Les 1 120 pages pourraient, de prime abord, décourager. C’est sans compter sur les premières lignes de l’introduction : « Imaginez le retour de l’équipe de France après sa victoire à la Coupe du monde. C’est ça tous les jours, mais pour des motifs politiques… » En 1998, j’y étais sur les Champs Élysée. J’ai rarement assisté à un tel bain de liesse. Il n’en fallait pas plus pour me happer. Les auteurs sortent des sentiers battus. Point d’interview de Daniel Cohn Bendit mais plus de 300 militants, actifs entre 1966 et 1983, ont été interrogés.

Ce que ces anonymes disent de 68 et de leur engagement dresse un portrait bien différent du soixante-huitard tel qu’il a été décrit jusqu’ici. Cinq années d’enquêtes menées par une trentaine de politistes et de sociologues ont été nécessaires pour arriver à dresser le portrait inédit d’une France militante des années 1970, à travers des villes : Lille, Marseille, Lyon, Rennes, Nantes et Paris.

Ces militants ont donc « fait l’histoire ». Comment ont-ils vécu l’érosion des espoirs de changement politique ? Qu’en a-t-il été de leur carrière professionnelle, de leur vie affective ? Ont-ils continué leur engagement ? Ont-ils tiré profit des événements ?

Outre les témoignages et récits de vie, la force de l’ouvrage tient également à la richesse du matériau exploité : un dépouillement d’archives le plus souvent inexplorées, comme les documents déclassiés des Renseignements généraux. Cette mosaïque d’histoires constitue la chair de ce livre et permet de brosser un portrait « non impressionniste » des soixante-huitards. Il n’existe pas de génération 68. Il a existé une hétérogénéité de personnes plus grande qu’on ne l’imaginait. Ce sont ces petites histoires, à travers la grande qui font le sel de l’ouvrage. C’est à hauteur d’hommes et de femmes que l’on reconstitue les événements. C’est un document passionnant et émouvant qui rend même un brin triste.

, sous la direction d’Olivier Fillieule, Sophie Béroud, Camille Masclet, avec le collectif Sombrero. Actes Sud. 1 120 pages, 28 euros.