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Le DRH numérique, pilote de la transformation des entreprises ?

À la une | publié le : 01.01.2019 | Lucie Tanneau, Gilmar Sequeira Martins

Les DRH ont déjà adopté les outils digitaux pour moderniser leur process, les rendre plus fluides et les personnaliser. Beaucoup sont même déjà engagées dans une démarche d’innovation digitale reposant sur une forte implication des collaborateurs et des managers, d’autres services comme la DSI, voire des prestataires.

Le digital est très tendance. Événements autour des pratiques collaboratives de demain – et leurs outils –, digital RH meeting, ateliers pour concevoir les applications innovantes avec les start-up et matinales sur la disparition du papier se multiplient… Mais comment en est-on arrivé là ? « Les premières applications de paie datent des années 1960, et les années 1990 ont vu emerger les applications informatiques pour gérer les plans de formation », rappelle François Gueuze, professeur à l’IAE de Lille et consultant (cabinet e-RH). Mais la loi du 12 mai 2009, qui permet à l’employeur de remettre les bulletins de salaire sous format électronique, a sans doute commencé à faire basculer le DRH dans l’ère numérique. Cette loi, en avance sur les usages, constitue la première pierre de la digitalisation des outils et des process RH, avec, souvent, l’utilisation de plateformes collaboratives pour les plannings de vacances ou de réunions. « Les outils ont servi de transition », confirme Jean-Noël Chaintreuil, auteur du livre RH et digital « Regards collectifs de RH sur la transformation digitale » (Diateino, 2015). Après la fiche de paie électronique, « les réseaux sociaux d’entreprises, comme Linkedin ou Viadéo il y a cinq ans, puis les outils de feedback il y a trois ans, moment de la prise de conscience des DRH, ont ouvert le DRH à la culture numérique et lui ont offert un nouveau rôle au comex », note ce spécialiste en stratégie, en management, en ressources humaines et en réseaux sociaux.

L’IA encore en phase expérimentale.

L’utilisation et la diffusion de ces outils varient d’une entreprise à l’autre et, paradoxalement, leur adoption a souvent été plus rapide dans les TPE ou dans les ETI. Si l’industrie reste en retard, la majorité des DRH ont aujourd’hui conscience du changement à opérer. « Quand j’étais DRH au sein de Microsoft, j’étais bien placé pour voir émerger ces différences, et, depuis cinq ou six ans, on voit monter en puissance cet enjeu », appuie Yves Grandmontagne, élu président du Lab RH, en septembre dernier, sur une feuille de route très digitale. « Les pratiques changent, poursuit-il. On voit des expérimentations sur les pratiques de formation, avec du présentiel complété de e-learning, de gamification (serious game), etc. » Certains testent aussi de nouvelles pratiques de recrutement, « notamment l’exploitation des données pour identifier les profils ». Le groupe SOS et le site Skilero.com ont expérimenté une solution de recrutement basée sur des tests composés d’une soixantaine de questions (sélectionnées parmi 300 autres grâce à un algorithme). À l’issue des tests, l’entreprise a rencontré les candidats dont le niveau d’aptitude avait été validé. « On parle beaucoup de l’IA dans les RH, particulièrement pour le recrutement, mais on est encore en phase d’expérimentation », corrige Jean-Noël Chaintreuil, qui cite l’exemple de Vera, le robot recruteur de L’Oréal, aujourd’hui abandonné. « Aucune intelligente artificielle n’est capable d’effectuer un recrutement, estime François Gueuze. Des algorithmes puissants peuvent aider à rédiger des annonces, à identifier les meilleurs canaux pour diffuser les offres, à trouver des profils ou à identifier des compétences sur un CV… Mais nous sommes encore loin d’être remplacés par l’IA, d’autant que les algorithmes fonctionnent assez bien en anglais et en espagnol, mais vraiment moins bien en français », expose le professeur de Lille. Ce dernier pointe une difficulté du DRH digital : « Construire des bases de données tout en évitant les biais qui feront fonctionner la machine de travers, et qui tromperont les algorithmes. »

Des outils partout ?

Les outils se développent aussi sur des domaines comme l’engagement et la motivation. Avec des prises de température en continu (grâce à des solutions imaginées par des start-up), les entreprises préparent, par exemple, au fil de l’année, leur baromètre de satisfaction. « Avec le numérique, nous sommes aujourd’hui capables de visualiser la capacité d’implication du candidat, son aptitude à devenir un leader, à se former en permanence pour suivre les solutions », notait déjà François Guillaume, chef de marché RH chez Talentia Software, dès 2013. Depuis, de nombreuses applications ne cessent d’être développées dans le champ de l’évaluation de la performance pour permettre aux DRH ainsi qu’aux collaborateurs, de préparer les entretiens, « avec, notamment, une pratique d’entretiens plus fréquents », note Yves Grandmontagne. Des outils, comme le bureau virtuel d’ADP, permettent de numériser les dossiers du personnel ou les contrats de travail. La BPCE procède, par exemple, depuis 2015, à la signature numérique des contrats de travail et de leurs avenants, qui sont versés dans l’espace employeur et dans le coffre-fort électronique du salarié.

Attention à l’approche gadget !

« Mais le but du DRH digital n’est pas de se doter d’outils dont on voit rarement les évaluations », précise François Gueuze, qui se bat contre « l’approche gadget ». « Le but est d’avoir une vision d’ensemble sur la transformation de l’organisation, de passer d’une logique de support à une logique d’impulsion », souligne-t-il. « Le changement a toujours été le quotidien de la fonction RH, mais les façons de travailler évoluent très rapidement du fait de ce bain digital, et un DRH numérique doit donc être plus curieux, capable de se remettre en question plus rapidement, de faire de la prospective. Paradoxalement, la définition du DRH numérique ne comporte pas de termes digitaux », estime Yves Grandmontagne. Ce dernier assume une vision simpliste des choses : « Au recrutement ou à la fidélisation, nous avons rajouté l’étage collectif. Le DRH s’oriente sur l’efficacité collective, sur l’équilibre de vie, sur les capacités à travailler chez soi… » Plus qu’un utilisateur d’outils, le DRH numérique est « quelqu’un qui a compris que la transformation numérique allait toucher le cœur du travail et non pas simplement numériser les processus papier, et qui est capable de s’y adapter », décrit Jérôme Bouron, lauréat du prix du DRH numérique de l’ANDRH en 2017 (voir page 23). Le DRH numérique est donc celui qui doit piloter la digitalisation de l’entreprise et insuffler la culture digitale. Si le DRH ne sera jamais un gestionnaire de données, puisque c’est le rôle des responsables SIRH, les entreprises ont besoin d’une personne qui comprenne l’ensemble des métiers et qui soit capable d’évaluer l’influence de la digitalisation sur chaque métier. « Le Chief digital Officer (CDO) – et je n’en ai pas rencontré beaucoup dans ma vie ! – est concentré sur l’évolution du métier de l’entreprise, et non sur celle des collaborateurs eux-mêmes », décrit François Geuze. « Aujourd’hui, la logique du DRH n’est pas de stocker les données dans son bureau, mais de travailler en collaboratif, en intermédiation avec les managers et les collaborateurs : les frontières RH s’estompent. » Les autorisations d’absences, autrefois accordées dans le bureau du manager ou du DRH, sont aujourd’hui saisies par le collaborateur sur des tablettes puis sont validées par le manager (et ce, où qu’il soit) et transmises au DRH. Avec un triple objectif de gain de temps, de partage d’informations et de collaboratif, qui permet au DRH d’apporter une plus-value à l’organisation.

L’enjeu numérique irrigue la filière.

Le DRH digital n’est pas nécessairement un geek. Il doit donc savoir s’entourer pour mener la transformation. « C’est tout un écosystème qui travaille ensemble pour créer de la valeur », encourage Jean-Noël Chaintreuil. De la formation comme première acculturation, avec par exemple la création d’un cours « RH & digital » au Celsa, à l’émergence de master ou MBA digitaux, jusqu’aux éditeurs de logiciel qui ont compris qu’ils devaient aider le DRH à se digitaliser. « On assiste à la bascule d’un modèle traditionnel avec licence au passage à un abonnement avec des mises à jour, des MOOC, des prix moins élevés pour les DRH qui sont devenus des ambassadeurs du changement », remarque le consultant. « Les structures d’accompagnement, et c’est beaucoup plus récent, se placent désormais auprès du DRH et du comex pour gérer la transition sur la durée, pour s’approprier la culture et pour aider le DRH à devenir autonome », ajoute Jean-Noël Chaintreuil. Les recruteurs se positionnent également, grâce au sourcing et à la marque employeur notamment, afin d’aider le DRH dans cette transition. Enfin, les start-up proposent des services et des processus à destination des DRH numériques. « Il y a de tout, et le niveau est très inégal », prévient Jean-Noël Chaintreuil. Le rôle des DRH est donc aussi de savoir choisir. Pour les aider, le Lab RH projette de créer un annuaire pour recenser les acteurs, leurs solutions et leurs niveaux de maturité. « La révolution digitale suscite une plus grande réactivité et une organisation différente de la part des entreprises. Le RH est confronté à ça, et les réponses se trouvent dans les technologies qui permettent de travailler différemment, ainsi que dans l’organisation », résume Yves Grandmontagne. « Contrairement à une vision négative de l’évolution de la fonction, cela donne un rôle plus important encore au DRH. »

Individualisation des relations.

Cette évolution, qui chamboule simultanément tous les process RH, a des répercussions sur le rôle comme sur le positionnement de la fonction. Les relations entre les services RH et les interlocuteurs extérieurs s’en trouvent ainsi affectées. En premier lieu, par une plus forte individualisation. Elle touche d’abord la phase de recrutement, note Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH : « Pendant longtemps, recruteur et candidat ne savaient rien l’un de l’autre avant de se rencontrer. Maintenant, les candidats connaissent déjà beaucoup de la personne qui les recrute. Certaines personnes me parlent de mon expérience en Russie, par exemple. » Le recours à la cooptation a également augmenté. Une tendance qui, certes, accélère le processus de recrutement, mais qui présente aussi des inconvénients. « Voir arriver des candidats par l’intermédiaire de gens que vous connaissez, cela a forcément une influence sur vous, constate Benoît Serre. Pour recruter le plus objectivement possible, il faut revenir aux bases du métier. » Grâce à la digitalisation, la fonction de recruteur du DRH peut aussi devenir plus efficace. « La digitalisation permet également d’avoir plus d’informations et de procéder à des vérifications. Tel candidat se dit très intéressé par tel domaine, mais pourquoi ne publie-t-il rien à ce propos ? Globalement, la digitalisation permet de se concentrer sur la personne et sur la dimension humaine. » Au sein de l’entreprise, la digitalisation a aussi modifié les modes de communication. Le classique top down n’est plus de mise, les messages sont désormais davantage personnalisés. Une évolution qui tient, certes, aux possibilités techniques, mais qui répond aussi à un autre enjeu, plus déterminant. « Aujourd’hui, les collaborateurs attendent d’être pris en considération en tant que personne singulière, avec des besoins particuliers », explique Benoît Serre. Il souligne que cette dimension peut prendre une importance cruciale dans le champ de la formation : « Si les RH ne tiennent pas compte des besoins, les gens ne vont plus attendre et ils se formeront eux-mêmes. » Avec le risque de les voir consacrer du temps à des formations sans adéquation évidente avec leurs missions actuelles et futures, et qui peuvent même, à terme, les détacher du collectif de travail. L’enjeu est d’autant plus fort que les entreprises sont grandes, complexes, et que les collaborateurs se trouvent éloignés des services RH. Autant de critères qui peuvent caractériser la SNCF. Pour relever ce type de défi, pour conserver l’unité du collectif de travail et pour lui donner plus d’agilité, l’entreprise a lancé, en 2014, un réseau RH. Aujourd’hui, il compte 10 000 membres parmi lesquels de nombreux managers soucieux d’apporter des réponses aux salariés. Loin de se borner à faciliter et à fluidifier la communication des informations et des données, ce dispositif a permis d’engager une seconde phase d’innovation encore plus riche (voir encadré). Mireille Dollard estime donc injustifiée la réputation qui colle encore à la fonction RH vis-à-vis des enjeux de transformation digitale : « La fonction RH est parfois qualifiée de ’frileuse’ par rapport au digital, mais je fais le constat inverse. Depuis que nous avons lancé ces applications, la population RH plébiscite ces initiatives et en demande d’autres dès lors qu’elles simplifient son quotidien. » Si la multiplication des initiatives a toutes les chances de modifier rapidement cette perception, un satisfecit trop prononcé présente aussi des risques, rappelle Benoît Serre : « La digitalisation a cependant deux faiblesses. D’un côté, elle augmente encore les possibilités de ceux qui possèdent un réseau et qui savent l’utiliser ; de l’autre, elle pénalise encore plus qu’avant ceux qui n’en ont pas. » Si la DRH doit effectivement se digitaliser, elle ne doit pas pour autant oublier de préserver la dimension humaine des relations.

La SNCF en mode AgilRH

Lancé en 2014, le réseau RH réunit aujourd’hui 10 000 membres. « Ce réseau RH a été précurseur de la démarche AgilRH, qui accompagne le repositionnement de la fonction RH au service des enjeux business et management, et du programme AgilRH, qui développe des solutions digitales grâce à son Lab RH », explique Mireille Dollard, responsable du développement des métiers RH à la SNCF. Ce programme s’est constitué sur une triple ambition. D’abord, simplifier les process. L’une des actions les plus emblématiques dans ce domaine aura été la digitalisation du process de notation qui marque chaque début d’année à la SNCF. Un moment très attendu dans l’entreprise, puisqu’il se révèle décisif dans la vie des collaborateurs et des managers. La digitalisation a permis de simplifier et de clarifier cette phase importante. « En la digitalisant, nous avons observé une nette augmentation de la satisfaction des utilisateurs, compte tenu du gain de temps obtenu dans le traitement du sujet », note Mireille Dollard. Le programme AgilRH a aussi débouché sur la création d’une université RH en 2017, qui remplit une double mission. En parallèle des programmes de formation, ses équipes ont créé une bibliothèque digitale dans laquelle les acteurs RH peuvent venir piocher des modules consultables sur n’importe quel outil numérique. Plus de 160 documents ont déjà été créés et mis à la disposition des utilisateurs (dont le nombre dépasse les 14 800). Le troisième objectif du programme AgilRH porte sur le management. « Il vise à donner davantage de possibilités d’initiatives au manager en le déchargeant des contraintes administratives, afin qu’il puisse se recentrer sur ses missions », explique Mireille Dollard.

Gilmar Sequeira Martins

Auteur

  • Lucie Tanneau, Gilmar Sequeira Martins