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Ces entrepreneurs qui redeviennent employés

Décodages | Carrières | publié le : 06.04.2018 | Judith Chétrit

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Ces entrepreneurs qui redeviennent employés

Crédit photo Judith Chétrit

Alors que la tendance actuelle valorise les exemples de salariés qui se lancent dans l’entreprenariat, d’autres suivent le chemin inverse. Parfois après un échec, souvent en quête de stabilité. Reste à convaincre des recruteurs de leur capacité à se refondre dans une entreprise.

En déambulant dans les couloirs de Station F, le méga-incubateur parisien, vous avez plus de chances de tomber sur des entrepreneurs dopés à l’enthousiasme que sur des salariés de grands groupes. C’est pourtant le cas de Caroline1, rattachée à la direction de l’innovation d’une grande entreprise pour gérer les collaborations avec les start-up. Un environnement qui est loin d’être nouveau pour elle puisqu’avant de signer ce CDI il y a deux ans et demi, cette ancienne commerciale de 37 ans était à son compte et coachait de jeunes entrepreneurs. Après deux ans d’activité, elle décide de s’arrêter. « J’étais libre. C’était très valorisant de se confronter directement à des décisions mais j’avais envie de fonder une famille. C’était le moment d’être raisonnable », admet-elle. Chassée par un cabinet pour sa connaissance de l’écosystème de l’innovation, sur une création de poste, elle accepte un revenu moindre en contrepartie de la stabilité. « Mon arrivée a intrigué. Même si j’ai accepté un job où tout est à inventer et où on a une plus grande force de frappe, il faut s’habituer à une organisation hiérarchisée, à des postures politiques et savoir parfois se contrôler quand il y a des désaccords. Ce n’est pas toujours facile mais je sais pourquoi je suis là », reconnaît-elle.

Comme elle, d’autres indépendants, entrepreneurs et professions libérales reviennent, par choix ou défaut, au salariat. La plupart avaient par ailleurs déjà été salariés avant se lancer dans une aventure entrepreneuriale. Alors que l’environnement actuel valorise les exemples de salariés devenus entrepreneurs par rejet de la hiérarchie ou par envie de se lancer dans un projet personnel, eux suivent le cheminement inverse et rentrent dans le rang. « En France, la vie salariée reste une norme puissante sur le marché du travail, même si le paysage de l’emploi se complexifie et qu’il y a plus de fluidité entre les différentes catégories », précise Claude Didry, sociologue et directeur de recherches au CNRS. Le retour au salariat reste encore une réalité peu explorée, tant par les chercheurs que par les structures qui côtoient les entrepreneurs. Il est ainsi difficile de chiffrer le nombre de dirigeants et d’indépendants qui décident de redevenir salarié. Vu le nombre de défaillances d’entreprises parmi les TPE, ils sont nombreux à ne plus vouloir tenter leur chance après un premier échec entrepreneurial. Du moins pas avant d’avoir connu une longue période de stabilité et de remise en question sur ce qui a fait défaut dans leur aventure.

Prouver que l’on peut s’intégrer.

Laurie-Anne Criqui en a fait l’amère expérience. Si plusieurs associations l’ont soutenue dans son activité indépendante, elle estime qu’on ne se préoccupe pas suffisamment de l’après en cas d’échec. « Les licornes qu’on voit dans les médias ne courent pas les rues. Il y a surtout des petits poneys. Rien de reluisant : je gagnais moins qu’un SMIC à la fin du mois », explique-t-elle. Aujourd’hui demandeuse d’emploi, cette rédactrice en communication digitale pour les professionnels de la santé et du bien-être, basée en Alsace, recherche un emploi salarié « après avoir laissé mourir à petits feux » sa société. Souffrant d’une maladie chronique, elle n’a pas pu supporter la solitude de l’entrepreneur et des mois à quelques centaines d’euros. à 28 ans, elle postule pour des postes d’assistante commerce et communication.

Ce retour au salariat ne se produit pas forcément après un échec, mais peut être aussi l’expression d’une envie plus grande de stabilité, d’horaires et de revenus réguliers. Une transition plutôt ardue dans un marché du travail qui valorise les parcours plus classiques. « Cela dépend du nombre d’années écoulées depuis qu’ils ont quitté le salariat. Plus ce chiffre est important, plus les employeurs et les postulants peuvent redouter des difficultés à se refondre dans l’entreprise avec des codes, des règles de vie et des collègues de travail », souligne Jean-Paul Vermès, président du cabinet de chasseur de têtes VMS. « Il y a cependant aujourd’hui une valorisation plus importante des parcours d’entrepreneurs avec une vision moins négative de l’échec et une plus grande facilité à prouver le chemin opérationnel accompli en tant qu’entrepreneur, grâce notamment à une présence en ligne », nuance Laetitia Vitaud, consultante et conférencière sur la thématique du futur du travail.

Comment prouver que l’on peut s’intégrer ou se réintégrer dans une structure hiérarchique après avoir mené sa barque pendant un certain temps ? C’est le chemin qu’a entrepris Elena Hagège, qui avait lancé une société de ballerines innovantes à la sortie de ses études de commerce. « Un ami m’a parlé d’un poste qui s’ouvrait dans l’entreprise de traduction où il travaillait pour lancer un nouveau service. » Mais après deux périodes d’essai, elle dépose son préavis. « Ce n’était pas un départ contraint, mais je me suis demandé ce que j’avais vraiment envie de faire. » Elle adresse une candidature spontanée au pôle numérique du groupe Lagardère. Elle est rappelée pour passer des entretiens chez Doctipharma, une structure de vente de médicaments en ligne. « On m’avait mis en garde sur les freins liés à ma candidature mais je n’ai jamais vu personne qui allait dans ce sens. » La trentenaire a toutefois noté que le service ressources humaines se préoccupait des périodes non renseignées sur son CV, alors que l’opérationnel parlait missions et projets à venir. « On me demandait aussi si je n’allais pas m’ennuyer. » Lors d’une transition professionnelle de ce genre, ces nouveaux salariés manifestent souvent l’envie de ne plus tout gérer et de pouvoir se spécialiser sur un sujet. « C’est particulièrement le cas chez des personnes très qualifiées qui veulent se concentrer sur le cœur métier », remarque la consultante Laetitia Vitaud.

Recommencement d’une carrière.

Bien souvent, le retour du salarié est cependant perçu comme une rétrogradation. « D’une certaine façon, c’est le recommencement d’une carrière où il faut démontrer avec humilité ce que l’on est capable de faire et donner suffisamment envie à l’entreprise pour que le processus d’embauche aboutisse », souligne Jean-Paul Vermès. Après plusieurs années à son compte, difficile de se projeter dans un poste salarié similaire à celui occupé antérieurement. Alors autant afficher un bon état d’esprit, en donnant des gages sur sa motivation à redevenir salarié et en expliquant le sens de cette démarche. Mieux vaut ne pas exprimer un quelconque dépit, conseillent les recruteurs habitués à ce type de CV. Créatrice d’une entreprise de customisation de monuments funéraires, puis reconvertie dans les fuck up night, un concept de soirée-discussion où des entrepreneurs abordent leurs difficultés sans chichis, Delphine Pinon a mis du temps avant de redevenir salariée. Elle a d’abord trouvé un emploi de transition en devenant conseillère téléphonique en relation avec les entrepreneurs dans un organisme consulaire. « J’avais envie de débrancher mon cerveau pendant plusieurs mois. C’était aussi un moyen de me cacher de mon réseau. En ayant arrêté ma start-up, j’avais le sentiment de ne plus avoir le droit de faire partie du club pour solliciter un emploi. »

Perte d’indépendance.

Face à ce genre de doutes, Hugues Truttmann, recruteur en IT, a développé une activité de gestion de carrière. « Quand certains me contactent, c’est d’abord pour les accompagner dans cette transition et les aider à trouver des postes qui pourraient leur correspondre. On définit ensemble leur projet professionnel. Ils l’ont souvent moins en tête que d’autres salariés. Un développeur freelance, par exemple, connaît le taux journalier qu’il peut facturer, mais moins les rémunérations pratiquées sur le marché. Il faut aussi l’aider à structurer son CV ». Pascale Sabathier, consultante à Perpignan, passe beaucoup de temps à discuter et fait passer des tests de personnalité aux candidats. « Les personnes concernées doivent prendre en compte leur perte d’indépendance. Quelquefois, ils ne l’ont pas intériorisé. Et quand un client a un doute, il ne recrute pas », résume-t-elle. Face à un passé d’entrepreneur, les spécialistes du recrutement recommandent de mettre en avant l’autonomie, la capacité d’innovation, la flexibilité et la prise d’initiatives pour se réintégrer dans le salariat. « L’idée que le salarié doit être un entrepreneur de son projet ou de sa carrière est aujourd’hui répandue. On va aussi vers plus de flexibilité. Qui mieux qu’un créateur d’entreprise peut s’intégrer dans ce rythme de travail ? », s’interroge le sociologue Claude Didry. Mais le risque est d’être perçu comme un électron libre susceptible de reprendre sa liberté à la moindre occasion et de ne pas savoir travailler en équipe. « Ce sont des profils qui sont recherchés car ils apportent un prisme différent en entreprise, ils sont plus souples et attentifs aux opportunités business car ils ont une grande ténacité et une maturité professionnelle. Mais l’entreprise peut, cependant, avoir peur de les intégrer », admet Hélène Gallerne, associée du cabinet chasseur de têtes Lincoln. Pour elle, le management de transition peut être un bon moyen de revenir au salariat avec des missions inférieures à 24 mois. Après des évaluations comportementales, des questionnaires et des mises en situation, elle examine la capacité d’un entrepreneur à se réintégrer dans un cadre, à respecter des process et la hiérarchie pour éliminer les risques présentés par des profils dits de francs-tireurs. « Plus une entreprise va chercher une expertise et des compétences précises, moins elle sera sensible à son milieu d’origine et à son parcours. »

Un argument qui colle au parcours de Pol Maire, un ingénieur devenu entrepreneur dans la food tech. Au bout de deux ans, l’aventure s’est arrêtée net et le voici aujourd’hui chez Frichti, un de ses anciens concurrents et un des leaders de la livraison de repas préparés à domicile. « Quand j’ai arrêté ma boîte, ce n’était pas une course au salariat qui m’a conduit ici. J’ai décidé de rencontrer presque tous nos concurrents. Eux m’ont vu comme un expert du sujet qui connaissait le marché et qui pouvait partager une expérience », raconte-t-il. Pour l’instant, il se concentre sur des missions de growth hacking pour aider au développement à travers l’analyse de données et la structuration du service client. Mais il ne ferme pas définitivement la porte de l’entrepreneuriat. « L’envie est là mais rester salarié me permet pour l’instant d’acquérir plus d’expérience et de connaissances. » À 27 ans, il a largement le temps de tenter d’autres expériences.

D’indépendant à patron d’une filiale

Cela fait plusieurs mois que Samuel Lamotte d’Incamps a troqué son statut de consultant indépendant dans le développement de parcs éoliens pour le costume de cadre dirigeant d’une filiale française d’une société autrichienne qu’il conseillait auparavant. Une opportunité de retour au salariat qu’il a saisie après avoir quitté sa précédente entreprise spécialisée dans le photovoltaïque six ans plus tôt. « J’avais négocié une rupture conventionnelle. L’entreprise belge dont j’étais le directeur de développement en France ne se portait plus bien avec la crise », témoigne-t-il. Il découvre alors le portage salarial, la prospection de clients, le manque de visibilité sur les mois à venir. Parallèlement à des démarrages de projets, celui qui « n’avait pas de goût particulier pour l’indépendance » poursuit ses recherches d’emploi. Une trentaine de candidatures, en vain : « Je me suis toujours dit que j’intervenais dans un secteur où mes clients souhaitaient m’imposer une précarité qu’ils étaient prêts à rémunérer ». En repassant sur un poste sédentaire, ce quadragénaire se sent soulagé de ne plus avoir à chercher la mission d’après et se dit satisfait de rentrer dans un « schéma de stabilité ».

(1) Le prénom a été modifié

Auteur

  • Judith Chétrit