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Gérer les troubles psychiques au travail

Décodages | Santé | publié le : 07.05.2018 | Ingrid Seymann

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Gérer les troubles psychiques au travail

Crédit photo Ingrid Seymann

Une personne sur quatre souffrira dans sa vie d’un épisode lié à un trouble psychique. D’où la nécessité de se poser la question de la santé mentale au travail. Et du maintien dans l’emploi des personnes concernées.

C’est votre voisine dans l’open space. Mais vous n’aviez rien remarqué. Ou ce collègue avec qui vous faites équipe, et dont les absences, aussi fréquentes qu’inexpliquées, ont fini par mettre en péril l’avancement de vos dossiers. C’est ce cadre supérieur, d’ordinaire si bavard, qui vit cloîtré dans son bureau depuis trois mois. Ou votre n + 1, de retour au bureau après un AVC, qui tente de dissimuler les troubles cognitifs qui l’empêchent désormais de fonctionner à plein régime.

La 1re cause d’invalidité en France.

À en croire l’Organisation mondiale de la santé, 25 % de la population souffrira d’un épisode lié à ce type de pathologies au cours de sa vie. En France, les troubles mentaux et psychiques constituent d’ores et déjà la 1re cause d’invalidité ainsi que d’inaptitude. Et la 2e cause d’arrêt de travail. Il n’en demeure pas moins que la majorité des personnes concernées se rendent tous les jours au bureau. Et que seule une infime partie d’entre elles bénéficie d’une reconnaissance comme travailleur handicapé. Le maintien dans l’emploi de ces salariés, dans des conditions de travail décentes, soulève donc de nombreuses questions : pour elles-mêmes comme pour ceux, collègues, n – 1 ou + 1, voisins du bureau ou DRH, qui les côtoient au quotidien.

« Nous sommes souvent contactés par les entreprises quand un de leurs salariés multiplie les arrêts. Ou lors d’une reprise de poste, après une longue période de maladie », explique la psychiatre Gisèle Birck, cofondatrice du club Arihm, un cabinet spécialisé dans le maintien et l’intégration dans l’emploi des personnes atteintes de troubles psychiques. En fonction de la taille des entreprises, la demande peut émaner du médecin du travail, de la DRH ou de la mission Handicap. À l’image de la maladie psychique – appellation fourre-tout, englobant des réalités aussi différentes que la dépression, la schizophrénie, l’anxiété, la psychose maniaco-dépressive ou les troubles cognitifs – les motifs pour lesquels le club Arihm intervient sont extrêmement variés : « Il peut s’agir d’un salarié, qui a exprimé sa souffrance auprès d’un médecin du travail. D’une personne que ses collègues n’arrivent plus à supporter. D’un cadre en perte de compétences, qui multiplie les erreurs ». Il arrive aussi que ce soit un supérieur qui déclenche le signal d’alarme. Comme cette n + 1, surprise par la violente altercation qu’un de ces collègues a soudain eu avec un membre de son équipe : « À l’issue d’une réunion, ils en sont venus aux mains. Et j’ai tout de suite compris que quelque chose clochait, car le salarié en question était quelqu’un de très calme d’ordinaire. Le soir je l’ai appelé, j’ai essayé de le faire parler. Puis avec son accord, j’ai alerté le médecin du travail et nous avons pris contact avec le club Arihm ».

Un accompagnement au cas par cas.

L’accompagnement déployé par ce cabinet, créé quatre ans après la loi de 1987 qui établit l’obligation d’emploi de salariés en situation de handicap (à hauteur de 6 % des effectifs), obéit à un cadre précis et rodé : « Il y a d’abord un entretien individuel entre le salarié concerné et un de nos psychiatres » indique Gisèle Birck. Cet entretien, couplé à des tests d’évaluation psychologiques et cognitifs, permet d’établir un diagnostic de la situation personnelle, professionnelle, sociale et psychique du salarié. Les équipes du club vont ensuite rencontrer l’ensemble des parties prenantes au sein de l’entreprise (DRH, médecin du travail, manager) afin d’établir un audit de poste et de situation. À l’issue de ce processus, le salarié peut éventuellement être déclaré travailleur handicapé. Mais ce n’est pas systématique. Ce qui l’est par contre, c’est la mise en place d’actions visant à assurer, dans les meilleures conditions, le maintien dans l’emploi de ce salarié. Il peut s’agir de coaching à la réorientation, dont l’objectif est d’identifier un autre poste, en interne, où ce dernier sera moins en souffrance. D’ateliers autour de la gestion du stress ou de la redynamisation cognitive, qui vont être notamment préconisés pour les personnes dont les troubles sont survenus à la suite d’un AVC ou d’une tumeur au cerveau. Il peut aussi s’agir de séances de tutorat sur le poste de travail, centrées sur les pratiques (comment mieux s’organiser ? Établir des priorités ?)Mais aussi sur les relations avec les collègues ou la hiérarchie.

L’impact sur le relationnel.

Comme l’explique Catherine, qui a été suivie après un burn-out et reconnue comme travailleuse handicapée : « La dépression a un impact très fort sur le relationnel. Le matin, vous n’avez pas envie de dire bonjour à vos collègues. À midi, vous les fuyez la cantine. Mais le pire, c’est quand votre manager est en train de vous confier du travail et que vous êtes déjà persuadé que vous ne parviendrez pas à le faire correctement. Vous ne comprenez pas ce qu’il raconte, trop occupé à essayer de lutter contre la crise d’angoisse qui menace de vous submerger ». Comme la dépression, le trouble bipolaire suscite beaucoup d’incompréhension, d’autant plus que les personnes concernées – à moins d’être correctement traitées – n’ont pas un comportement « linéaire ». « Je me souviens de ce cadre, dont la maladie n’avait pas encore été diagnostiquée. Il était capable de passer des semaines cloîtré dans son bureau. Et d’en sortir un jour, complètement transformé : débarquant sans prévenir dans le bureau des autres, leur proposant de travailler avec lui sur une multitude de projets, sans que la hiérarchie soit au courant de ses projets », explique Nathalie Spiral, psychologue du travail et consultante en entreprise pour le compte du club Arihm. « Avec ce cadre, on a travaillé sur le cadre justement : il a appris à tenir ses engagements, à contrôler son éparpillement. On a aussi préconisé un changement de poste, après avoir identifié une personne qui avait confiance en lui, contrairement à son supérieur précédent, avec qui elle était trop entamée ». Comme le résume Gisèle Brick : « Notre tâche consiste à fixer des repères, pour le salarié comme pour l’entreprise. Déterminer ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas, dans un environnement de travail. Éviter que des collègues se retrouvent à jouer les infirmiers. Remettre tout le monde à sa place ».

Un handicap invisible mais stigmatisant.

L’enjeu, pour les consultants, est de parvenir à réaliser ce travail dans la discrétion. Ainsi Nathalie Spiral endosse-t-elle la casquette de « formatrice » lorsqu’elle est en tutorat sur le site d’une entreprise : « Si je dis que je suis psychologue, le salarié risque d’être stigmatisé. Dans certains contextes, j’évite de dire que je suis coach, de peur d’éveiller les jalousies. Il faut avoir en tête que le salarié en souffrance est parfois rejeté par le collectif de travail ». Et Catherine, dont les multiples épisodes dépressifs n’ont pas entamé le sens de l’humour, d’enfoncer le clou : « La dépression ? C’est tout ce qu’un DRH déteste ! On est imprévisible, fragile, susceptible d’être souvent absent. D’ailleurs, même les collègues se disent qu’on pourrait faire un effort pour aller mieux. Ce qui contribue à nous culpabiliser… Et à nous rendre encore plus dépressifs ! ». Afin de changer le regard des autres sur le trouble psychique, certaines entreprises n’hésitent plus à organiser des actions de sensibilisation. « On ne va évidemment pas pointer du doigt les problèmes de tel ou tel salarié, souligne la responsable de la mission Handicap d’un groupe bancaire français, mais convier 500 personnes, et parmi elles les collègues du salarié concerné, à une matinée de sensibilisation autour de ce handicap, aussi méconnu qu’invisible ». Car non content de susciter l’inquiétude, le rejet ou la méfiance, le trouble psychique est généralement indétectable à l’œil nu. « On peut expliquer à ses collègues qu’on s’absente à cause d’une gastro, mais on ne peut pas leur dire que l’on ne vient pas travailler pour une dépression » souligne Catherine. Parce qu’invisible et indicible, le trouble psychique est aussi objet des fantasmes les plus délirants.

Changer de regard. Et de façon de travailler ?

« 75 % des Français considèrent qu’une personne atteinte de troubles psychiques est susceptible d’être dangereuse. Alors que moins d’1 % des crimes sont commis par ces personnes-là » rappelle Elsa Abecassis, responsable des partenariats entreprises au sein du Clubhouse France, une association dont une des missions est de favoriser l’intégration professionnelle des personnes fragilisées par un trouble psychique. Derrière le malaise généralisé face à ce type de pathologie, se tapit – plus ou moins consciemment – la peur de la folie. Selon les chiffres de l’Assurance maladie, publiés début 2018, 10 000 cas d’affections psychiques ont été reconnus comme accidents du travail en 2016. Outre son coût pour la société, la multiplication des pathologies pose aussi la question de la résistance de chacun face à des conditions de travail de plus en plus stressantes. Le « fou » est-il celui qui craque ? Ou celui qui s’adapte à un environnement professionnel potentiellement nocif à sa santé mentale ? En cela, la prise en compte des fragilités des personnes atteintes de troubles psychiques, et de leur discours sur le travail, peut se révéler bénéfique pour tous.

Auteur

  • Ingrid Seymann