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Faut-il supprimer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires ?

Idées | Débat | publié le : 07.05.2018 |

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Faut-il supprimer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires ?

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En février dernier, le Premier ministre Édouard Philippe a confirmé l’intention du Gouvernement de supprimer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires à partir de 2020. Objectif : augmenter le pouvoir d’achat des salariés et inciter au recours aux heures supplémentaires. Promesse d’Emmanuel Macron, cette « désocialisation » des heures supplémentaires fait débat.

Eric Heyer : Directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, Observatoire français des conjonctures économiques.

L’impact sur l’emploi du projet d’exonération des heures supplémentaires est ambigu. Deux effets de sens contraire se superposent : le premier est positif et est relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d’achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs en tension (bâtiment, hôtellerie, santé ou éducation). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d’achat, irriguant l’ensemble de l’économie avec un effet positif sur l’emploi. Par ailleurs, une partie de la baisse du coût du travail générerait de légers gains de compétitivité des entreprises. Le deuxième est négatif pour l’emploi : en abaissant le coût d’une heure supplémentaire, cela incite les employeurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des salariés au détriment de celle des chômeurs. Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l’économie française mais défavorable à l’emploi à court terme.

Concernant l’emploi, d’après nos simulations, dans les conditions économiques prévues lors du quinquennat intégrant une amélioration globale du climat des affaires, l’effet négatif (– 66 000 emplois) l’emporterait légèrement sur l’effet positif (47 000 emplois) : l’exonération des heures supplémentaires pourrait détruire près de 19 000 emplois à l’horizon 2022 et coûterait trois milliards d’euros aux finances publiques. Le financement de cette mesure alourdirait le bilan sur l’emploi : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois seraient comprises entre 38 000 et 44 000 postes en 2022.

Enfin, hors effet de bouclage macroéconomique, le gain financier moyen engendré par la mesure devrait s’établir à environ 0,4 % du niveau de vie des ménages soit, 88 euros par an et par ménage.

Denis Ferrand : Directeur de Coe-Rexcode, Centre d’observation économique et de recherche pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises.

L’efficacité d’une mesure de suppression des cotisations sociales sur les heures supplémentaires pour l’activité économique est dépendante du contexte dans lequel elle se déploie. Parce qu’elle est incitatrice au développement de l’offre de travail (par les salariés), elle peut notamment s’avérer particulièrement efficace dans les périodes durant lesquelles les tensions sur les recrutements s’accentuent.

L’économie française est précisément confrontée à des difficultés de recrutement croissantes. Elles s’observent dans quasiment tous les secteurs, ce sont notamment les activités de services de transport qui en pâtissent le plus. Et elles concernent tous les niveaux de qualification. En réduisant pour l’employeur le coût du recours aux heures supplémentaires, supprimer les cotisations sociales vient soutenir une demande de travail qui rencontrera ainsi une offre introuvable sur le marché du travail mais présente au sein l’entreprise à des conditions de coût devenues profitables.

Le calendrier d’une telle mesure est donc clé pour que celle-ci atteigne son double objectif d’accroissement du pouvoir d’achat du salarié qui effectue ces heures supplémentaires, d’une part, et d’augmentation du niveau d’activité pour l’entreprise, d’autre part. C’est l’écueil majeur de cette mesure envisagée par le Gouvernement. Les difficultés de recrutement sont présentes, et handicapantes aujourd’hui. Mais selon nos prévisions, le contexte conjoncturel sera probablement moins porteur en 2020. S’ils n’ont pas pris un tournant d’ores et déjà accentué, les signes de ralentissement du cycle économique commencent en effet à se propager et les conditions d’une accélération progressive des coûts et des prix se réunissent. Le cycle risque ainsi de se retourner avant l’adoption de cette mesure. Celle-ci interviendrait alors un peu à contretemps… Comme cela avait été le cas en 2008.

Pierre-Yves Chanu : Vice-président CGT de l’Acoss

La suppression des cotisations sociales des heures supplémentaires serait, selon moi, un contresens économique : comment justifier cette mesure alors que la France compte encore près de 10 % de chômeurs, et que le nombre de chômeurs en activité réduite (ayant travaillé moins de 78 heures au cours du mois) est encore de près de 750 000 personnes ?

La CGT propose au contraire de diminuer la durée du travail à 35 heures hebdomadaire, à l’exemple de ce que propose le syndicat allemand IG Metall, qui revendique même de baisser la durée du travail à 28 heures par semaine.

Le Gouvernement parle de supprimer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires. Si les mots ont un sens, cela signifie que les salariés ne paieront plus de cotisations sur les heures supplémentaires, mais que ces dernières ne compteront pas non plus pour la retraite ou pour le calcul des droits à l’assurance chômage, contrairement aux exonérations habituelles. Pour le salarié, il y aura un gain immédiat de pouvoir d’achat, mais à terme une perte au moment de sa retraite. La mesure est donc pénalisante. En revanche, pour les employeurs, ce sera tout bénéfice, puisqu’il sera plus avantageux de demander à ses salariés de faire des heures supplémentaires que d’embaucher. De plus, il est difficile pour le salarié de refuser les heures supplémentaires demandées par sa hiérarchie.

Cette mesure représente un coût important pour la protection sociale, puisque les heures supplémentaires sont actuellement soumises à cotisations. Si elles sont purement et simplement supprimées – et plus seulement exonérées – il faudra bien trouver les recettes fiscales pour compenser cette mesure. Le coût sera significatif : les exonérations de la loi Tepa de Nicolas Sarkozy ont représenté jusqu’à 3 milliards d’euros en 2011, d’après les chiffres de l’Acoss.

Ce qu’il faut retenir

// Ce projet s’inspire de la loi Tepa (Travail, emploi et pouvoir d’achat) de 2007 sous Nicolas Sarkozy, qui avait réduit les cotisations sociales patronales et salariales sur les heures supplémentaires, défiscalisées de l’impôt sur le revenu pour les salariés. Le Gouvernement actuel reprend à son compte l’idée « que le travail doit payer plus ».

// La mesure irait plus loin que les exonérations de la loi Tepa : Édouard Philippe souhaite « désocialiser » les heures supplémentaires en 2020, c’est-à-dire supprimer les cotisations sur les heures supplémentaires pour l’employeur et le salarié. Le Gouvernement n’a pas précisé le coût de ce projet, ni son financement.

// Les exonérations de la loi Tepa ont été abrogées par François Hollande en 2012 pour les entreprises de plus de 20 salariés. En 2011, un bilan parlementaire avait dressé un constat sévère, jugeant cette loi inefficace : elle aurait coûté 4,5 millions par an, pour un gain de pouvoir d’achat assez faible (500 euros par an en moyenne) pour 9,2 millions de salariés.

En chiffres

10,9

C’est le nombre d’heures supplémentaires déclarées au cours du 4e trimestre 2017 pour les salariés à temps plein, selon les données trimestrielles de la Dares.

47 %

C’est la part de salariés ayant effectué des heures supplémentaires rémunérées en 2015 dans les entreprises de plus de 10 salariés, selon le ministère du Travail. Un chiffre stable depuis 2007. Presque la moitié des salariés concernés sont à temps plein. (Source : Dares, enquête annuelle sur les heures rémunérées, mars 2018).