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Comment réformer les régimes spéciaux de retraites ?

Idées | Débat | publié le : 06.04.2018 |

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Comment réformer les régimes spéciaux de retraites ?

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Malgré la grogne, le Gouvernement entend réformer la SNCF et notamment remettre à plat le statut de cheminot, retraites y compris. En s’attaquant plus largement à tous les bénéficiaires de régimes spéciaux, l’exécutif entend uniformiser les conditions de départ entre tous les salariés. Mais ce n’est pas une mince affaire, et la méthode comptera autant que les modalités de départ envisagées.

Pierre Ferracci Président du Groupe Alpha

Pour avoir un minimum d’acceptation sociale, une réforme doit introduire des compensations aux efforts demandés et considérer les paramètres des régimes spéciaux avec clairvoyance. Dans plusieurs régimes, une partie des déficits montrés du doigt par les partisans de leur suppression résulte directement de certains choix de politique publique au niveau sectoriel ayant abouti à une diminution de l’emploi et, par suite, des cotisations retraite. La subvention versée par l’État aux régimes compense cet état de fait.

Par ailleurs, à la suite de la réforme de 2010, il existe des écarts d’âge d’ouverture des droits entre les régimes spéciaux et le régime général et la fonction publique. Toutefois, il ne faut pas surestimer ces écarts dans la réalité. Les relèvements de durée de cotisation dans les régimes spéciaux ont entraîné un recul rapide de l’âge des départs en retraite à la SNCF ou à la RATP.

Les âges de départ inférieurs dans les régimes spéciaux s’expliquent notamment par la prise en compte de la pénibilité par le régime de retraite lui-même. Le compte pénibilité ne concerne pas ces régimes. Il s’y applique mal en raison de facteurs de risques professionnels spécifiques.

Une autre raison qui justifie des règles particulières pour ces régimes tient aux impératifs de fonctionnement de ces activités. Cela peut inclure des dérogations au Code du travail. La continuité de service public implique des contraintes d’organisation lourdes pour les personnels. De même, les contraintes de sécurité exigent des conditions d’aptitude au travail plus strictes que dans d’autres activités et la mise en inaptitude lorsque celles-ci ne sont pas remplies.

Il reste enfin à traiter le véritable problème de cette réforme ; si l’État envisage, comme pour la Fonction publique, de changer le mode de calcul des retraites en prenant pour base non plus les six derniers mois mais l’ensemble de la carrière, cela implique, à l’évidence, d’homogénéiser les éléments de rémunération soumis à cotisation, voire de refonder certaines grilles salariales.

Sandrine Gorreri Directrice de la rédaction de la Fondation iFRAP

En faisant converger les modes de calcul des régimes spéciaux vers ceux du régime général. La réforme des retraites que le Gouvernement s’apprête à faire voter en 2019 doit revoir l’organisation de nos différents régimes, notamment ceux hérités de l’histoire de nos grandes entreprises nationales et les régimes de retraite de la Fonction publique. Il n’est en effet plus possible que des régimes spéciaux par répartition restent isolés, alors qu’en raison de leur déséquilibre démographique, ils en appellent à la solidarité nationale (compensation ou subvention publique, plus de 3 milliards pour les cheminots). Rappelons que les textes fondateurs de la Sécurité sociale avaient prévu la mise en place d’un régime unique et que certaines corporations, anticipant la catastrophe, ont déjà rejoint le régime général. La mise en place d’un régime universel s’impose. Comment préparer cette transition ? La Fondation iFRAP, qui s’est penchée sur cette question dans une étude qu’elle vient de publier, préconise d’intégrer les régimes spéciaux dans un régime universel à partir de 2020 basé sur les modes de calcul des retraites des salariés du privé. C’est une question d’équité et de responsabilité. L’application des règles du privé aux agents de la Fonction publique représente un différentiel de pension de – 21 % hors primes (puisqu’elles n’ont pas été soumises à cotisations), et 7,7 % en tenant compte des primes.

Ce régime unique s’appliquerait évidemment aux nouveaux entrants (ce qui doit inciter à plus de contractualisation dans la Fonction publique). Il s’appliquerait également à tous les agents déjà en poste. Pour eux, les années déjà cotisées seraient converties en droits acquis dans le nouveau régime (cristallisation). Puis, à partir de 2020, un nouveau régime de cotisation serait appliqué sur toute la rémunération. Les économies attendues en appliquant ce système aux trois fonctions publiques seraient de 1 à 2 milliards d’euros à l’horizon 2025.

Bruno Palier Chercheur à Sciences Po et auteur du Que sais-je sur « La réforme des retraites ».

Le Gouvernement souhaite mener une réforme des retraites de façon à ce que les salariés bénéficiant de régimes spéciaux soient traités comme les autres. Mais les inégalités en matière de retraite et les questions de justice sociale sont-elles bien perçues ? Est-il juste par exemple qu’aujourd’hui les femmes touchent en moyenne près de 30 % de retraites de moins que les hommes ? Est-il juste que l’âge de départ à la retraite soit le même pour tous, alors même qu’un ouvrier en France a une espérance de vie de 7 ans inférieure à celle d’un cadre ? Quid aussi des inégalités entre générations ? Toutes les études montrent que les jeunes retraités actuels (60-70 ans) constituent la génération la plus heureuse et la plus riche des groupes d’âge en France. Dans les années 1950, les pauvres, c’était les plus âgés, aujourd’hui, ce sont les jeunes et les enfants. Les petites retraites concernent surtout la population agricole, et plus encore les veuves très âgées qui ne touchent qu’une faible pension de réversion. Comment justifier que les générations qui prendront leur retraite dans les années 2030 ou 2050 risquent d’avoir moins de droits que les générations qui ont pris leur retraite dans les années 1990 ou 2000 ?

Pour sauver le système des retraites, il faut aussi l’améliorer. Prendre en compte le profil de carrière des individus, la pénibilité de leur travail, leur état de santé et leur espérance de vie au moment de partir en retraite paraît un élément de justice indispensable. Faire en sorte d’améliorer les conditions de travail pour tous devrait aussi faire partie de la réforme, afin que chacun puisse et veuille travailler jusqu’à l’âge de la retraite (les taux d’emploi des seniors (55-64 ans) ne sont que de 52 % en France). À côté de la fatigue physique venue avec l’âge, c’est surtout l’absence de formation professionnelle au-delà de quarante-cinq ou cinquante ans qui explique la relative obsolescence des salariés âgés. Et puis s’ils sont fatigués, c’est qu’on leur a demandé de travailler de plus en plus dur, sans contrepartie ni amélioration de leurs conditions de travail. Tenir compte de la pénibilité des carrières passées, améliorer les carrières et les emplois de tous à l’avenir, telles pourraient être les objectifs sociaux de la réforme des retraites.

Ce qu’il faut retenir

// Les régimes spéciaux constituent le quatrième bloc de régimes de Sécurité sociale (avec le régime général, le régime agricole et le régime des travailleurs non salariés et non agricoles).

// Ils fonctionnent sur la base d’une solidarité restreinte à une profession ou à une entreprise. Ces régimes existaient avant la création de la Sécurité sociale en 1945.

// Ils étaient une centaine à la création de la Sécurité sociale et on en compte aujourd’hui une quinzaine.

// La dégradation du ratio entre le nombre de cotisants et celui des bénéficiaires remet en question la viabilité des régimes spéciaux.

(Source : Vie-publique.fr)

En chiffres

4,3

C’est le nombre de bénéficiaires (en millions) des régimes spéciaux de retraites en France.

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS).

6

C’est le nombre de mois sur lesquels sont calculées les pensions des régimes des cheminots.