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Idées

La montée en puissance du référendum

Idées | Juridique | publié le : 01.12.2018 | Jean-Emmanuel Ray

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La montée en puissance du référendum

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Les quinze dernières années ont vu notre droit du travail changer de modèle, d’un droit légiféré à un droit négocié dans l’entreprise. L’ordre public a progressivement laissé place au primat de la négociation collective, a fortiori dans l’entreprise. Promotion de l’accord qui a eu pour contrepartie l’adoption de la règle majoritaire ! Comment concilier cette règle stricte avec un modèle qui nécessite des accords ? Là est tout l’enjeu de la promotion du référendum.

Un contexte favorable

La place centrale accordée aujourd’hui au référendum, alors que sa place était anecdotique il y a encore quelques années, s’explique par la transformation de notre modèle de négociation collective et de représentation syndicale. Il constitue la contrepartie du durcissement des conditions de conclusion des accords collectifs de travail. Jusqu’à la loi Fillon du 4 mai 2004, il suffisait que l’accord soit conclu par un ou plusieurs (un seul suffisait) syndicats représentatifs, sachant qu’un syndicat l’était du seul fait qu’il était affilié à l’une des cinq « grandes » confédérations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC). Non seulement les organisations syndicales doivent à présent prouver systématiquement leur représentativité, sur la base notamment d’un critère d’audience, mais encore, l’accord d’entreprise doit, pour être valablement conclu, l’être avec des syndicats ayant obtenu la majorité des suffrages aux élections professionnelles. Durcissement car, depuis le 1er mai 2018, il faut avoir réuni 50 % des suffrages (et non plus 30 %) même s’il s’agit uniquement des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives, ce qui réduit le niveau d’exigence.

Rappelons que le modèle social voulu par les présidents Hollande et Macron est construit autour de la négociation collective en général, d’entreprise précisément. L’article 1er de la loi Travail était particulièrement symptomatique et prévoyait une « refondation » du droit du travail, de dernier devant « attribuer une place centrale à la négociation collective, en élargissant ses domaines de compétence et son champ d’action ». Même si cette refondation (qui consistait peu ou prou à réécrire le Code du travail) a été abandonnée avec l’abrogation dudit article, les ordonnances réalisent, certes plus modestement, un objectif similaire en faisant de la primauté de l’accord d’entreprise le principe. En construisant notre droit du travail autour de l’accord d’entreprise, on ne pouvait prendre le risque que la règle majoritaire ainsi consacrée paralyse les négociations, d’où l’adoption d’une solution de « rattrapage ». La voie était toute trouvée : le référendum.

Des cas spéciaux et généraux

Trois cas généraux (dans le sens où ils ne sont pas restreints à des objets déterminés) de référendum existent, auxquels s’ajoutent des cas spécifiques.

Le premier et principal cas de recours est le référendum de droit commun, qui joue le rôle de voie de rattrapage lorsque la majorité n’est pas atteinte. La loi Travail en avait réservé l’initiative aux organisations syndicales avant que, ce qui était quasiment inéluctable, les ordonnances ne l’ouvrent à l’employeur. Le mécanisme référendaire est le suivant : l’accord collectif, pour avoir une chance d’être « sauvé », doit avoir recueilli au minimum 30 % des suffrages ; dans le mois qui suit sa signature, une ou plusieurs des organisations syndicales signataires adressent à l’employeur une demande de consultation. En cas d’abstention des syndicats, l’employeur peut à son tour déclencher une consultation du personnel, sauf si l’ensemble des syndicats signataires s’y opposent (l’opposition d’un seul des syndicats ne suffit donc pas). À compter de la demande des syndicats ou de l’initiative de l’employeur, un délai de huit jours court, destiné à tenter d’obtenir la signature d’autres organisations syndicales, afin d’atteindre le seuil de 50 %, à défaut de quoi le référendum peut avoir lieu, dans un délai de deux mois. Les modalités du référendum sont prévues dans le cadre d’un protocole conclu entre l’employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant obtenu au moins 30 % des voix au premier tour des dernières élections. Sont donc concernées les organisations syndicales aussi bien signataires que non-signataires de l’accord.

Le deuxième cas de recours est le référendum dans les TPE, qui sert alors de substitut aux délégués syndicaux (entreprises de moins de 11 salariés et de moins de 21 salariés en l’absence d’élus) : l’employeur propose à la ratification des deux tiers des salariés un projet d’accord, un délai minimum de quinze jours devant courir à compter de la communication à chaque salarié du projet d’accord et des modalités d’organisation de la consultation (art. L. 2232-21 C. trav.). Un dispositif peu orthodoxe, conçu pour pallier la quasi-absence de représentation syndicale dans les petites entreprises, et l’échec des voies alternatives explorées jusqu’à présent, à commencer par le mandatement.

Troisièmement, la validité des accords collectifs conclus avec des salariés mandatés, élus ou non du CSE, ou avec des membres du CSE, est précisément, elle aussi, soumise, sous certaines conditions (le principe même du recours au référendum et les règles qui lui sont applicables diffèrent, entre autres, selon la taille de l’entreprise) à leur approbation par les salariés à la majorité des suffrages, dans un délai de deux mois, à compter de la date de conclusion de l’accord (art. L. 2232-23-1 C. trav. ; L. 2232-24 ; L. 2232-26).

À ces trois cas généraux s’ajoutent des référendums portant sur des thèmes spécifiques : référendum pour la mise en place d’un PPE, d’un PEI et d’un PERCO (art. L 3332-3 ; L. 3334-2 C. trav.), référendum pour la mise en place d’un accord d’intéressement et de participation (art. L 3312-5 C. trav.), référendum en matière de protection sociale complémentaire (art. L. 911-1 CSS) et référendum en matière de travail dominical (en cas de décision unilatérale de l’employeur ; art. L. 3132-25-3 C. trav. ; sur ces différents cas V. F. Petit, Les référendums professionnels, Gualino, 2018, p. 9 s.). Un certain nombre d’entreprises ont également eu recours, en dehors des cas légaux, à la consultation des salariés, pour peser sur les syndicats, dans la perspective d’une négociation à venir, voire postérieurement à l’échec des négociations, en s’appuyant sur l’approbation des salariés pour poursuivre leur projet de réforme (Goodyear, 2008 ; Smart, 2015 ; Air France, 2018, etc.).

Un dispositif à manier avec précaution

D’un point de vue strictement juridique, le référendum est un processus valide : le Conseil constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises que si les organisations syndicales ont vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et des intérêts des travailleurs, elles n’ont pas pour autant un monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective (en dernier lieu, Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC). Ce qui ne le rend pas pour autant exempt de toute critique. Un certain nombre d’arguments sont avancés en faveur du recours au référendum. Si l’on excepte l’argument peu convaincant selon lequel il faut des accords, et donc faciliter l’obtention d’une majorité, il est avancé que le référendum recueille les suffrages de l’ensemble des suffrages exprimés alors que le caractère majoritaire de l’accord est calculé sur la base d’un cercle plus restreint, celui des seuls suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives. De même, l’audience des syndicats vaut, en principe, pour tout le cycle électoral (une désaffiliation ne permet toutefois pas de maintenir l’audience), sachant que les points de vue des salariés ont pu évoluer en quatre ans ; le référendum, au contraire, mesure la volonté des salariés à l’instant T. Un certain nombre d’autres éléments invitent cependant à être réservés sur le recours au référendum. C’est d’abord une certaine vision de l’intérêt des salariés qui est privilégiée, l’intérêt collectif représenté par les syndicats s’effaçant au profit d’une somme d’intérêts individuels. Rien n’oblige en effet le salarié qui répond à un référendum à prendre en compte des intérêts autres que le sien. Ensuite, les syndicats disposent, avec la réforme de la représentativité réalisée en 2008, d’une légitimité démocratique certaine, si bien que le recours au référendum n’apporte rien de ce point de vue (il ne peut plus s’agir d’une manière de pallier le déficit démocratique de la représentativité syndicale). Enfin et surtout, les délégués syndicaux ont l’expérience et, en principe, une certaine compétence en matière de négociation, ce qui est indispensable s’agissant d’accords souvent complexes (sur ces arguments, V. Cohen-Donsimoni, Dr. soc. 2018, p. 422). Quel impact à ce jour ? Sans que cette impression s’appuie sur des chiffres probants, un contraste fort semble se dessiner, au vu des retours de la pratique, entre l’utilisation, depuis les ordonnances de 2017, du référendum dans les TPE qui semble s’installer (d’après un chiffre rendu public le 22 septembre 2018, les entreprises de moins de 21 salariés étaient à cette date 364 à avoir conclu un accord d’entreprise par voie de référendum, usine nouvelle, sept. 2018), notamment sur le temps de travail, et les référendums de « rattrapage » (référendum lorsque les syndicats signataires n’obtiennent que 30 % des suffrages), qui semblent rester une hypothèse rare. Le risque, pour les syndicats demandeurs ou pour l’employeur, de se retrouver face un référendum hostile, en dissuade plus d’un ! Il faudra aussi être vigilants sur le contenu des accords conclus sur cette base, notamment sur la qualité de l’information donnée aux salariés sur ce dernier ou le projet d’accord. Par exemple, des réunions préparatoires sont indispensables s’agissant du référendum dans les TPE, l’une dans laquelle l’employeur présente au personnel son projet, l’autre dans lequel il répond aux questions (en ce sens, N. Laffue, Dr. soc. 2018, p. 428). Aucune négociation à proprement parler n’a en effet été prévue pour ce type d’accord, ce qui ne surprend pas, les salariés n’étant pas investis (contrairement aux délégués syndicaux) d’un pouvoir de négociation.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray