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Dialogue social : le retour à la réalité

Décodages | publié le : 01.09.2018 | Benjamin d’Alguerre

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Dialogue social : le retour à la réalité

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Après les avoir ignorés pendant un an, Emmanuel Macron a choisi de redonner la main aux partenaires sociaux pour un programme de réformes de rentrée chargé, où se mêlent assurance-chômage, retraites et santé au travail. Cela suffira-t-il à calmer la grogne qui monte dans la société et que les organisations syndicales ont de plus en plus de mal à canaliser ?

Ce n’est plus de la colère sociale que je vois monter : c’est de la haine ! » Assis dans son bureau au dernier étage du 141, avenue du Maine en cette mi-juillet, Pascal Pavageau énumère les débordements qui ont émaillé les conflits sociaux survenus au cours des derniers mois : salariés de l’hôpital de Rouvray poussant jusqu’à la grève de la faim pour exiger la création d’une trentaine de postes dans leur établissement, débarquement de black blocs cagoulés et équipés pour la bagarre en marge des cortèges du 1er mai, affrontements entre manifestants et CRS lors de la manifestation des fonctionnaires du 22 mai… Un point commun : une même forme de jusqu’au-boutisme dans la démarche, que les manifestants s’en soient pris à eux-mêmes ou aux autres. « Vous savez ce qui m’a fait tiquer lors de la manif du 22 mai ? », interroge le nouveau secrétaire général de FO. « L’absence de familles dans le cortège. Pourtant, dans les manifestations de la fonction publique, vous avez toujours les profs qui viennent en famille, avec les gamins et les poussettes. Pas cette fois. Comme si seuls ceux qui voulaient en découdre étaient descendus dans la rue ce jour-là… »

Climat social orageux.

Pour le successeur de Jean-Claude Mailly, le climat social est à l’orage. La faible mobilisation des mécontents au cours des derniers mois (40 000 personnes à Paris à l’occasion de la « marée humaine » du 26 mai, à en croire le cabinet Occurrence spécialisé dans le comptage des foules ; entre 143 000 et 210 000 le 1er mai, selon que l’on se fie aux chiffres de la préfecture ou à ceux des syndicats…), loin de démontrer le désintérêt des travailleurs pour les contestations sociales, est au contraire le signe que les formes traditionnelles de lutte ne parviennent plus à fédérer. Et faute de pouvoir s’exprimer dans la rue lors de manifestations régulées par les syndicats, le mécontentement pourrait s’exprimer par d’autres biais. Plus extrêmes. Plus violents. « Si ça continue comme ça, la prochaine crise ne se finira pas avec une simple chemise arrachée ! », prophétise le leader de Force ouvrière, pourtant élu sur une ligne bien plus dure que celle de son prédécesseur.

À la CGT aussi, on reconnaît la difficulté croissante à jouer le rôle de fer de lance de la contestation. « C’est vrai : on mobilise difficilement sur le plan intersectoriel », confesse Philippe Martinez, le secrétaire général de la centrale de Montreuil. « Lorsqu’il y a des mouvements très identifiés comme à la SNCF, chez Carrefour ou chez Air France, les salariés suivent. Mais on a du mal à dépasser le cadre des entreprises ou à faire converger les luttes. » À ses yeux non plus, cette anesthésie des mouvements sociaux « classiques » n’annonce rien de bon. Faute d’encadrement syndical suffisant, les contestataires pourraient être tentés par des actions plus radicales. Durant l’été, CGT et FO ont d’ailleurs déployé leurs équipes mobiles auprès de la caravane du Tour de France. De peur que la présence des caméras ne pousse quelques travailleurs en lutte à accomplir un geste désespéré ou spectaculaire en direct…

« La première fonction du syndicalisme, c’est de socialiser la violence. Or, les effectifs syndicaux sont à ce point en baisse qu’ils n’en sont plus capables. On le voit lors des manifestations où les débordements se multiplient », assure Éric Ferrères, ancien dirigeant CGT-Cheminots, devenu expert en dialogue social au sein du cabinet RH Entreprise & Personnel. « Le risque, c’est que les mouvements de contestation se cristallisent autour de collectifs autonomes ou d’organisations politiques, comme ça s’est passé le 26 juin dernier. Et ça, le Gouvernement s’en inquiète. » À cette date, les troupes de Philippe Martinez s’étaient rangées derrière la bannière de La France Insoumise dans le but de « faire la fête à Macron », selon le mot d’ordre lancé par le député picard François Ruffin.

