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Une externalisation sous contrôle

Dossier | publié le : 07.05.2018 | Muriel Jaouën

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Une externalisation sous contrôle

Crédit photo Muriel Jaouën

Si 40 % des entreprises continuent de gérer leur paie en interne, la délégation gagne du terrain. Mais pour les responsables RH et les DAF, pas question pour autant d’abandonner toute compétence juridique.

La paie reste la grande priorité des directions des ressources humaines et le cœur du réacteur SIRH. Chaque année, elle pèse davantage dans les lignes budgétaires des entreprises, avec un coût mensuel moyen de gestion par salarié de 37,33 euros en 2017, soit 5 euros de plus qu’en 20101. Pour un seul bulletin, ce sont, en effet, des centaines de données qui sont traitées et envoyées aux différentes administrations et organismes sociaux. Des informations que les gestionnaires doivent croiser avec les dizaines de modifications introduites chaque année à la faveur de nouvelles dispositions conventionnelles, d’accords d’entreprise, de changements de statut des salariés. « Dans une entreprise de 150 personnes, le temps consacré à la seule gestion de la paie peut représenter dix jours par mois », constate Damien Favrot, directeur général de Nibelis. Mais c’est la récente inflation réglementaire (DSN, bulletin simplifié, prélèvement à la source, GDPR) qui a contraint les départements paie à monter en compétences et à investir dans les outils et les niveaux d’accompagnement idoines.

Un SIRH sur deux en mode SaaS

Comment les entreprises s’organisent-elles pour absorber cette complexification de la paie ? Informatisation, externalisation, gestion interne, modèles hybrides ? Le temps de la gestion au doigt mouillé semble largement révolu. Si le papier et le stylo ont encore voix au chapitre dans les très petites structures, la fonction paie est aujourd’hui informatisée dans 82 % des cas1. Avec une irrésistible migration vers le mode SaaS, qui concerne un SIRH sur deux, au lieu d’un sur trois en 2017. Plus de neuf entreprises sur dix affirment en outre avoir un projet de souscription en mode cloud. Quant à la ligne de démarcation entre gestion interne et outsourcing, elle penche légèrement du côté de la sous-traitance. La gestion internalisée conserve la faveur de 40 % des entreprises, 48 % optant pour une externalisation partielle et 12 % pour une délégation totale2.

Les choix sont largement guidés par la taille des entreprises. Seulement 1 % des grands comptes délèguent la responsabilité de la paie à un prestataire extérieur3. En revanche, la plupart des PME sous-traitent leur paie auprès d’un cabinet comptable. Ce qui ne les affranchit pas nécessairement d’un travail de collecte, de transfert et de contrôle des informations. Une tâche chronophage, qui, dans les TPE, échoit généralement au dirigeant. Chez Restopolitan, une start-up dédiée à la réservation de restaurants employant 25 personnes, ce fut le cas pendant dix ans. « Entre les absences, les arrêts maladie, les primes, l’édition PDF, l’archivage, la vérification, la paie représentait a minima une journée entière de mon emploi du temps mensuel. Je me suis donc mise en quête d’une solution qui me permettrait d’automatiser toutes les tâches à faible valeur ajoutée », raconte Stéphanie Pelaprat, fondatrice de la start-up. Depuis janvier 2017, Metropolitan a fait basculer la gestion de sa paie sur la plateforme 100 % cloud de PayFit.

Enjeux de productivité

À partir d’un certain seuil d’effectif, les impératifs de productivité appellent en effet nécessairement des solutions technologiques dédiées. Place de marché en ligne spécialisée dans le bricolage et la décoration, Mano Mano est passée en un peu plus d’un an de 80 à 220 salariés. « Nous travaillions jusqu’à présent avec un expert-comptable, mais à partir d’un certain seuil d’effectif, l’automatisation est à la fois plus sûre et moins coûteuse », avance Didier de Stabenrath, DRH, depuis janvier 2018 également abonné à PayFit. Pour les entreprises, la visée de l’automatisation est bien sûr économique. Un enjeu non négligeable quand 75,2 % du coût complet de la paie et de la gestion administrative est absorbé par les compétences métier contre 24,8 % pour le système d’information1. L’outil ne fait jamais tout. « Externalisation ou pas, la DSN nous oblige à multiplier les contrôles. Même avec une équipe de personnes, nous avons régulièrement recours à des alternants. Cette année, deux CDD vont venir alléger le portefeuille des chargés de paie, qui pourront ainsi se concentrer davantage sur la préparation de la retenue à la source », explique Annabelle Collongues, responsable paie et administration du personnel du groupe MACSF, qui produit 1 500 bulletins par mois. Il n’empêche, plus elles investissent dans leur SIRH, plus les entreprises augmentent leur productivité, et plus elles peuvent affecter les savoir-faire à des missions à plus forte valeur ajoutée. « La paie, qui absorbait 90 % du temps de l’équipe RH, n’en représente désormais plus que 25 % », constate Guy des Rioux de Messimy, responsable des ressources humaines d’Uni Éditions, qui, pour gérer ses 250 bulletins de paie, a basculé en 2014 sur la plateforme SIRH de Nibelis.

