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La fusion des branches professionnelles ou l’arbre qui cache la forêt sociale

Décodages | publié le : 01.09.2018 | Gilmar Sequeira Martins

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La fusion des branches professionnelles ou l’arbre qui cache la forêt sociale

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Moins de branches professionnelles, mais plus fortes. Lancé dès 2014, le processus a déjà permis de réduire, par suppression ou fusion volontaire, le nombre de branches professionnelles et de conventions collectives. Mais le plus difficile reste à venir.

Entre 200 et 300 branches professionnelles fin 2018 ? Lancé officiellement le 22 septembre 2014 par la Commission nationale de la négociation collective, le chantier de la restructuration des branches professionnelles a largement avancé depuis, au point que l’objectif fixé par la loi El Khomri d’août 2016 pourrait bien être atteint. Malgré ces avancées apparentes, ce processus qui doit faire émerger des branches plus fortes, censées mener à bien leurs missions dans de meilleures conditions, ne suscite toujours pas le consensus.

La mission impossible des branches.

Pour Jean-Paul Charlez, président de l’ANDRH, le caractère positif du processus est évident : « Se retrouver dans des branches avec une réelle capacité de négociation peut être utile car les dispositions négociées le seront dans l’intérêt des entreprises et des salariés. » À l’instar d’autres organisations syndicales et patronales, l’Unsa (Union nationale des syndicats autonomes) se montre plus réservée : « Nous sommes favorables aux rapprochements s’ils sont cohérents. Par exemple, c’est le cas de celui des assistant(e)s maternelles, qui représentent 300 000 personnes environ, avec les salariés employés par des particuliers, qui sont 700 000 environ, car il existe déjà des réunions interbranches sur certains sujets communs aux deux branches », explique sa secrétaire générale adjointe Florence Dodin. Chez FO, on refuse, en revanche, cette « logique d’objectifs totalement arbitraire ». « C’est en réalité une harmonisation par le bas qui conduit à une réduction des droits collectifs, estime Karen Gournay, secrétaire confédérale. Nous y sommes d’autant plus opposés que le raccourcissement de l’échéance, passée d’août 2019 à août 2018, n’a aucune justification. »

La restructuration modifie aussi le paysage syndical en redessinant les périmètres des branches. « Cela peut signifier la disparition de certaines organisations syndicales ou patronales, constate Frédéric Bodin, secrétaire national de Solidaires. La création d’une grande branche de la santé, un secteur qui regroupe des structures qui vont de la petite association au grand groupe détenu par des fonds de pension, est en discussion depuis des années. Les organisations patronales y sont très divisées et cette création aurait aussi un impact sur la présence des organisations syndicales. »

Donneurs d’ordres et sous-traitants.

Paradoxalement, créer des branches plus étendues pourrait les placer dans l’impossibilité de remplir leurs missions. C’est la conviction de Pierre Jardon, secrétaire confédéral de la CFTC : « Plus le périmètre sera large, moins la branche sera en mesure d’apporter de vraies réponses sociales aux entreprises et aux salariés. Si on regroupe trop, la couverture conventionnelle ne sera plus adaptée à la réalité que vivent les salariés et les entreprises. Et puis comment la branche pourra-t-elle réguler la concurrence, qui est pourtant l’une de ses missions, avec un périmètre trop large ? » Les disparités entre les entreprises vont augmenter, estime de son côté Annette Jobert, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des relations sociales : « Réduire le nombre de branches risque de creuser le fossé entre les entreprises disposant des moyens de négocier, où les syndicats sont bien implantés, et les autres. »

D’autres acteurs redoutent l’impact économique de la restructuration des branches professionnelles. La CPME s’alarme d’un processus qui revient, peu ou prou, à calquer les branches sur les filières économiques. « Raisonner seulement en termes de filière économique, c’est prendre le risque de mettre les sous-traitants sous la coupe des donneurs d’ordres, estime Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CPME. Réunir les fabricants de textiles et ceux qui les commercialisent peut avoir du sens, en termes de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) par exemple, mais c’est donner la main aux grands de l’industrie textile qui vont imposer leurs conditions aux PME et ça peut être catastrophique. Les négociations salariales ne peuvent pas être les mêmes dans les grandes entreprises et les PME. »

Si la fusion de conventions collectives moribondes ou dont les activités étaient très proches n’a guère posé de difficultés (voir encadré page 36), ce n’est pas le cas de celles où organisations syndicales et patronales sont en profond désaccord ou de celles qui évoquent déjà un recours devant le conseil d’État.

Quelle méthode adopter pour sortir de ces ornières ? La CFDT préconise la recherche de « nouveaux équilibres », comme explique Marylise Léon, secrétaire nationale : « Il faut construire un équilibre global en prenant en compte les rémunérations mais aussi le temps de travail, le télétravail, la lutte contre les contrats courts. Pourquoi ne pas relier dans un même bloc à négocier trois éléments : temps de travail, organisation du temps de travail et rémunération ? Les thèmes jugés essentiels à négocier dépendent de chaque secteur. »

La CFE-CGC propose de son côté de créer dans les branches une convention « sommitale » dans laquelle figureraient toutes les dispositions relatives aux enjeux économiques, à la formation et à l’emploi, et d’y ajouter des « accords professionnels », négociés par des acteurs dont la représentativité ferait l’objet d’un arrêté spécifique. « Nous proposons un système qui reprend la logique des ordonnances avec un accord “sommital” qui devient supplétif par rapport à l’accord professionnel, tout comme l’est la convention collective par rapport à l’accord d’entreprise », résume Gilles Lecuelle, secrétaire national de la CFE-CGC. Un tel dispositif aurait aussi l’avantage de faciliter les fusions entre conventions collectives trop différentes en préservant dans un cadre séparé les négociations les plus ardues relatives aux classifications et aux rémunérations.

