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Des emplois francs new-look amélioreront-ils l’emploi dans les quartiers défavorisés ?

Idées | Débat | publié le : 07.06.2018 |

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Des emplois francs new-look amélioreront-ils l’emploi dans les quartiers défavorisés ?

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Depuis avril, le Gouvernement a relancé une nouvelle version des emplois francs pour favoriser l’emploi dans les quartiers prioritaires de la ville. Emmanuel Macron espère faire mieux que son prédécesseur en élargissant le dispositif déjà testé sous François Hollande. De quoi encourager l’embauche ? Les avis divergent sur l’attractivité de cette nouvelle mouture.

Yazid Chir : Président et co-fondateur de l’association Nos quartiers ont des talents

Les emplois francs revalorisés, expérimentés sur une grande partie du territoire national et ouverts à une population plus large sont une excellente nouvelle. Ces contrats libèrent les énergies en permettant désormais aux entreprises de tout le territoire de s’engager. Ils sont un véritable outil de justice sociale et d’équité républicaine en cassant les frontières des quartiers.

Mais le Gouvernement n’a fait qu’une partie du chemin pour lutter contre ce que le président de la République nomme « l’assignation à résidence ». L’expérience démontre en effet que l’État ne doit pas – et ne peut pas – tout faire ni se substituer au tissu associatif. C’est en faisant confiance et en mobilisant les acteurs qui réussissent qu’il garantira la bonne fin des emplois francs.

L’exemple de notre association, qui s’est engagée à organiser le parrainage de 100 000 nouveaux jeunes supplémentaires d’ici fin 2022, est en ce sens révélatrice. Bien plus que nourrir les statistiques de leur bilan social, les entreprises engagées peuvent s’appuyer sur des talents nouveaux auxquels elles n’avaient pas accès. Quant aux jeunes, ils bénéficient grâce à un accompagnement personnalisé d’une égalité des chances indispensable.

Les associations de terrain, qui connaissent les populations dans ces territoires et les entreprises sont à même de les unir à travers ce contrat républicain gagnant-gagnant. Et ce en synergie avec Pôle Emploi pour réaliser un travail de sourcing efficace. C’est pourquoi il est impératif que le Gouvernement s’engage pour définir les modalités d’un véritable partenariat public-privé entre l’État, les associations et les entreprises en matière d’emploi dans les quartiers, pour faire du « travailler ensemble » le ciment du « vivre ensemble ».

Vincent Baholet : Délégué général de la Face, Fondation pour agir contre l’exclusion

Avec un chômage deux fois supérieur dans les quartiers et des discriminations qui concernent même les plus diplômés, la relance des emplois francs est bienvenue. Encore trop méconnue et insuffisamment accompagnée dans son déploiement, la nouvelle formule est bien accueillie par les dirigeants d’entreprises et les DRH.

La première version des emplois francs, trop restreinte dans ses conditions pour en bénéficier et financièrement pas assez attractive pour mobiliser les entreprises, n’avait pas décollé. Les dispositifs emplois des zones franches urbaines connaissent par ailleurs un succès limité. Le nouveau dispositif expérimental du Gouvernement apparaît donc mieux adapté.

Par leur ouverture et le niveau d’aide accordée, les mesures pour les CDI permettent de mobiliser les grandes entreprises comme les PME et les TPE. La réussite du dispositif appelle toutefois une véritable politique de sensibilisation, d’accompagnement et de reconnaissance des entreprises qui s’engagent. Des mentorats spécifiques pourraient aussi être développés pour faciliter l’intégration et la stabilisation dans l’emploi.

Les mesures sur les CDD – qui représentent l’essentiel des recrutements – risquent en revanche de connaître une moindre attractivité. Leur durée minimale requise aurait pu être réduite à 3 ou 4 mois, afin de fournir à chacun une première expérience et mobiliser plus d’employeurs. Une action d’accompagnement social et professionnel, prioritairement dédiée aux contrats courts, permettrait aussi aux bénéficiaires de mieux valoriser leurs expériences et de transformer leurs compétences.

Au-delà du dispositif, il faut créer une mobilisation générale autour des emplois francs dans chacun des sites pilotes. C’est la condition pour réussir cette émancipation par le travail et faire société avec l’entreprise, dans les quartiers prioritaires.

Pierre Madec : Économiste au département analyse et prévision de l’OFCE, Observatoire français des conjonctures économiques.

Exception faite de leur ciblage sur les quartiers prioritaires, les nouveaux Emplois francs proposés par Emmanuel Macron s’écartent du dispositif précédent. Le champ de l’aide s’étend à l’ensemble de la population de ces quartiers faisant passer la population éligible de 38 000 à 467 000 chômeurs selon l’EEC de l’Insee de 2015, soit une population-cible multipliée par 12. La critique portée quant au nombre très (trop) restreint de demandeurs d’emploi éligibles semble donc écartée dans cette nouvelle mouture puisque ce dispositif concernera l’ensemble des demandeurs d’emploi des quartiers prioritaires, et non plus les jeunes demandeurs d’emploi de longue durée.

Il en est d’ailleurs de même concernant la critique portant sur l’existence d’une trop forte concurrence entre les différents dispositifs d’aide. La suppression par le Gouvernement d’un certain nombre de contrats aidés devrait accroître le succès du dispositif emplois francs. De même, l’augmentation significative du montant d’aide versée devrait elle aussi répondre à certaines réserves sur le dispositif précédent.

Néanmoins, elle ne permet pas de capter correctement et de façon homogène les territoires les plus en difficulté. Si l’objectif est de dynamiser ces territoires, l’implantation des entreprises au sein des quartiers aurait dû constituer une condition supplémentaire d’éligibilité au dispositif, à l’image des zones franches urbaines par exemple. En outre, du fait de l’existence de phénomènes d’aubaine importants inhérents à ce type de dispositif à destination du secteur privé, l’effet du dispositif sur les créations nettes d’emploi devrait s’avérer relativement faible (22 500 emplois) pour un coût budgétaire significatif : de 450 millions d’euros la première année à 1 milliard d’euro par an à l’horizon de trois ans.

Ce qu’il faut retenir

// François Hollande avait déjà testé les emplois francs en 2013, mais de façon plus restreinte. L’aide (5 000 euros en tout) était liée à l’embauche en CDI d’un jeune de moins de 30 ans dans les quartiers prioritaires, au chômage depuis plus d’un an. En outre, l’entreprise devait être localisée dans la zone urbaine concernée. La mesure avait été un échec : entre 2013 et 2015, seuls 280 contrats avaient été signés.

// Emmanuel Macron, lui, entend en faire un dispositif « simple et ambitieux ». Désormais, tous les demandeurs d’emplois d’un quartier prioritaire sont éligibles aux emplois francs. Et l’entreprise peut signer un contrat quelle que soit sa localisation. Les aides sont relevées : 5 000 euros par an pendant trois ans pour un CDI. La formule s’étend aux CDD, avec une prime annuelle de 2 500 euros pendant 2 ans.

// Prudent, le ministère du Travail expérimente le dispositif appliqué depuis le 1er avril 2018 jusqu’au 31 décembre 2019, dans 194 quartiers prioritaires de 7 territoires. Si l’évaluation est probante, les emplois francs seraient généralisés en 2020.

En chiffres

26,4 %

C’est le taux de chômage dans les quartiers prioritaires en 2015, soit plus du double de la moyenne nationale. La situation reste inquiétante, d’autant que plus de la moitié des habitants ont un diplôme inférieur au bac, selon l’Insee.

(Source : enquête emploi 2015, Insee).

54 000

C’est le nombre d’habitants des quartiers prioritaires ayant bénéficié d’un contrat aidé en 2015 dans le privé (CUI, Emploi d’avenir, aujourd’hui refondus dans les parcours emplois-compétences). Soit 13 % des bénéficiaires, selon la Dares.

(Source : Dares, rapport annuel de l’ONPV 2016)