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“Le contrat de travail doit devenir un contrat de copropriété”

Actu | Entretien | publié le : 07.05.2018 | Gilmar Sequeira Martins

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“Le contrat de travail doit devenir un contrat de copropriété”

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Pour en finir avec l’antagonisme atavique entre capital et travail, Jean Peyrelevade prône l’instauration d’un modèle inspiré de l’Europe du Nord, basé sur la codécision avec des salariés copropriétaires d’une partie du capital.

Comment analysez-vous la situation économique de la France ?

Tout l’appareil industriel français est sous-compétitif. Hormis quelques secteurs comme l’aéronautique, l’armement, le luxe, la pharmacie et, dans une mesure toujours plus réduite, l’agro-alimentaire, nous sommes en déficit sur tout le reste. Le niveau de gamme des produits français est comparable à celui de l’Espagne, mais les salaires en France sont supérieurs de 25 %. Les entreprises françaises sont sous-robotisées, sous-digitalisées et donc sous-productives. Pour investir dans ces différents domaines, elles doivent dégager des marges, ce qui ne sera possible qu’en réduisant leurs charges sociales et fiscales. Ce qui passera par une redéfinition des relations entre capital et travail. Il faut donc parvenir à conclure un nouveau pacte social fondé sur la codécision. Sinon, dans vingt ans, nous devrons appliquer la même politique que l’Espagne aujourd’hui et nous risquons de devenir la nouvelle Grèce de l’Europe.

La récente réforme du Code du travail va-t-elle dans la bonne direction en donnant plus de poids aux accords d’entreprise ?

Certes, une plus grande liberté est accordée aux TPE qui peuvent conclure un accord d’entreprise sans intervention syndicale mais c’est très ambigu car quel est le but poursuivi ? Permettre d’aboutir à un accord ou se passer de la signature des syndicats ? Pour le reste, je constate un renforcement fantastique du pouvoir des branches et la raison en est simple : c’est que cela convenait aux deux appareils verticaux, patronal et syndical. Mais c’est une calamité car les branches ont déjà des attributions très fortes. Ce sont elles qui fixent le salaire minimal de chaque niveau hiérarchique des conventions collectives, or certaines en comptent une vingtaine. Ce mécanisme a un effet d’entraînement qui fait augmenter les salaires réels plus rapidement que la productivité.

Est-ce un élément clé dans la période actuelle ?

En France, le pouvoir est pyramidal et ne se partage pas. Ce modèle se répercute dans l’ordre économique mais il est en permanence contesté. Or capital et travail sont les deux constituants fondamentaux de l’entreprise. S’ils passent leur temps à se battre, il ne faut pas attendre des performances époustouflantes. En France, nous avons créé des appareils verticaux, patronal et syndical, qui échangent en permanence sur un mélange assez impur de défense des intérêts sur fond, tantôt d’accords, tantôt d’antagonisme. Et lorsqu’ils se trouvent dans ce dernier cas de figure, ils font appel à l’État pour arbitrer leur différend. Mais personne ne s’est préoccupé de l’essentiel, c’est-à-dire du logiciel de négociation, autrement dit du partage du pouvoir.

Dans votre dernier ouvrage, vous défendez un tout autre modèle…

C’est le modèle qu’ont développé les pays d’Europe du Nord. L’Allemagne, les Pays-Bas, avec l’accord de Wassenaar ou la Scandinavie, ont une performance économique supérieure à la nôtre sur tous les plans : croissance, situation budgétaire, balance commerciale, taux de chômage et même sur les inégalités. Dans tous ces pays, l’entreprise est un lieu de pouvoir collectif, pas vertical. Les entreprises ont des structures de direction duales, avec un conseil de surveillance et une direction générale, et les dirigeants ne peuvent pas prendre de décision sans l’accord explicite des représentants des salariés. En France, le comité d’entreprise est présidé par le chef d’entreprise. Dans les pays du Nord, il est présidé par un représentant des salariés. Symboliquement, c’est primordial. C’est le représentant des salariés qui fixe l’ordre du jour. Il convoque le directeur général et il lui pose des questions auxquelles il doit répondre. En France, ce début de partage de pouvoir est inacceptable pour le patronat.

Pourquoi ce mode de fonctionnement n’est-il pas mieux connu alors que l’Allemagne, par exemple, est sans cesse érigée en modèle ?

Les Français ne savent pas comment fonctionnent les entreprises dans les pays d’Europe du Nord. En Europe du Nord, le patron est un animateur, il est là pour faire émerger une solution. C’est l’esprit d’équipe qui prévaut et non l’antagonisme. Et il est exclu de déclencher une grève qui aurait pour but de mettre l’entreprise à genoux. C’est d’ailleurs interdit par la loi qui précise que les représentants syndicaux et patronaux doivent se déterminer en fonction de l’intérêt de l’entreprise. En Allemagne, la grève est illégale hors des périodes de renégociation des conventions collectives. Et même durant ces phases, elle reste une arme ultime qui ne peut être enclenchée qu’après un référendum et avec une majorité qualifiée. Dans ce système de codécision, l’État n’est plus un arbitre. Il n’intervient plus sur la durée du travail ou les rémunérations. Et si un problème survient, c’est un recours judiciaire qui est mis en œuvre.

Le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard sur l’objet social de l’entreprise peut-il faire évoluer les mentalités ?

Cela ne changera rien. Que dit l’article 1832 du Code civil ? Qu’une société est « instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie ». Pris collectivement, les salariés n’ont-ils pas un apport significatif en « industrie » pour leur entreprise ? Il faudrait réunir autour de la table des patrons progressistes, comme Louis Gallois ou Jean-Pierre Rodier, et des représentants des syndicats, pour imaginer un système de codécision à la française qui pourrait comporter trois éléments simples. Le premier serait d’introduire la codécision nordique au sein du comité social et économique pour instituer un vrai pouvoir partagé. Il aurait pour contrepartie l’engagement des salariés de ne pas déclencher des grèves destructrices. Le second serait de nommer un tiers de salariés au conseil de surveillance. Le troisième passerait par la reconnaissance de l’apport en industrie des salariés. En parallèle, je crois qu’il faut supprimer la participation dont la formule n’a jamais été modifiée depuis cinquante ans, qui reste incompréhensible et s’applique uniformément à toutes les entreprises. En échange de cette suppression, je propose une reconnaissance collective du droit de copropriété des salariés sur l’entreprise qui pourrait s’élever à 20 % ou 25 % du capital et donnerait droit à une part des bénéfices. Les entreprises qui accepteraient ce statut se verraient accorder des avantages fiscaux, qui seraient naturellement perdus si elles décidaient d’en sortir. Compte tenu de leur apport initial en capitaux, il faut naturellement conserver aux actionnaires leur capacité globale de contrôle.

Que deviendraient les accords d’intéressement ?

Les dispositifs d’intéressement sont plus explicables, il faut les maintenir mais je ne suis pas sûr qu’ils doivent garder un caractère obligatoire. C’est une composante de la négociation salariale et les dirigeants devraient la considérer comme telle. Il y a un paradoxe aujourd’hui dans la façon dont les entreprises traitent leurs salariés. En leur faisant signer à chacun un contrat de travail individuel, elle les traite comme des fournisseurs. Je préférerais que le contrat de travail change de nom et devienne un contrat de copropriété.

Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit Lyonnais

Polytechnicien, Jean Peyrelevade était directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy, à Matignon, en 1981, lors des nationalisations. Il a ensuite présidé Suez, puis la Banque Stern, l’UAP et le Crédit Lyonnais (de 1993 à 2003). Aujourd’hui banquier d’affaires, il est administrateur de nombreuses sociétés (Bouygues, Saur) et membre du conseil de surveillance de KLM. Auteur de nombreux ouvrages, il vient de publier « Changer ou disparaître : adresse au patronat » aux éditions de l’Observatoire.

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  • Gilmar Sequeira Martins