Les offres technologiques et commerciales des éditeurs et des prestataires ont elles-mêmes sensiblement évolué dans le sens d’une montée en compétences, agrégeant pour certains des fonctions comme l’emploi du temps, le contrat de travail, le calcul des absences, la comptabilité des heures supplémentaires, voire la BDES. De même, on observe depuis dix ans une forte tendance à la concentration des expertises stratégiques de la fonction RH en centres de services partagés (CSP) : élaboration de process groupe, analyse et optimisation des coûts de personnel, reporting, embauche des cadres, gestion des déclarations sociales, gestion des saisies arrêts, gestion des sorties de CDI, gestion des litiges1.

Limiter le risque d’erreurs

Mais cette extension du périmètre de prestation pose avec une acuité accrue la question de la responsabilité. Car c’est bien de l’application du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale qu’il est ici question. Matière à la fois complexe et très mouvante, sur laquelle, ordonnances Macron obligent, les entreprises auront sans doute de plus en plus de marges de manœuvre. « Les entreprises doivent impérativement conserver des compétences paie et juridique en interne. D’autant qu’en cas d’externalisation, la responsabilité continue en principe d’échoir aux donneurs d’ordres », note l’avocat Louis-Philippe Bichon.

La sécurité, c’est l’argument de la plupart des entreprises qui optent pour une gestion interne. En 2017, 12 % des gestionnaires considéreraient en effet que la paie n’est pas fiable3. Pour Anne Verfaillie, responsable paie de l’Institut Pasteur, pas question d’externaliser. « Nous employons près de 2 300 salariés, avec d’importants flux d’entrée et de sortie compte tenu des statuts particuliers du secteur de la recherche. La DSN, le prélèvement à la source et la RGPD impliquent une rigueur absolue en matière de sécurité des opérations et de confidentialité des informations traitées. » « D’un strict point de vue économique, entre 200 et 1 000 salariés, externaliser n’est absolument pas rentable. Entre 2 000 et 3 000, ça l’est encore difficilement. La question peut vraiment se poser pour les très grandes entreprises », affirme Jean-Pierre Taïeb, directeur associé du cabinet Avisée RH et auteur de « Paie et administration du personnel » (Dunod, 2016). Reste qu’en termes de part de marché, l’externalisation totale semble gagner du terrain. La part des entreprises externalisant totalement leur paie devrait passer prochainement à 23 %2.

Externaliser : une décision irréversible

Une externalisation est quasiment irréversible. Pas nécessairement parce que les entreprises sont satisfaites de ce qu’on leur vend, mais parce que réinternaliser s’avère aussi complexe que périlleux. « Pour les entreprises mécontentes de leur prestataire, la seule véritable solution consiste à en changer, ce qui n’est déjà pas une mince affaire. D’où la nécessité, quand on signe un contrat de sous-traitance, de prévoir des clauses de transmission des données et des pénalités associées », souligne Jean-Pierre Taïeb. Et, en tout état de cause, de faire le bon choix. Au gré de sa carrière (Lafarge Holcim, Canal+, MASCF), Yulia Roger, aujourd’hui gestionnaire de paie chez Safran, a pu tester les solutions de nombreux éditeurs. « Les choix se font au nouveau des directions, DAF ou DRH. Elles sont généralement le fait de personnes qui ne maîtrisent que de très loin la gestion opérationnelle de la paie ». Dans un livre blanc publié en 20173, Workday note que 70 % des gestionnaires n’ont pas la capacité de paramétrer seuls leurs rubriques de paie. Lors d’un changement légal mineur, ils dépendent à 60 % de la direction informatique et à 30 % de l’éditeur. Dans un double contexte de forte digitalisation des processus et d’augmentation de la valeur ajoutée de la fonction, il est impérieux qu’ils puissent rapidement s’affranchir de cette tutelle et gagner en autonomie.

(1) ADP, Benchmark 2018.

(2) Étude Sage-CXP, mars 2018.

(3) La Paie en France, Workday-CXP Group, janvier 2017.

Auteur

  • Muriel Jaouën