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Idées

L’accord de performance collective

Idées | Juridique | publié le : 06.04.2018 |

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L’accord de performance collective

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Après l’étude de la rupture conventionnelle collective, voici celle d’un autre dispositif emblématique des ordonnances Macron : les accords de compétitivité, rebaptisés accords de performance collective. Largement « déverrouillés » par rapport aux dispositifs qui les ont précédés, ils sont une sorte de voie bis de conclusion des accords d’entreprise que les partenaires sociaux pourront, sur pratiquement tous les grands sujets, choisir d’emprunter, de préférence à l’accord collectif de travail classique. Connaîtront-ils davantage de succès que les dispositifs auxquels ils se substituent ? Rien n’est moins sûr…

Un dispositif très ouvert

Depuis que l’accord d’entreprise a acquis ses lettres de noblesse, l’idée ne cesse de progresser selon laquelle, au nom de la primauté du collectif sur l’individuel, l’accord collectif d’entreprise devrait primer sur le contrat individuel de travail. En d’autres termes, un salarié ne devrait pas pouvoir s’appuyer sur son contrat de travail pour s’opposer à un changement (une baisse de salaire par exemple) prévu par accord collectif d’entreprise.

Depuis le début des années 2000, un certain nombre de dispositifs ont ainsi vu le jour qui, tous, limitaient la capacité de résistance du contrat de travail : accords Aubry de réduction du temps de travail (35 heures), accords collectifs de « modulation » de la durée du travail, accords de mobilité interne, accords de maintien de l’emploi, accords de préservation et développement de l’emploi et, désormais, accords de performance collective. L’accord de performance collective, qui fusionne ces dispositifs (sauf celui des accords de modulation) franchit un pas de géant.

D’abord par sa justification. Il est destiné à répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou à préserver ou développer l’emploi. Autrement dit, il sera désormais possible de conclure un accord diminuant la rémunération des salariés, tout en privant de fait ceux-ci de toute capacité de s’y opposer, en dehors de toute considération liée à l’emploi !

Ensuite par son objet. Il peut aménager la durée du travail, la rémunération ou encore déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. Cela veut dire, au passage, que la mise en place de la modulation peut désormais emprunter deux voies : l’accord de « modulation » (avec à la clé le risque d’un licenciement disciplinaire pour le salarié qui refuse) ou l’accord de performance collective. Il faudra rédiger avec soin le préambule de l’accord pour clarifier lequel des dispositifs a été choisi.

L’incapacité du salarié à dire « non »

Enfin, par ses modalités. Il n’est plus exigé de transmettre aux organisations syndicales de salariés les informations nécessaires à l’établissement d’un diagnostic partagé avec l’employeur. Si la rédaction d’un préambule est requise pour définir les objectifs de l’accord, un certain nombre de clauses, d’impératives, sont devenues facultatives. Tel est le cas de celle relative aux modalités d’information des salariés sur l’application et le suivi de l’accord, de celle selon laquelle dirigeants et actionnaires fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés ou encore de celle définissant les modalités selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés. Autre assouplissement, l’accord de performance collective peut être à durée déterminée ou indéterminée, alors que seule la première possibilité était ouverte dans les dispositifs précédents.

L’originalité de ces accords tient dans la capacité limitée du salarié d’en refuser l’application. Il est prévu que l’accord collectif se substitue aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, ce qui exclut toute application du principe de faveur entre les clauses de l’accord collectif et celles du contrat de travail. Cela permettra de mettre en échec une prime ou encore, ce qui n’était pas possible pour les accords de préservation et développements de l’emploi, la rémunération mensuelle du salarié (qui ne peut toutefois, bien évidemment, tomber en dessous du salaire minimum). Il en ira de même des clauses des contrats de travail fixant un lieu de travail précis ou encore des clauses de mobilité.

Surtout, s’il est prévu que le salarié peut refuser « la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord », cette capacité de refus est très théorique. Toute contestation du motif de licenciement aux Prud’hommes est rendue impossible du fait que le licenciement est réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse, comme pour les anciens dispositifs. Seule possibilité pour les salariés : remettre en cause l’accord de performance collective parce que, par exemple, il ne définit pas ses objectifs ou ne répond pas aux conditions de majorité. Pour se conformer à une décision du Conseil constitutionnel d’octobre 2017, l’employeur dispose d’un délai de deux mois maximum pour engager une procédure de licenciement du salarié qui refuse l’application de l’accord. Quant à ce dernier, il a un mois pour refuser l’application de l’accord de performance collective à compter du moment où il est informé de l’existence et du contenu de l’accord. Pour ce qui est de la procédure de licenciement, est exclue celle des licenciements pour motif économique puisqu’il est prévu que le licenciement est pour « motif spécifique ». S’appliquera donc la procédure de droit commun, plus spécifiquement les règles de convocation à l’entretien préalable et d’assistance du salarié, les règles de notification du licenciement (respect du délai de deux jours ouvrables après l’entretien avant la notification et énoncé des motifs de licenciement), les règles relatives au préavis et à l’indemnité de licenciement et l’obligation de délivrance d’un certificat de travail et d’un reçu pour solde de tout compte. Ces règles sont totalement dérogatoires au droit commun puisque normalement le licenciement consécutif au refus par le salarié d’un changement prévu par accord collectif, lorsque ledit changement heurte le contrat de travail, obéit à la procédure des licenciements pour motif économique, ô combien plus contraignante.

D’où une interrogation sur les forfaits jours ! Si l’accord de performance collective inclut le forfait-jours, le refus du salarié l’expose-t-il à un licenciement pour motif spécifique, sans possibilité de contestation du motif ? On rappellera qu’une des règles de base du forfait-jours est l’exigence d’un accord individuel du salarié, ce qui colle mal avec le régime de l’accord de performance collective. Bien que sa rédaction ne soit pas limpide, le projet de loi de ratification prévoit que ce régime allégé de licenciement s’appliquera lorsque l’accord modifie un dispositif de forfait-jours existant (par exemple modifie le nombre de jours) mais pas en cas de mise en place d’un forfait-jours.

Est-ce que ça va marcher ?

Il n’est pas meilleur exemple que l’accord de performance collectif pour illustrer le nouveau modèle de droit du travail, et la confiance que voue désormais le législateur à l’accord collectif d’entreprise. Car cet accord prime non seulement sur l’accord de branche (en fonction des matières abordées) mais aussi sur le contrat de travail (primauté, au moins dans les faits, eu égard à la facilité à licencier). Est-ce que ça va marcher pour autant ?

Force est d’admettre que tout a été fait pour qu’il en soit ainsi ! Comme nous l’avons vu plus haut, les conditions sont assouplies et aucune contrainte véritable ne pèse sur les partenaires sociaux quant aux objectifs à atteindre. Tout ou presque peut être justifié par les nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise, avec une interrogation pour le juriste ; quel contrôle le juge exercera-t-il sur cette exigence de « nécessité » ? Considérera-t-il que les partenaires sociaux en sont seuls juges (« qui dit conventionnel dit juste ») ? Pour favoriser le succès du nouveau dispositif, on l’a ouvert à tous les modes de négociation, y compris ceux prévus en l’absence de délégués syndicaux ; un accord de performance collective pourra donc faire l’objet d’un projet d’accord ratifié par les deux tiers des salariés dans les entreprises de moins de onze salariés !

Cela va-t-il marcher pour autant ? Les syndicats accepteront-ils d’apposer leur signature sur de tels accords, sachant que depuis 2008 ils sont tributaires, pour acquérir la capacité représentative, du vote des salariés de l’entreprise ? S’agissant d’une voie bis de conclusion des accords collectifs, ils peuvent toutefois en faire un argument de négociation, et exiger davantage de l’employeur pour apposer leur signature sur un type d’accord qui, de fait, va contraindre davantage les salariés qu’un accord collectif ordinaire. Tout dépendra, une fois de plus, de la façon dont les acteurs, salariés et patronaux, vont s’emparer d’un dispositif qui, sans nul doute, est d’une portée bien plus grande que ceux auxquels il se substitue.