Toujours moins.

Alors que la première phase de la restructuration est encore loin d’être achevée puisque de très nombreuses négociations sont en cours, la seconde phase du processus, pouvant mener à 100 voire 50 branches, comme le précise le programme d’Emmanuel Macron, suscite déjà des inquiétudes. La CGT se montre réticente à réduire encore le nombre de branches. « Si c’est le cas, de grandes nébuleuses vont se constituer et il n’y aurait plus que des branches comme le Syntec qui dilueraient la spécificité des métiers, souligne Manuel Blanco, membre de la Commission exécutive confédérale de la CGT. Le risque, c’est d’avoir des conventions collectives réduites à des généralités sans lien avec les métiers et des politiques de formation et d’évolution très compliquées à mettre sur pied. »

À l’inverse, le Medef croit l’objectif possible, à condition de changer de méthode. « Pour aller jusqu’à 100 branches, comme le souhaite le président Macron, il faut assouplir les règles de restructuration des branches en permettant le maintien de plusieurs conventions ou accords autonomes dans le périmètre d’une branche restructurée sans imposer nécessairement, comme aujourd’hui, une seule convention par branche au terme d’un délai de cinq ans, explique Viviane Chaine-Ribeiro, ex-présidente du Syntec et membre du bureau du pôle social du Medef. Nous proposons une structure en forme de chapiteau qui serait soutenue par plusieurs conventions collectives avec, au sommet, une “sommitale”, c’est-à-dire un texte conventionnel regroupant les dispositions communes. »

En touchant des secteurs toujours plus importants, la restructuration des branches risque d’entrer dans une zone de turbulences, tant les enjeux sont importants, estime Karen Gournay, de Force Ouvrière : « Elle va impacter la représentativité des organisations syndicales et patronales, le financement du paritarisme et plus globalement la structuration des organisations syndicales et patronales. » Autant de facteurs qui ne favoriseront pas l’émergence d’un large consensus.

Restructuration, mode d’emploi

L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a fixé cinq critères. Lorsqu’une branche compte moins de 5 000 salariés, une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts, un champ d’application géographique uniquement régional ou local, moins de 5 % des entreprises adhérentes à une organisation professionnelle représentative des employeurs et n’a pas mis en place une commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (ou qu’elle ne se réunit pas), elle doit entamer un processus de rapprochement/fusion avec une autre. Si elle s’y est engagée avant août 2018, les deux structures ont cinq ans pour aboutir à une fusion des conventions collectives. Après août 2018, le ministère peut engager une procédure administrative de fusion et déterminer quelle sera la convention collective absorbante et celle absorbée.

De la fusion sans anicroche au blocage total

Par un accord d’octobre 2017, la convention collective nationale (CCN) du commerce de gros a absorbé celle du commerce de gros de confiserie et alimentation fine. Les salariés auparavant couverts par cette dernière vont cependant continuer à bénéficier des dispositions plus favorables de leur ancienne CCN dans cinq domaines : le travail de nuit, le contingent d’heures sup, le repos hebdomadaire, le chômage des jours fériés et l’indemnité de départ en retraite. Par ailleurs, une phase transitoire est prévue pour les salariés dont la rémunération minimale dépasse celle de la CCN qui leur est désormais applicable. Jusqu’au 31 juillet 2023, ils bénéficieront d’une garantie d’augmentation égale à la moitié de l’augmentation négociée dans le périmètre de la CCN des commerces de gros.

Le cas des salariés de la restauration ferroviaire semble, en revanche, pour l’instant bloqué. Alors qu’une majorité d’organisations syndicales prônent son rattachement à la convention collective ferroviaire, les organisations patronales penchent plutôt pour celle des hôtels-cafés-restaurants. « Ces salariés sont soumis aux mêmes contraintes que le reste des salariés du ferroviaire en termes de contraintes physiques, d’horaires, explique Manuel Blanco, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT. Il n’y a aucune raison qu’ils soient placés sous un statut différent. Un contrôleur et un conducteur n’ont pas le même métier mais ils ont la même convention collective parce qu’ils font partie de la même communauté de travail. La même logique doit prévaloir pour les salariés de la restauration collective ferroviaire. »

Troisième cas de figure, celui de la branche… des mannequins adultes et enfants de moins de 16 ans qui compte moins de 5 000 salariés. Alain Clair, secrétaire général de la fédération spectacles de l’Unsa, conteste l’obligation de fusionner sur ce seul critère. Pour lui, « la loi dit que le Ministre “peut engager une procédure de fusion et non qu’il doit impérativement le faire”. Il pointe les dangers d’un rapprochement forcé : « une fusion avec une autre branche – celle de la publicité et celle de la couture ont été évoquées – générerait inévitablement des conflits d’intérêts avec des chambres patronales représentant des entreprises qui ont recours à des mannequins mais qui n’en sont pas les employeurs légaux. À moins que la direction générale du Travail ne décide de reconsidérer sa position dogmatique, nous allons vers un mariage forcé à l’automne. Si c’est le cas, nous déposerons un recours en Conseil d’État pour excès de pouvoir. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins