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La délicate gestion des salariés malades chroniques

Décodages | Santé | publié le : 06.04.2018 | Rouguyata Sall

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La délicate gestion des salariés malades chroniques

Crédit photo Rouguyata Sall

En France, un salarié sur cinq est atteint par une maladie chronique. Avec le vieillissement de la population et le recul de l’âge de la retraite, la gestion des malades chroniques devient une urgence pour les directions des ressources humaines.

Cancer, diabète, sclérose en plaques, VIH… Les progrès de la médecine permettent aujourd’hui de vivre avec ces maladies dites chroniques qui évoluent avec le temps. Magali Coustal, 51 ans, est atteinte d’une sclérose en plaques. Comme de nombreux salariés, elle a parlé de sa maladie quand son état de santé ne lui permettait plus de travailler. C’est son droit, puisque l’état de santé d’un individu relève de sa vie privée et que l’employeur ne peut exiger ce type d’informations. Treize ans plus tard, Magali pense qu’il ne faut pas hésiter à le dire avant. « Pour cela, il faut déjà avoir accepté sa pathologie », explique Gérard Labat, administrateur de Patients, Chroniques & Associés, une coordination d’associations de patients atteints par une maladie chronique.

Mi-temps thérapeutique et RQTH.

La sortie du silence est un des enjeux majeurs pour la gestion des malades chroniques. La crainte d’être rejeté, « placardisé », voire licencié explique en partie ce silence qui empêche de bénéficier des accompagnements existants. Car les employeurs ont un rôle à jouer en offrant un environnement favorable à la libération de la parole. Pour Dominique Lhuillier, professeure émérite en psychologie du travail au Cnam et co-auteure de « Que font les 10 millions de malades ? Vivre et travailler avec une maladie chronique », les services RH peuvent collaborer avec ceux de la santé au travail, pour prévenir l’inemployabilité et essayer dans la mesure du possible de réduire les sources de pénibilité. « Quelqu’un qui aura une santé déjà fragilisée par une maladie chronique va s’user encore plus vite. » Favoriser le maintien dans l’emploi peut se faire à travers des aménagements de poste ou d’horaires de travail dont le simple décalage peut permettre d’éviter la foule dans les transports. Une nécessité pour les malades atteints par exemple de fibromyalgie, ou ceux qui ont des problèmes respiratoires et risquent alors l’infection. « Il faut souvent un aménagement d’heures, et aussi de la disponibilité pour ses rendez-vous médicaux, souligne Gérard Labat. Mais il y a globalement un problème de sensibilité générale du monde de l’entreprise », regrette-t-il.

Après un long arrêt maladie, le médecin traitant peut préconiser un mi-temps thérapeutique. Le médecin du travail doit aussi formuler un avis d’aptitude. Et l’employeur peut invoquer l’impossibilité de cet aménagement s’il existe des contraintes de fonctionnement. Le médecin du travail est un interlocuteur privilégié pour les malades chroniques. Soumis au secret professionnel, il ne transmet qu’une information sur l’aptitude à effectuer les tâches confiées. L’employeur est alors dans l’obligation de chercher une solution de reclassement, par adaptation du poste déjà occupé ou sur un autre poste, en passant éventuellement par un bilan de compétences ou un stage de reclassement professionnel. Si l’emploi est refusé ou si l’employeur n’est pas en mesure d’en proposer un, un licenciement pour inaptitude peut s’ensuivre.

Quand la maladie chronique altère les fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques et devient un obstacle pour conserver un emploi, le malade peut demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), qui permet un accompagnement spécifique, des aides financières ou des formations professionnelles, notamment via les services d’aide au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, sans que rien n’oblige à préciser la nature du handicap à son employeur.

« La maladie chronique ne se prévoit pas ».

Après avoir quitté son emploi en 2005, Magali Coustal s’occupe de son dossier de reconnaissance. « J’étais peut-être un peu plus dans l’acceptation de la maladie. » Elle décide alors de travailler à son compte dans le télésecrétariat, pour pouvoir gérer sa fatigue. Embauchée par une de ses clientes de 2011 à 2014, elle est contente de retrouver une équipe, même si c’est par visiophonie. « Comme dans n’importe quel bureau, on papotait en buvant notre café. » L’un de ses anciens collègues, Tiago Douwens Prats, est un avocat du télétravail qui préside Keratos, une association sur les pathologies de la surface oculaire, du collectif [im]Patients, Chroniques et Associés. « La maladie chronique ne se prévoit pas, rappelle-t-il. Il vaut mieux essayer d’adapter le télétravail à la maladie que l’inverse. » Il insiste également sur les problématiques horaires : « Vous pouvez avoir des matinées compliquées et vous rattraper dans l’après-midi. Si on laisse un peu d’autonomie, les choses peuvent très bien se passer ».

Le télétravail a ses avantages pour les personnes atteintes d’une maladie chronique. Laurent Baumberger, président de Handivia, entreprise adaptée qui propose des services de permanence téléphonique, ne le met pas en place systématiquement. Employeur d’une trentaine de salariés, à Strasbourg et Bordeaux, tous travailleurs RQTH, Laurent Baumberger précise qu’il a la responsabilité de la bonne santé psychologique et morale de ses salariés, difficile à évaluer à distance. Cancer, sclérose en plaques, bipolarité, certains sont atteints de maladies chroniques, d’autres de handicaps variés. « Je connais les handicaps de mes salariés, je vais chercher leurs atouts. Et l’inconnu, j’essaie de le minimiser », créant ainsi un outil dédié pour les assister et proposant aux clients une offre standardisée, pour que ce soit le plus simple possible. Il envisage d’embaucher Magali Coustal, qui pourra être en partie en télétravail, après une phase d’intégration. Magali veut rester active, pour sa santé mentale, son moral, car « ça permet de ne pas se voir que comme malade ». Mais le président de Handivia se trouve confronté à une difficulté majeure : il est locataire de ses bureaux et ils sont au premier étage, donc inaccessibles pour Magali Coustal, qui alterne entre béquilles et fauteuil roulant. Comme une minorité de salariés sont en mobilité réduite ou handicapés moteurs, décrocher une aide pour installer un ascenseur se révèle être un parcours du combattant.

Améliorer les conditions de travail pour tous.

Les solutions pour l’emploi des malades chroniques sont souvent prises au cas par cas. Pour la professeure Dominique Lhuillier, les aménagements sont à penser dans une dimension plus globale, incluant l’équipe, surtout quand les collègues assurent en partie le travail de la personne malade : « Souvent, ça finit par créer des tensions. Soit les relations se dégradent avec les collègues, et ça fabrique une certaine solitude. Ou bien la personne malade va prendre sur elle-même et faire une charge de travail à plein-temps sur un mi-temps et là il y a une usure prématurée ». Il faut selon elle anticiper le conflit, citant l’exemple d’une caissière autorisée à aller aux toilettes en dehors des périodes de pause. La mise en place d’un système de pauses tournantes pour tous peut alors être une solution globale. « Finalement, c’est en visant l’amélioration des conditions de travail pour tous qu’on est gagnant sur tous les tableaux. » « Ce qui est toujours problématique, c’est la sortie du cas individuel », reconnaît la psychologue. Elle cite également l’exemple d’une reprise d’activité après un cancer du sein. Un temps où les RH sont parfois directement sollicités, mais où ils pourraient selon elle prendre l’initiative d’aller voir les collègues pour échanger sur leurs appréhensions, leurs questions, seulement si le malade a rendu public son état de santé.

Comment se comporter face à un collègue de travail atteint d’une maladie chronique ? CAP Santé Entreprise a fait de cette question une formation. Cette association aide les entreprises à mettre en place un programme de santé au travail. Porté par des administrateurs bénévoles, ce dispositif repose sur un diagnostic mené pour obtenir une photographie de la perception que les salariés peuvent avoir par rapport à la maladie chronique. CAP Santé Entreprise a notamment signé fin 2015, un contrat de 3 ans avec le Crédit mutuel et sensibilisé 180 directeurs de caisses. L’association commence par un état des lieux qui repose sur trois axes : comment pensez-vous que l’entreprise réagirait ; comment pensez-vous que vos collègues réagiraient ; que feriez-vous. Une comparaison des résultats entre malades et non-malades permet de travailler sur la diminution des écarts entre perception et réalité. Dans leur dernière étude, à la question si vous étiez malade, comment pensez-vous que vos collègues réagiraient, 60 % des répondants pensent que leurs collègues croiraient qu’ils sont diminués. Ceux vraiment malades ont répondu à 63 % « Non, mes collègues n’ont pas du tout pensé que j’étais diminué. »

Pour Stanislas Regniault, administrateur de CAP Santé Entreprise, il est important de lever toute suspicion, pour favoriser l’adhésion des salariés. Selon lui, l’externalisation du programme y contribue, que ce soit le questionnaire papier à retourner à l’association, le traitement des réponses par des laboratoires de recherche comportementale ou encore les permanences téléphoniques avec des psychosociologues, dédiées aux collègues comme aux malades qui ne souhaitent pas se confier au sein de l’entreprise.

Faire le deuil de son métier.

En enquêtant pour écrire son ouvrage, prix 2017 du livre RH, Dominique Lhuillier a mis en place des espaces de discussion, les clubs Maladies chroniques et Activité. « Au-delà de la diversité des pathologies, il y a une condition commune qu’ils repèrent assez vite parce qu’ils sont confrontés au même type de questions, de difficultés, à la même complexité de résolution des arbitrages qu’ils doivent faire par exemple entre la sécurité, associée au contrat de travail, et la liberté, par une activité en libéral compatible avec son état de santé. » C’est aussi l’occasion de partager expériences, informations, recommandations, sur les démarches auprès de la Sécurité sociale, de l’employeur ou du médecin du travail. Ils peuvent aussi penser la construction d’un projet professionnel alternatif. « On pourrait le faire à l’intérieur de l’entreprise », pense Dominique Lhuillier, en constituant non pas des groupes de malades, mais des groupes de personnes inaptes, en collaboration avec les médecins du travail.

Dominique Lhuillier travaille actuellement pour une grande collectivité territoriale, avec des groupes de personnes inaptes en processus de reclassement. « C’est beaucoup plus facile de partager cette élaboration du deuil du métier, quand on peut échanger avec des collègues qui sont confrontés à cette même obligation. »

Dans leur dernier ouvrage, les auteures ont repris l’expression d’une femme souffrant d’une sclérose en plaques et de séquelles de cancer du sein, pour qui les malades dans le monde du travail peuvent être des « régulateurs d’humanité ». « Elle voulait dire par là que reconnaître que la maladie n’est pas quelque chose d’exceptionnel, et donc reconnaître que l’homme est vulnérable, c’est rendre le monde du travail plus humain », conclut la psychologue.

Orange au chevet des salariés malades

Le groupe Orange gère plus de 200 000 arrêts-maladies par an pour près de 100 000 employés, la plupart de courte durée. « Nous avons un arsenal de procédures pour que les personnes affectées par la maladie puissent reprendre le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions », explique Jean-Paul Portron, DRH des services partagés Orange. Les préconisations des services de santé au travail sont intégrées pour adapter l’emploi de la personne malade, avec des possibilités qui vont du télétravail à l’éloignement du service. Pour maintenir le lien, le salarié malade est contacté au moins une fois par mois. Et après plus d’un mois d’absence, un dispositif de ré-accueil permet à la fois de préparer l’équipe et d’informer le salarié de l’actualité du service. Pour prévenir les tensions liées à une éventuelle surcharge de travail pour les collègues, le groupe recourt à des CDD de remplacement. Un accord sur la charge de travail permet par ailleurs au salarié de saisir le management ou les représentants du personnel. Il existe également une procédure de reclassement en interne, d’abord dans l’entité hiérarchique, basée sur les expériences et les connaissances, puis élargie à d’autres domaines d’activité, lorsqu’il y a des contingences géographiques ou qu’il faut envisager un changement assez lourd. Grâce à un pôle interne de médiation et au dispositif pour les fonctionnaires de retraite anticipée pour invalidité, les licenciements pour inaptitude seraient rarissimes. « Lorsque nous n’arrivons pas à offrir un reclassement adapté aux préconisations du médecin et aux souhaits du salarié, ce recours gracieux nous aide à trouver les meilleurs compromis », précise Jean-Paul Portron. Des comités médico-sociaux ont aussi été mis en place au niveau des entités territoriales, au moins quatre fois par an. « Le service RH local va s’associer au médecin du travail et à l’assistante sociale, pour gérer les cas difficiles », explique Michel Dulon, responsable domaine expertise protection sociale. La gestion des maladies chroniques fait partie des accords sur l’égalité professionnelle et des accords handicap d’Orange.

Auteur

  • Rouguyata Sall