ANI sous contrôle.

Il faut dire que les partenaires sociaux ont eu du mal à se faire entendre par des moyens conventionnels au cours de l’année écoulée. Ignorés ou maltraités par l’exécutif, ils n’ont pas été amenés à jouer leur rôle d’interlocuteurs du pouvoir lors de l’an I du quinquennat. Consultés au pas de charge en amont de la rédaction des ordonnances travail, séquence au cours de laquelle ils n’ont pu sauver que quelques meubles (notamment le pouvoir des branches), leur rôle s’est limité à discuter des accords nationaux interprofessionnels (ANI) dans des conditions et des timing fortement encadrés par l’exécutif. En témoignent les négociations sur l’assurance-chômage et la formation professionnelle dans lesquelles le ministère du Travail s’est invité à tous les stades des discussions. Dans le cas de la formation, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a même annoncé, quelques heures à peine après la conclusion des débats, que le futur texte de loi « Avenir professionnel » ne reprendrait qu’en partie le résultat des cogitations des partenaires sociaux. Difficile à digérer pour ces derniers, même pour la partie patronale, plutôt mieux disposée à l’égard du chef de l’État.

« Emmanuel Macron a ventilé les partenaires sociaux façon puzzle et les a balkanisés, y compris les syndicats réformistes comme la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC ou l’Unsa sur lesquels il aurait pu s’appuyer pour passer ses réformes », résume Éric Ferrères. « Les syndicats ne représentent pas l’intérêt général », assénait l’actuel locataire de l’Élysée en 2015, lorsqu’il était encore le ministre de l’Économie de François Hollande. Depuis, cette assertion est devenue un mode de gouvernement, quitte à agacer même les moins velléitaires. Au premier rang desquels la CFDT dont le numéro 1, Laurent Berger, n’a eu de cesse durant l’année écoulée de réclamer l’élaboration d’un agenda social et de nouvelles négociations sur le retour à l’emploi des chômeurs longue durée, les classifications, la qualité de vie au travail ou le rôle des nouvelles instances représentatives du personnel (CSE, etc.) nées des ordonnances. Sans résultats pendant près d’un an.

Virage de l’exécutif.

Y a-t-il eu prise de conscience à la tête de l’État des risques qu’entraînerait la mise à l’écart des partenaires sociaux ? Le 17 juillet, en tout cas, le président recevait les huit organisations syndicales et patronales représentatives pour un « sommet social » de trois heures, au cours duquel l’Élysée leur a confié le soin de reprendre la main, dès septembre, sur une nouvelle négociation relative à l’assurance-chômage ainsi qu’à la santé et à la qualité de vie au travail. Et cette fois, pas question d’enfermer les débats dans un carcan fixé par les pouvoirs publics, puisqu’il appartiendra aux organisations patronales et syndicales d’élaborer un diagnostic qui fournira le cadre des négociations, à la suite de rencontres bilatérales et multilatérales avec Matignon et le ministère du Travail. « Il y a une volonté de renouer les fils qui s’étaient dénoués », se félicite François Hommeril, le président de la CFE-CGC. Et si le Gouvernement entend surtout confier aux partenaires sociaux le soin de trouver une solution à l’articulation entre l’allocation de retour à l’emploi (ARE) et l’allocation de solidarité spécifique (ASS), les organisations sociales « ne s’interdisent aucun tabou ». Pas même celui de revoir la question des contrats courts qui a failli faire capoter l’accord Unedic du 22 février dernier. « Le président a repris l’idée que la permittence [l’alternance de contrats courts et de périodes de chômage sur le modèle des intermittents du spectacle, NDLR], financée par la solidarité nationale, détruit le développement des moyens économiques de la compétitivité. Le problème c’est que, pour l’instant, tout le monde se refile la patate chaude sur ce dossier », poursuit le leader du syndicat des cadres.

