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Emmanuel Macron réforme le modèle social sans le refonder

À la une | publié le : 07.05.2018 | Laurence Estival, Pascal Matéo

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Emmanuel Macron réforme le modèle social sans le refonder

Crédit photo Laurence Estival, Pascal Matéo

Les réformes impulsées par Emmanuel Macron depuis son élection il y a un an sont-elles de nature à transformer de fond en comble le modèle social français ? Les experts en doutent. Tour d’horizon.

Six réformes majeures en dix-huit mois… Jamais aucun président de la Ve République n’avait ouvert autant de chantiers en si peu de temps. L’objectif d’Emmanuel Macron ? Rénover le système social français. Presque un an après son élection, les principaux textes – à l’exception de celui sur l’évolution des régimes de retraites – sont soit adoptés, soit prêts à être soumis au vote des parlementaires. De quoi transformer le pays de fond en comble ? Selon les économistes, les réformes Macron sont en réalité un mélange d’éléments qui s’inscrivent dans la continuité et d’éléments plus disruptifs. Même si globalement, il n’y a pas de révolution. « Mettre en place un nouveau modèle est une tâche compliquée, plaide Philippe Durance, prospectiviste et professeur au Cnam. Tous les gouvernements éprouvent des difficultés à imaginer les réformes possibles sous un angle non-institutionnel. Il y a du conservatisme et une défense des intérêts de groupes qui s’érigent en groupes de pression avec au final, une certaine continuité. Il faut laisser du temps au temps. »

Les ordonnances travail illustrent bien cette tension. Sur le papier, il s’agissait d’adapter le Code du travail aux réalités du XXIe siècle, en octroyant plus de flexibilité aux entreprises afin de favoriser les recrutements. Une politique d’inspiration clairement libérale. Or, les mesures phares du texte ont un parfum de déjà-vu. Depuis 1982, les différents gouvernements ont en effet essayé de recentrer la négociation collective au niveau de l’entreprise. L’unification des instances représentatives du personnel avait déjà été actée, à la suite de loi datant de 1993 et 2015, rappelle l’OFCE, dans sa revue consacrée à l’évaluation du programme présidentiel, paru en juillet dernier. Sans résultats tangibles : « D’après l’enquête Réponse de 2011, seules 27 % des entreprises de taille comprise entre 50 et 99 salariés ont une délégation unique du personnel et 31 % pour celles de taille comprise entre 100 et 199 employés », poursuit le centre de recherche. Déjà dans l’air, aussi, la limitation des indemnités prudhommales, rappelle l’OFCE.

Marché du travail : une flexisécurité à la française.

La loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qui sera discutée par les parlementaires cet été, constitue, après les ordonnances travail, le volet « sécurité » de la flexibilité à la française souhaitée par Emmanuel Macron. « Je ne suis pas certaine que tout le monde s’y retrouve : le volet libéral a été tenu, sans excès et sans révolution ; mais pour le volet protection, j’attends de voir… », lance Sandra Enlart, directrice d’Entreprise et personnel.

Ainsi, en matière d’assurance-chômage, les promesses du candidat Macron en matière d’indemnisation des indépendants et des démissionnaires n’ont finalement accouché que d’une souris. « Elles n’étaient pas viables financièrement (un coût maximum de 8 à 14 milliards d’euros la première année selon l’Unedic…). Les partenaires sociaux ont encadré le dispositif pour qu’il coûte le moins cher possible… et ce qu’il en restera sera du domaine du gadget », pilonne Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation Ifrap. L’extension des droits à l’indemnisation des salariés démissionnaires et des travailleurs indépendants reste symbolique, tant les conditions qui leur sont imposées sont restrictives. « La véritable révolution, cela aurait été de s’attaquer à l’indemnisation de ces faux indépendants que sont par exemple les livreurs de Deliveroo ou les chauffeurs Uber », grince Bertrand Martinot, « expert » marché du travail à l’Institut Montaigne, par ailleurs conseiller technique de Valérie Pécresse à la région Île-de-France. En outre, la possibilité de sanctionner les demandeurs d’emploi inactifs dans leur recherche d’un travail ne brille guère par son originalité : elle était déjà inscrite dans les textes. À ceci près que le pouvoir de sanction était jusqu’ici entre les mains des préfets, lesquels n’avaient pas les moyens humains de l’exercer. « En transférant ce pouvoir à Pôle Emploi, il y a davantage de chances que cela fonctionne », concède Bertrand Martinot.

Formation professionnelle : le big bang attendra.

Quant à la réforme de la formation professionnelle, elle semble bien éloignée du « big bang » promis par le gouvernement. Le Conseil en évolution professionnelle (CEP) a été porté sur les fonts baptismaux dès 2013, le Compte personnel de formation (CPF) en 2014. Mais dans les faits, le CPF s’est révélé bien trop restrictif et le CEP n’a jusqu’alors existé que sur le papier.

« Les OPCA, appelés à évoluer, ont commencé leur mue. À côté de la gestion des fonds de formation, ils accompagnent déjà des entreprises soucieuses de développer de nouveaux modes d’apprentissage », mentionne Isabelle Marion, chercheuse au Cereq qui vient de publier une note sur ce sujet. Pas plus innovante non plus, l’incitation des salariés à prendre leur avenir en main au lieu d’attendre que l’entreprise s’en charge. Le problème, c’est que la philosophie de la réforme relève d’une représentation du travail dans laquelle les individus vont gérer eux-mêmes leur parcours professionnel. Or, comment être sûr que les plus fragiles se soucieront de leur employabilité et qu’ils auront une vision sur les compétences de demain ?

La transformation en euros des heures inscrites dans le CPF comme la possibilité offerte aux salariés de choisir une formation réglée directement à l’organisme, en fonction des crédits dont ils disposent mais aussi en mobilisant de leur temps libre, pourraient débloquer la situation, selon l’avocat Cyril Parlant, directeur associé du cabinet Fidal et responsable du pôle économie de la connaissance, qui voit dans cette évolution un réel élément disruptif : « La réforme pose le principe du passage d’une économie assistée avec un tiers payant en BtoB à une déréglementation où l’individu est en prise directe avec le marché. » Une évolution redoutée par les employeurs, mais qui pourrait être au contraire un moyen de redynamiser le dialogue social car « les salariés auront la possibilité de discuter avec eux pour coconstruire leur projet professionnel en mettant dans la balance leurs droits pouvant alors être abondés par les entreprises, » poursuit Cyril Parlant. « On aurait pu, certes, aller plus loin. Mais sur ce sujet, la véritable révolution a été de voir l’État faire ses propres propositions et refuser de jouer un rôle de greffier en avalisant les propositions des partenaires sociaux, insuffisantes pour impulser une nouvelle dynamique », assène Bertrand Martinot.

En matière d’apprentissage, en revanche, le gouvernement a fait sauter plusieurs verrous. « Il y a désormais de vrais outils pour que les entreprises s’emparent de l’apprentissage, souligne ainsi Sandra Enlart. Amener les grandes entreprises à créer leur propre CFA et autoriser les branches à intervenir sur le contenu des diplômes, voilà qui est très positif. » Reste, hormis la réforme de la fonction publique, l’épineux dossier des retraites. Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait fait part de son ambition de donner naissance à un régime de retraite unique par points. Mais le chantier est à haut risque… Résultat, le projet de loi que le gouvernement entendait présenter en 2018 a été reporté à 2019, mais avant les élections européennes car réformer les retraites n’a jamais été très populaire dans l’Hexagone. Il faudra donc être patient pour savoir si, en la matière, la balance penchera du côté de la continuité ou la rupture.

Auteur

  • Laurence Estival, Pascal Matéo