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Les lanceurs d’alerte mieux protégés

Décodages | Sécurité | publié le : 06.04.2018 | Adeline Farge

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Les lanceurs d’alerte mieux protégés

Crédit photo Adeline Farge

Placardisation, harcèlement, poursuites judiciaires. Jusqu’à présent, les lanceurs d’alerte s’exposaient à des risques de représailles. Avec la loi Sapin 2, ils sont désormais protégés. Pour préserver leur liberté d’expression, les entreprises sont priées de mettre en œuvre des dispositifs d’alerte sécurisés.

Qui a oublié les révélations sur les pratiques d’évasion fiscale d’UBS ou de HSBC, les dossiers LuxLeaks ou SwissLeaks ? En tout cas, pas les salariés qui ont dévoilé la face obscure de leur employeur, au prix de leur carrière et parfois de leur vie personnelle. Désormais, ce sont les entreprises et les administrations qui sont priées de faire preuve de vigilance et de laver leur linge sale en famille, avant que les médias et l’opinion publique ne s’emparent d’éventuels scandales. Depuis le 1er janvier 2018, la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, impose aux organisations privées et publiques d’au moins 50 salariés, ainsi qu’aux collectivités de plus de 10 000 habitants, d’instaurer des dispositifs sécurisés de recueil des signalements professionnels. Objectif, faire remonter les actes délictueux par des lanceurs d’alerte, qu’ils soient membres du personnel ou des collaborateurs externes et occasionnels. En tête des faits répréhensibles visés, les crimes et les délits – corruption, prise illégale d’intérêt, délit de pantouflage, trafic d’influence, harcèlement moral et sexuel, discriminations – mais aussi les menaces graves à l’intérêt général. « Ces dispositifs donnent la possibilité aux entreprises de s’autoréguler et de corriger des dysfonctionnements en interne avant qu’ils ne soient étalés sur la place publique ou portés à la connaissance des juges. Avec Internet, les malversations ne restent plus cachées très longtemps », prévient Nicolas Lepetit, avocat spécialisé en droit social au cabinet Bersay Associés.

Un démarrage poussif.

Du boycott d’une marque par les consommateurs à une dégringolade boursière, des révélations de pratiques de corruption, de discrimination, de harcèlement peuvent être fatales à la réputation et à la santé financière des entreprises. Pourtant, si les enjeux sont de taille, aucune sanction n’est prévue. « Ces procédures ne se mettent pas en place en un claquement de doigt. L’éthique dans les affaires est un sujet récent et les entreprises n’ont pas pris conscience de son importance. Beaucoup de PME n’ont pas de responsables conformité ni de déontologues », regrette Patrick Widloecher, vice-président du Cercle éthique des affaires. Les grandes entreprises ne sont pas plus équipées : moins de la moitié (46 %) de leurs salariés ont connaissance d’un système d’alerte en interne, selon le baromètre du climat éthique des affaires. « Des espaces d’expression existent depuis la loi Auroux, mais ne sont pas répandus. Ces dispositifs d’alerte sont un levier de plus pour les salariés qui font face au dilemme de se taire ou de parler. Ils ne se substituent pas aux syndicats, qui ne peuvent pas constater tous les faits délictueux, mais sont complémentaires à leurs actions », explique Marylise Léon, secrétaire nationale CFDT. Depuis la loi anti-corruption Sarbanes-Oxley, adoptée Outre-Atlantique en 2002, le Whistleblowing, traduit par « coup de sifflet », était l’apanage des multinationales cotées à la bourse de New York. Mais les entreprises non cotées peuvent aujourd’hui se référer au décret du 19 avril 2017 (relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État), qui donne les règles à respecter pour recueillir et traiter les signalements.

Des dispositifs cousus main.

Après consultation des instances représentatives du personnel, leur premier défi sera de désigner le mouton à cinq pattes qui assumera le rôle de référent chargé de réceptionner les dénonciations via une ligne téléphonique ou une adresse mail dédiée. Afin d’allier impartialité et sécurité des données, Nicolas Lepetit recommande de se tourner vers un prestataire spécialisé. En interne, les responsables juridiques, éthiques et ressources humaines pourront jouer ce rôle. « La mission du référent est délicate. Il doit être doté de compétences juridiques, maîtriser les rouages de l’entreprise, être indépendant. L’idéal est qu’il soit placé hors de l’organigramme pour ne pas subir de pressions. » Ancienne avocate spécialisée dans la délinquance en col blanc, Marie-Agnès Vieitez a la lourde tâche de piloter les enquêtes conformité chez Faurecia, qui s’est converti au whistleblowing en 2005 avec l’autorisation de ces dispositifs par la Cnil (Commission nationale informatique et libertés). Son quotidien, auditionner les parties, sécuriser les preuves, rédiger les rapports conclusifs, sanctionner les fautifs. « Dans les usines, les remontées d’information sur la sécurité ou la production se font avec le manager. Mais si ce responsable est impliqué dans une affaire de fraudes, le témoin peut avoir des difficultés à s’exprimer. Ce dispositif lui permet de sauter cet étage hiérarchique et de s’adresser directement au directeur général. C’est une garantie que son alerte ne sera pas étouffée au niveau local », assure la compliance officer.

Affichage dans les locaux, mention dans le règlement intérieur et la charte éthique, diffusion en ligne… Pour que les collaborateurs puissent déposer une alerte, encore faut-il qu’ils aient connaissance de l’existence du dispositif, de son fonctionnement et des protections associées. La première, la confidentialité de leur identité. En cas d’indiscrétion, le destinataire de l’alerte encourt une peine de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. En revanche, pour prévenir les dénonciations abusives, les alertes anonymes ne sont pas encouragées par la Cnil. « La délation rappelle en France de mauvais souvenirs historiques. En dehors de ces connotations négatives, quand l’alerte n’est pas sourcée, les faits sont difficilement vérifiables et le contradictoire n’existe pas. Cela expose à des dérives en termes de libertés individuelles », justifie Éric Alt, vice-président de l’association Anticor, qui émet de sérieux doutes quant à l’efficacité de ces dispositifs d’alerte : « Lorsque les atteintes à l’intérêt général sont importantes ou que le dirigeant est visé, ces dispositifs sont inopérants et ne feront pas émerger les infractions gênantes pour la hiérarchie. Le référent n’a pas de pouvoir pour faire cesser ces agissements. »

Signaler à un supérieur hiérarchique des faits illicites est une rude épreuve, qui peut, parfois se solder, par une mise au placard, une pression psychologique, un licenciement, voire des poursuites judiciaires. Les salariés qui ont décidé de faire éclater l’omertà sur les pratiques occultes de leur employeur et ont refusé d’en être complices s’embarquent dans une longue traversée du désert. Celle de Stéphanie Gibaud débute en 2008 quand sa supérieure hiérarchique lui ordonne, après une perquisition dans le bureau du directeur général à Paris, de détruire des fichiers compromettants. à l’intérieur, une liste de fortunes françaises clientes de la banque suisse UBS. Son refus d’obtempérer lui vaudra une descente en enfer jusqu’à son départ en 2012. La direction lui reproche de faire trop de bruit, empêche ses collègues de lui parler, la placardise. « J’ai été chargée de vérifier que les plantes vertes étaient bien arrosées. J’ai été humiliée, discréditée, harcelée… Les dirigeants que j’avais alertés me répétaient sans cesse que j’étais incompétente. Ils ont utilisé mes services pour démarcher des clients français, m’ont fait porté un risque, puis m’ont reclassé. Cela m’a coûté une dépression. » Dix ans après avoir dénoncé les pratiques d’évasion fiscale et de blanchiment de fraude en bande organisée d’UBS, cette ex-responsable marketing est toujours sans emploi. Pour survivre avec les minima sociaux après des années de combats judiciaires, elle a dû vendre son appartement. « Ma vie a été détruite pour avoir voulu respecter les lois de notre pays. En France, les lanceurs d’alerte se retrouvent devant la justice avant les entreprises qui fraudent ». Le procès d’UBS en France aura lieu à l’automne prochain.

Des procédures complexes.

Avec la loi Sapin 2, qui leur reconnaît un statut juridique, la donne a changé. Ainsi, les auteurs de divulgation ne peuvent pas être sanctionnés, licenciés, discriminés. Par ailleurs, les lanceurs d’alerte sont protégés contre les procédures de rétorsion, de diffamation et de représailles. S’ils sont licenciés, ils ont la possibilité de saisir le conseil des Prud’hommes en référé. Charge aux employeurs de prouver que la sanction n’avait aucun lien avec l’alerte. « Depuis 2007, le législateur a adopté, à la suite de scandales, six lois sur l’alerte éthique mais, à chaque fois, les protections étaient disparates et cantonnées à un domaine particulier (corruption, santé et environnement, conflits d’intérêts…). Aujourd’hui, la loi Sapin 2 accorde l’un des statuts les plus protecteurs d’Europe », estime Nicole-Marie Meyer, responsable de l’alerte éthique de Transparency international. Reste que pour être protégés, les lanceurs d’alerte doivent se plier à une procédure très cadrée. Avant de s’épancher dans la presse, il leur faudra avertir un supérieur hiérarchique ou un référent éthique. C’est seulement passé un délai raisonnable, si l’entreprise est impliquée et cherche à enterrer l’affaire, qu’ils pourront s’adresser à l’autorité compétente puis la rendre publique, sauf en cas de danger grave et imminent. Autres prérequis, agir de manière désintéressée, être de bonne foi et à la source des informations, engager une action proportionnée, ne pas violer le secret médical ou de la défense nationale. « Livrés à eux-mêmes, les lanceurs d’alerte peuvent commettre des erreurs qui les exposent à des risques majeurs, comme le licenciement, des poursuites pour diffamation ou dénonciation calomnieuse. Ils ne savent pas toujours vers qui se tourner, constituer un dossier de preuves solides ni évaluer le critère d’intérêt général. Les procédures d’alerte sont complexes pour des non-juristes », souligne Sylvie Ramondou, chargée de mission au Défenseur des droits, qui aiguille les lanceurs d’alerte dans leurs démarches. Plutôt que de se jeter dans la bataille du pot de terre contre le pot de fer à l’aveugle, ils ont aussi la possibilité de se tourner vers des associations, des avocats ou des syndicats. Fin 2018, une Maison des lanceurs d’alerte devrait voir le jour. Sa mission : offrir un soutien juridique, psychologique et financier aux diseurs de vérité pour leur éviter des faux pas.

Le Luxembourg s’y met aussi

Le 11 janvier, la cour de cassation du Grand-Duché a annulé la décision de la cour d’appel de condamner Antoine Deltour à six mois d’emprisonnement avec sursis et 1 500 euros d’amende, en lui reconnaissant le statut de lanceur d’alerte. Avec son ex-collègue Raphaël Halet, cet ancien salarié de PricewaterhouseCoopers (PwC) avait été mis en cause après avoir copié et révélé des documents fiscaux à l’origine du scandale d’optimisation fiscale LuxLeaks. La justice luxembourgeoise est la première à appliquer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui protège les lanceurs d’alerte en vertu de la « liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou communiquer des informations ou des idées ». « C’est formidable que les citoyens soient protégés par la CEDH. Mais on ne peut saisir l’institution qu’après avoir épuisé tous les recours nationaux. Une directive européenne doit obliger chaque État membre à adopter une législation protectrice », plaide Antoine Deltour. En Europe, seuls six États sur 28 protègent leur lanceur d’alerte. En attendant, les parlementaires européens ont voté, le 24 octobre, le rapport d’initiatives de la députée Virginie Rozière, recommandant à l’échelle européenne des sanctions contre les représailles, une aide financière et judiciaire en cas de procès, la création d’une agence européenne indépendante de conseil des lanceurs.

En espérant que la Commission européenne suive…

Auteur

  • Adeline Farge