Petite victoire pour les partenaires sociaux ? Ils avaient en tout cas tout fait pour mettre l’Élysée au pied du mur. Le 11 juillet, soit six jours avant le sommet social, les huit chefs de file des confédérations syndicales et patronales s’étaient réunis au CESE à l’invitation de François Asselin, le président de la CPME, pour élaborer, un agenda social de l’année 2018 – 2019, sans l’aval de l’exécutif. « Si l’exécutif ne s’était pas manifesté, nous avions d’ores et déjà identifié quelques thèmes sur lesquels nous aurions lancé des négociations : la qualité de vie et la santé au travail, les travailleurs des plateformes ou les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Et nous aurions pris la liberté de négocier sans que le résultat ne soit écrit d’avance comme c’est trop souvent le cas depuis le quinquennat Sarkozy », explique Pascal Pavageau.

Seule inconnue au moment du lancement de l’invitation du 11 : Geoffroy Roux de Bézieux, élu à la tête du Medef quelques jours auparavant, sur un programme clairement sceptique quant aux vertus du dialogue social interprofessionnel, accepterait-il de se joindre à la fête pour rester conforme à sa ligne ? « La réunion se serait tenue qu’il vienne ou pas », précise-t-on dans l’entourage du président de la Confédération des PME. Le successeur de Pierre Gattaz entame donc son mandat avec un choix difficile : soit renouer les fils du dialogue social avec ses homologues syndicaux et patronaux quitte, à écorner les principes sur lesquels il a été élu, soit jouer le jeu de la chaise vide en courant le risque que sa parole ne porte pas si l’exécutif, dans quelques années, ne venait à donner un coup de barre à gauche. En faisant, par exemple, passer par ordonnances le bonus-malus sur les contrats courts… Dilemme en vue pour le nouveau patron des patrons. Sur le perron de l’Élysée, le 11 juillet, l’ancien dirigeant de The Phone House fut d’ailleurs le plus discret des leaders sociaux quant aux desiderata de son organisation.

« Retraite par points, travail sans fin ».

Pour autant, dialogue renoué ou pas, les organisations syndicales ne s’interdisent pas non plus de recourir à leurs traditionnelles mobilisations de rue. Principale cible des colères à venir : la réforme des retraites que mitonne le Gouvernement. Si celui-ci a procédé à une concertation de plusieurs mois avec les organisations sociales, sous la houlette de l’ex-président du CESE Jean-Paul Delevoye, les syndicats de salariés veulent maintenant passer à la vitesse supérieure. « On a suffisamment discuté sur les principes généraux du projet : maintenant, il faut rentrer dans le dur ! », tonne Pascal Pavageau. Le nœud gordien, c’est la définition exacte de la « retraite par points » avancée par le Gouvernement, sur laquelle les partenaires sociaux – côté syndical en tout cas – avouent n’avoir aucune vision. « La retraite par points, c’est le travail sans fin ! On s’opposera à toute tentative d’individualisation des retraites », annonce le successeur de Jean-Claude Mailly. En prévision de la rentrée, FO fourbit d’ailleurs ses armes. Le 30 août, la confédération de l’avenue du Maine a rencontré les autres organisations syndicales, mais aussi les mouvements de jeunesse. Avec comme objectif « une grève à l’automne ». L’occasion, peut-être, de récupérer la rue. Et de reprendre la main sur une contestation sociale devenue anarchique et potentiellement incontrôlable.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre