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Formations au numérique : le grand bazar

Décodages | publié le : 01.10.2018 | Dominique Perez

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Formations au numérique : le grand bazar

Crédit photo Dominique Perez

Le défi sera-t-il relevé ? Tandis que les besoins en recrutement dans le numérique explosent, les réponses en formation semblent insuffisantes. Comptant sur le vivier des demandeurs d’emploi, le Gouvernement parviendra-t-il à convaincre les entreprises ?

80 000 : c’est le chiffre – qui tourne en boucle – du potentiel d’emplois non satisfaits dans le secteur du numérique à l’horizon 2020. En septembre 2017, le Conseil d’orientation pour l’emploi a tiré le signal d’alarme : le système de formation français ne serait adapté ni dans son fonctionnement ni dans son offre pour répondre aux nouveaux enjeux induits par cette révolution. En termes d’évolutions nécessaires des compétences des actifs, et des qualifications attendues. Pour le Synthec numérique, premier syndicat professionnel du secteur, le recrutement est bien actuellement la première préoccupation des entreprises. « Certaines sont contraintes de refuser des projets par manque de personnel, cela pose un vrai problème de compétitivité et de croissance », explique Neila Hamaddache, déléguée à la formation du syndicat professionnel. Côté offre de formation, alors que l’habitude était plutôt prise de dénoncer l’inadaptation de l’Éducation nationale, le constat n’est pas négatif. « En termes de formation initiale, il n’y a pas de problèmes de places et qualitativement le constat est bon, poursuit-elle. La grande difficulté est que des chaises restent vides dans les salles de classe, car il y a un vrai souci d’attrait pour ces filières. Les jeunes utilisent quotidiennement les outils numériques, mais de là à passer le cap d’apprendre à développer une appli… Ces métiers sont considérés comme un peu trop techniques, un peu trop statiques. Donc nous travaillons en amont sur leur attractivité. » Côté offre de formation professionnelle et continue, le paysage semble plus flou. « Beaucoup de formations ont émergé de toute part, constate-t-elle. Celles qui « sortent » du RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) sont complexes à identifier. De nombreuses entreprises, notamment les ESN (Entreprises de services du numérique), créent elles-mêmes leurs propres organismes de formation pour leurs collaborateurs en poste. C’est aussi un vivier en termes de recrutement. »

« Une vocation sociale et inclusive ».

Face à cette situation de pénurie, et pour cadrer le marché tout en proposant une voie d’accès aux formations à des non diplômés, La Grande École du numérique a été créée par le précédent Gouvernement en septembre 2015. Elle s’est inspirée de L’École 42 (qui fait partie de ce réseau), aux méthodes pédagogiques parfois contestées mais au recrutement très ouvert, sans considération de diplôme pour l’intégrer. Former vite, massivement, favoriser les qualifications et réserver les aides financières à des organismes respectant les termes d’un cahier des charges : tels en sont les grands principes. (lire l’encadré ci-dessous). Transformée en GIE en décembre 2016, elle poursuit sa mission avec plus d’ambition encore. « Je suis arrivée dans un train déjà en marche et qui roule très vite, résume Samia Gozlane, directrice de La Grande École du numérique depuis fin 2016. Nous poursuivons sa vocation sociale et inclusive, et nous continuons de développer le réseau des formations labellisées. » Ce réseau d’établissements a proposé 410 formations sur le territoire (pour 200 en 2015). Les sessions doivent répondre à des critères précis, dont la formation d’au minimum dix personnes peu ou pas qualifiées en recherche d’emploi par session de formation (avec un objectif de 80 % de chaque cohorte).

Les entreprises engagées ?

Répondre à une pénurie de compétences en formant des demandeurs d’emploi peu ou non qualifiés : c’est la volonté accrue du Gouvernement, qui parie également sur l’engagement des entreprises, invitées à participer à l’effort collectif d’insertion. « Il y a une vraie évolution du monde économique dans ce sens, se rassure Samia Gozlane. De toute façon, les entreprises n’ont pas vraiment le choix. En 2016, elles avaient encore tendance à dire : on veut bien former en signant des contrats de professionnalisation, mais pouvez-vous sélectionner des candidats qui aient déjà minimum un bac + 3 ? Il faut enlever ses œillères, cela n’existe plus. »

Le lancement du programme « 10 000 formations au numérique », dans le cadre du Plan d’investissement des compétences (PIC) est un signe fort dans le même sens. Il enfonce le clou en portant le même message, d’une clarté sans doute encore plus grande concernant les publics concernés. Cette opération d’envergure, qui commence cet automne a démarré au pas de course, avec des questions de faisabilité qui ont, dans un premier temps, quelque peu saisi les principaux intéressés. La condition sine qua non pour bénéficier des financements (pour une enveloppe globale de 14 800 000 euros) nécessaires au lancement des formations : axer le « recrutement » sur des niveaux infra-bacs.

Les OPCA ont ainsi été invitées à répondre à l’appel à projet lancé par Pôle emploi en avril 2018. Le Fafiec s’est lancé dans l’aventure. Dispositif engagé pour la formation : la POEC (Préparation opérationnelle à l’emploi collective). « Le ciblage des candidats est très spécifique et vient en plus de ce que l’on propose déjà en POEC, témoigne René Barbecot, directeur des relations institutionnelles au Fafiec. Chaque OPCA organise le programme selon les critères du cahier des charges, puis le définit avec ses propres critères. Nous avons décidé de relever le challenge, et proposé un projet visant 435 bénéficiaires dans différentes régions, pour des formations de développeurs logiciels, de métiers du Web, de codeur… « Avantage » de la formule : contrairement à la POE individuelle, qui suppose l’engagement d’une entreprise dès la signature, la POEC permet de former à des emplois identifiés par la branche et/ou les OPCA. Les entreprises sont-elles vraiment prêtes ? « C’est un véritable pari, reconnaît Béatrice Abadie, Fafiec Bretagne/Pays de la Loire/Centre/Val de Loire. Les entreprises continuent de rechercher massivement des profils d’ingénieurs, et leurs exigences se portent surtout sur des niveaux élevés, pouvant être intégrés dans des POEC « classiques » à partir de bac + 2 ou dac + 3. C’est un vrai changement culturel, qui suppose que les entreprises prennent l’engagement moral d’y aller. » Avec un enthousiasme que l’on pourrait qualifier de… mesuré. Pour l’heure, quelques grandes entreprises se sont portées candidates (IBM, Accenture, Capgemini, Linagora, Econocom, Linagora, Computacenter et CGI) pour recruter des stagiaires à l’issue de la formation. Mais pour les ESN notamment, le pas à franchir est assez grand : « Nous recrutons plus de 3 000 personnes par an, souligne Thierry Dufour, en grande majorité des ingénieurs ou diplômés bac + 5. Nous sommes en veille et intéressés par la participation de la branche à l’effort collectif, mais nous travaillons prioritairement avec des grandes écoles actuellement, comme Sup aéro ou l’EPita, ou l’UTT de Troyes sur l’élaboration de certifications sur nos métiers. Nous intégrerons quelques dizaines de personnes issues de ces formations pour le moment. » Décidée par les sièges des entreprises, travaillant notamment avec le Synthec Numérique, l’intégration future de ces personnes aux profils « nouveaux » est un sujet assez délicat sur le terrain. « Les entreprises s’habituent petit à petit à l’idée, explique Béatrice Abadie (Fafiec PDL). Mais sur le terrain, il est difficile d’obtenir des engagements fermes pour le moment. » Dans cette région, quinze futurs techniciens support en informatique et quinze en développement et codage devraient être formés en 2018 : des demandeurs d’emploi sans le bac, âgés de moins de 25 ans ou en reconversion professionnelle.

Des formations adaptées au public.

400 heures de formation pour un public pour la plupart néophyte étant considéré comme trop restreint, ce nombre a été doublé. « Il faut du temps, estime René Barbecot. Considérer la dimension comportementale est essentiel. Le développement des softskills est fondamental pour les employeurs. Et le cahier des charges prévoit un accompagnement social, ce qui peut être nouveau pour les organismes de formation… » Intégrer les entreprises le plus tôt possible dans le cursus de formation est une condition de réussite du programme. Ainsi, dans le Grand Est, après le POEC de 800 heures, la deuxième étape prévoit que les candidats seront mis en relation avec des entreprises pour la négociation d’un deuxième parcours financé par Pôle emploi, également de 800 heures. « Au bout d’un an de formation, il sera ainsi possible pour les stagiaires d’intégrer une entreprise sous contrat d’apprentissage ou de qualification » explique Sylviane Pierrot, déléguée régionale Grand Ouest du Fafiec. Une formation finalement de longue durée, susceptible de rassurer les entreprises…

Le présentiel toujours majoritaire

En voie de développement, les formations aux métiers du numérique à distance sont pourtant loin d’être majoritaires. Sur les 410 formations proposées par la Grande École du numérique, 56 % se déroulent exclusivement en présentiel et 4 % en ligne. « Nous sommes revenus du 100 % à distance, estime René Barbecot. Mais l’accent doit être mis sur des modes d’apprentissage diversifiés, serious game, vidéos didactiques… » La spécificité des apprenants, souvent éloignés de l’emploi et/ou de la formation depuis plusieurs années, justifie également ce choix. L’accompagnement social et professionnel et l’émulation liée au travail en groupe expliquent également ce choix.

Auteur

  • Dominique Perez