d’une part, du fait qu’elle milite à la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) qui fait débat, et, d’autre part, que son élection a bénéficié du soutien du Medef. « Le Medef et la CPME se sont alliés pour faire obstacle à l’U2P, qui est de loin l’organisation la plus représentative sur le champ des travailleurs indépendants ! », s’énerve Bertrand Fayet, secrétaire général de l’U2P Auvergne-Rhône-Alpes. De quoi faire rager les représentants des artisans et des professions libérales qui espéraient s’installer à la tête de la nouvelle instance, avant de se faire doubler dans la dernière ligne droite par leurs concurrents patronaux. Ces derniers ont bénéficié du ralliement crucial d’une petite organisation, la Confédération nationale des retraités des professions libérales (CNRPL), une structure associée à la CPME. De ce fait, à l’U2P, on s’interroge pour savoir si les alliés du jour auront vraiment à cœur d’améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants, ou s’il s’agit d’un simple gentlemen’s agreement entre les confédérations de l’avenue Bosquet et de la Terrasse Bellini, c’est-à-dire le Medef et la CPME, sur le dos de celle de la rue Ampère, l’U2P.

« Tour de passe-passe ».

Pour l’Union, cet échec à conquérir la présidence d’un organisme de protection sociale de premier plan fleure le déjà-vu. Ce n’est pas la première fois que le Medef et la CPME s’unissent, malgré leurs profondes divergences, pour barrer la route aux petits patrons de l’U2P. En 2017, déjà, lors de la réforme de la représentativité patronale, les deux organisations avaient su trouver un terrain d’entente pour s’assurer que la troisième ne dispose que d’un strapontin. « Au départ, le Gouvernement avait convenu d’une règle simple : une entreprise égale une voix. Mais, à la suite d’une forte opération de lobbying de la part du Medef, l’exécutif s’est rangé aux desiderata de ce dernier, en décidant que le poids de la masse salariale des entreprises entrerait en compte dans le calcul de la représentativité à hauteur de 70 % des voix. Ce fut un tour de passe-passe scandaleux ! », tempête Michel Chassang, président de l’UNAPL (Union nationale des professions libérales), qui a fusionné en novembre 2016 avec l’UPA (Union professionnelle artisanale) pour donner naissance à l’U2P. Ce qui ne passe pas, c’est le ralliement de la CPME au Medef sous la pression de deux de ses plus puissants adhérents, l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) et la Fédération du bâtiment (FFB). « Tout ce que cela créera, c’est une rancune durable », prévient le dirigeant de l’UNAPL. « Avec ce système, le Medef est assuré d’être toujours numéro un dans le monde patronal et dispose même d’un droit d’opposition à lui seul : c’est comme si l’on décrétait que Liliane Bettencourt, parce qu’elle est milliardaire, dispose de mille voix à une élection présidentielle, alors que l’artisan du coin, lui, n’en a qu’une », opine Alain Griset, le président de l’Union.

Culture de la grande entreprise.

L’U2P n’en démord pas : en nombre, elle reste la première organisation patronale représentative de France, avec près de 152 000 entreprises adhérentes – contre 145 000 à la CPME, et 123 000 au Medef. De quoi exiger de l’État qu’il cesse de la considérer comme l’intrus du monde patronal, même si elle ne « pèse » que 4,2 % des salariés (507 000 personnes). Pas gagné, car si l’Union, de son propre aveu, entretient des relations cordiales avec le ministère du Travail, c’est loin d’être le cas avec d’autres acteurs institutionnels. À commencer par Bercy, souvent accusé par les artisans de ne rouler que pour les grandes entreprises. « La culture du ministère des Finances, c’est celle de la grande entreprise. Les TPE (très petites entreprises), ils s’en foutent », dénonce Alain Griset. En témoignent les ristournes fiscales auxquelles la moitié des TPE de l’artisanat et des professions libérales ne sont pas éligibles. En cause, la confusion récurrente entre impôt sur les sociétés (IS), qui concerne les SA, SAS, SCS, sociétés mixtes, SARL et EURL (dès lors que l’associé unique est une personne morale) et l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), soit le régime fiscal de la moitié des TPE. Une indifférence dont se désole Pierre Burban, secrétaire général de l’U2P : « Quand le Gouvernement se félicite de la baisse de l’IS, il oublie qu’un nombre conséquent de TPE n’en profitent pas. » Et ce n’est pas le projet de loi Pacte qui risque de changer la donne. L’U2P aura eu beau réussir à arracher quelques concessions durant les travaux préparatoires (notamment la suppression du forfait social dans les entreprises de moins de 50 salariés, ainsi que la possibilité pour une entreprise unipersonnelle de passer au statut EIRL et de pouvoir se voir assujettie à l’IS), elle estime que le compte n’y est pas. « Nos entreprises ne peuvent pas proposer de Perco (plan épargne retraite collectif) ou d’autres dispositifs d’intéressement de ce type. Nous aurions préféré la mise en œuvre d’une défiscalisation des primes, mais Bercy n’a pas retenu cette option », regrette Alain Griset.

Autre motif d’insatisfaction : le maintien du seuil social de onze salariés, jugé délétère pour le développement des TPE, et l’absence de réforme du régime de la microentreprise, pointé du doigt par les patrons de l’artisanat du fait de la concurrence déloyale qu’il entraîne avec son régime de TVA particulier. Dernier coup dur : le calcul du prélèvement à la source pour les TPE, alors que 35 000 d’entre elles ne sont même pas enregistrées sur la base de données DSN (déclaration sociale nominative) grâce à laquelle l’administration détermine l’assiette de la contribution fiscale. En conclusion, de quoi laisser penser aux patrons de TPE artisanales et libérales qu’ils sont les grands oubliés des réformes.

Positionnement culturel.

Mais pourquoi cette confédération, dont le slogan se vantait jadis de constituer « la première entreprise de France », peine-t-elle autant à être reconnue à sa juste mesure ? « Elle souffre de deux handicaps majeurs : la petite taille des entreprises qu’elle représente, et ses faibles moyens au plan national. Sur le plan de la reconnaissance, elle ne boxe clairement pas dans la même catégorie que le Medef, qui dispose de la ressource et de l’expertise pour alimenter en permanence le débat public de ses contributions, analyse-t-on au Sénat. Mais l’U2P souffre aussi d’un problème de positionnement culturel, en tergiversant en permanence sur son rôle : partenaire social à part entière ou simple outil de défense de certaines catégories professionnelles ? »

Alain Griset, artisan taxi à Douai, monté récemment au front contre Uber et contre les VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur), confirme : « Mon rôle, c’est de revendiquer en faveur de nos entreprises. C’est vrai, j’ai plus à voir avec un syndicat de salariés qu’avec Carlos Ghosn. » Entre la défense catégorielle des petits patrons et l’appartenance au monde paritaire, l’alchimie est parfois difficile à créer. Particulièrement en ces temps où l’État se prend à imaginer une reprise en main du paritarisme de gestion. À ce sujet, la position de l’U2P est claire : « S’il s’agit de nous placer comme gestionnaires des systèmes de retraite complémentaires, de résolution de conflits, de formation et d’assurance-chômage, alors, c’est « oui ». Si le rôle se limite à une fonction de supplétifs de l’État, c’est « non » ».

Paradoxalement, c’est peut-être dans les régions que l’U2P bénéficie d’une meilleure reconnaissance, grâce à la présence de ses bras armés, les chambres de métiers et de l’artisanat (même si la CPME lui a ravi 30 % de leurs présidences, aux dernières élections consulaires), mais aussi des syndicats de salariés, depuis la mise en place, en 2010, des commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat. Représentants de l’artisanat et syndicalistes s’y réunissent une fois par trimestre pour discuter GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), formation, emploi, seniors, métiers en tension ou apprentissage. « Ce système s’est ancré et donne lieu à un véritable paritarisme constructif », salue Christophe Doré, président de l’U2P Normandie. Symbole de la réussite de ce dialogue social décentralisé, la mise en place, en 2012, de comités des œuvres sociales. « Les CE de l’artisanat ! », sourit Laurent Rigaud, de l’U2P Hauts-de-France. Plus exactement : un fonds mutualisé permettant aux artisans et à leurs salariés de bénéficier de chèques-vacances ou de chèques-cadeaux, comme les employés des grandes entreprises.

Demain, peut-être, le périmètre social de l’U2P pourra-t-il encore s’agrandir avec la constitution du nouvel opérateur de compétences (OPCO) du champ des services de proximité, que l’Union a construit avec trois syndicats de salariés, et dont la demande d’agrément est actuellement entre les mains du ministère du Travail. Cet outil disposerait d’antennes régionales et permettrait aux patrons de l’artisanat et des professions libérales de peser sur les politiques de formation et d’apprentissage à l’échelon local même si, à l’U2P, on jure qu’il ne s’agira pas d’un organisme de promotion destiné à faire adhérer les entreprises. Problème : la CPME s’est positionnée sur la constitution du même OPCO, même si elle ne dispose d’aucun accord constitutif signé par des organisations syndicales. À voir si le ministère du Travail, qui détient le Graal de l’agrément final, accordera à l’U2P la préséance sur cette nouvelle instance paritaire. Ou si, une fois de plus, l’Union des entreprises de proximité se fera doubler dans la dernière ligne droite par une organisation patronale de plus grande envergure.

Bleu de travail et gilet jaune ?

Chez les artisans, il y a désormais ceux qui occupent les ronds-points et qui défilent le samedi, et ceux qui risquent de mettre la clé sous la porte à cause des premiers. En dépit de revendications communes (sur la baisse de la fiscalité, notamment), le mouvement des gilets jaunes divise l’U2P. « Derrière chaque gilet jaune, il peut y avoir un artisan : on peut les comprendre, ils ne se sentent pas respectés et ont le sentiment d’être matraqués », juge Laurent Rigaud, président de l’U2P Hauts-de-France. Cet artisan-boucher du Nord fait partie des employeurs ayant répondu à la demande d’Emmanuel Macron d’offrir une prime de fin d’année exceptionnelle à leurs salariés, afin de donner un petit coup de pouce à leur pouvoir d’achat. À Caen, Christophe Doré, président de l’U2P Normandie, dit surtout craindre pour les commerçants installés au centre-ville, « à la trésorerie fragile », mis en danger par les manifestations urbaines du mois de décembre. Son union régionale a d’ailleurs organisé la tenue de cahiers de doléances le 21 janvier. À l’U2P nationale, on dit comprendre le ras-le-bol, mais craindre les conséquences des blocages et des violences. Ce n’est pas la première fois que le monde des TPE est agité par des mouvements spontanés. En 2013-2014, déjà, l’émergence soudaine des « plumés », des « poussins », des « tondus », des « dupés » et autres « bonnets rouges » avait bousculé les confédérations. L’UPA (Union professionnelle artisanale) avait alors choisi de surfer sur la vague en organisant le mouvement des « sacrifiés » et lancé une pétition contre l’excès de fiscalité qui avait recueilli 800 000 signatures…

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre