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1968-2018 : révolution des IRP et vertige de la liberté conventionnelle

Idées | Juridique | publié le : 07.05.2018 |

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1968-2018 : révolution des IRP et vertige de la liberté conventionnelle

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Alors que la fin du « mille-feuille des IRP » était réclamée depuis plus de vingt ans par nombre de directions d’entreprise lassées de ces réunions successives sur des sujets voisins, souvent avec les mêmes personnes vu la crise des vocations, cet enthousiasme fusionnel ne semble plus toujours au rendez-vous. D’un commun accord, on proroge même les mandats pendant qu’il est encore temps ; en attendant que d’autres essuient les plâtres, mais aussi ce qu’en diront nos juges qui se préparent à un afflux considérable de contentieux.

Trois en un : quelle révolution !

Car d’ici dix-huit mois, toutes les entreprises françaises vont voir disparaître leurs bons vieux délégués du personnel datant de 1936, leurs chers comités d’entreprise (1945) et leurs très réactifs CHSCT (1982), au profit du nouveau Comité social et économique. CSE dont la composition, le fonctionnement et les attributions dépendent d’abord d’un accord collectif (L. 2312-19), alors qu’hier ils constituaient la Chapelle Sixtine de l’ordre public en droit du travail.

Côté syndical, des regrets vu la diminution des mandats et donc des militants protégés, même si certains délégués syndicaux avouent un certain soulagement : cette réduction permettra d’éviter la chasse quadriennale aux candidats, certains moyennement motivés.

Mais aussi inquiétude sur les multiples compétences attendues des nouveaux élus, avec des évolutions prévisibles entre le social, l’économique et la santé, souvent fonction des attentes de leurs électeurs.

Mais cette déconstruction-reconstruction obligée se veut aussi une opportunité pour reconsidérer l’utilité de ces interminables informations-consultations s’étant empilées au fil des années, en délaissant celles peu utiles pour l’entreprise en cause pour se recentrer sur les plus productives.

Côté DRH, outre la panique lorsqu’on a fait la somme des thèmes et des durées des réunions des trois IRP antérieures, cette institution unique remet en cause le petit écosystème socio-politique DP/CE/CHSCT d’hier, chacun dans son couloir ou se renvoyant la balle, avec un pointilleux respect des procédures et qui finalement ronronnait assez bien. Mais ce cloisonnement se révèle contreproductif pour affronter le tsunami du Numérique qui impacte tout. Et de toute façon, cette époque est révolue puisque l’institution unique est d’ordre public absolu… justement pour éviter un discret statu quo.

Alors tout changer pour que tout reste comme avant ?

C’est d’abord oublier le Grand Vide du Grand Soir du prochain premier tour, où les trois institutions vont automatiquement disparaître, et avec elles tous les accords et autres règlements intérieurs relatifs au fonctionnement des IRP : sauf le droit syndical, tout doit être reconstruit, et pas forcément à l’identique…

Pour vouloir bouger ? Il suffit d’imaginer l’ordre du jour du futur CSE mélangeant questions sur les toilettes des ex-DP avec les orientations stratégiques données au ci-devant comité d’entreprise mais aussi le burn-out du service RH suite aux textes de 2017 – 2018 : une seule réunion, mais sur deux jours ?

Le vertige de la liberté conventionnelle saisissant aujourd’hui nos partenaires sociaux les incite donc parfois à se raccrocher aux dispositions subsidiaires du Code : de quoi passer à côté de l’essentiel de la réforme, en adoptant un prêt-à-porter certes plus facile à mettre en place mais par définition moins adapté aux problèmes spécifiques de chaque entreprise. Encore faut-il un accord d’entreprise vraiment majoritaire, ce qui constitue un acte d’espérance si le nombre de mandats est largement réduit : d’où le succès probable des « représentants de proximité » – qui n’ont pas les attributions des ex-DP ! – comme monnaie d’échange (sur l’ensemble de la question : H.-J. Legrand, G. Bélier et A. Cormier-Le Goff : « Le nouveau droit de la négociation collective : acteurs et accords après les ordonnances du 22 septembre 2017 », Éditions WKRH février 2018). Mais à terme, la vraie révolution des IRP est ailleurs.

La vraie révolution, le Conseil d’entreprise : quatre en un, plus…

Car nos bons vieux délégués syndicaux, nés le 27 décembre 1968 suite aux accords de Grenelle pour reprendre en main les troupes tentées par l’extrême-gauche et bénéficiant depuis du monopole de la négociation collective, vont pouvoir signer un accord leur retirant l’essentiel de leurs attributions…

Créer « par accord d’entreprise majoritaire ou par accord de branche étendu pour les entreprises dépourvues de délégué syndical » (L. 2321-2), le nouveau « conseil d’entreprise » est en effet « seul compétent pour négocier, conclure et réviser les conventions et accords d’entreprise » (L. 2321-1). Exit notre opposition à la française institutions élues avec leurs attributions consultatives / délégués syndicaux désignés ayant le monopole de la négociation collective : composé d’élus, ce nouveau « CE » fait tout !

Mais il revient aux délégués syndicaux de créer, ou non, cet E.T. des IRP les laissant subsister mais rabaissant leurs attributions à celles d’un brave représentant de section syndicale. Mais à gauche de la gauche, on se réjouit que des délégués syndicaux quittent leur habit de partenaire social prudent et avisé dédié à la signature d’accords collectifs donnant-donnant au profit de leur mission revendicative prenant-prenant ou d’actions en justice offensives.

Pourquoi cet apparent hara-kiri ? L’avis du Conseil d’État du 30 juin 2017 avait souligné que la loi d’habilitation ne pouvait « comporter des dispositions méconnaissant des règles ou des principes de valeur constitutionnelle ou conventionnelle », dont la convention n° 135 de l’OIT : « la présence de représentants élus ne peut servir à affaiblir la situation des syndicats ou de leurs représentants ». Mais pourquoi diable des délégués syndicaux participeraient ainsi à leur propre affaiblissement ?

D’abord en raison des contreparties offertes : subvention au CSE en hausse, valorisation des parcours syndicaux, et pourquoi pas inclusion des DS au sein du nouveau « CE ». Parfois aussi car l’unique délégué syndical dans l’entreprise de 150 personnes (la cible) ne veut plus porter tout seul la responsabilité d’accords socialement difficiles.

Enfin et surtout car le nécessaire accord majoritaire instituant le Conseil d’entreprise doit « fixer la liste des thèmes soumis à l’avis conforme du conseil d’entreprise. La formation professionnelle constitue un thème obligatoire » (L. 2321-3 nouveau).

« Avis conforme » ? C’est beaucoup moins que la co-détermination du Betriebsrat allemand car ici l’employeur reste entièrement décisionnaire ; mais beaucoup plus que notre information-consultation habituelle et souvent formelle, à laquelle l’employeur pouvait passer outre. Car dans les domaines fixés par l’accord institutif (outre l’obligatoire formation si importante en nos temps de révolution numérique, égalité professionnelle, qualité de vie voire gestion prévisionnelle de l’emploi ?), l’employeur ne pourra passer outre ce droit de veto. D’où alors sa nécessaire recherche de consensus avec des élus, là encore en forme de négociation… non plus collective mais inter-individuelle pour obtenir un vote favorable de leur part.

Alors bien sûr, il faut bien réfléchir avant de se lancer dans cette opération, et commencer par créer son CSE, qui pourra se transformer ensuite en CE.

Car si négocier avec des élus ne rebute pas forcément les DRH, les modalités de validité des accords (signature par la majorité des membres titulaires élus, ou par les membres titulaires ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés, L. 2321-9), associées au droit de veto, exigent une fine étude préalable sur cette IRP concentrant tous les pouvoirs côté salariés. Mais une entreprise, a fortiori du quaternaire, n’est plus en 2018 réductible au seul l’intérêt des associés. Son véritable « capital social » est d’abord la somme des neurones de ses sub/ordonnés, devenus collaborateurs voulant du sens et de la transparence.