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“L’ESS peut tirer les entreprises vers davantage d’intérêt général”

Actu | Entretien | publié le : 06.04.2018 | Sophie Massieu

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“L’ESS peut tirer les entreprises vers davantage d’intérêt général”

Crédit photo Sophie Massieu

L’entreprise doit se préoccuper davantage de l’intérêt collectif et de son impact social et environnemental. Selon Hugues Sibille, le secteur de l’économie sociale et solidaire pourrait guider cette évolution.

Le rapport de Jean-Dominique Senard et Nicole Notat sur l’entreprise et l’intérêt général devrait largement inspirer le projet de loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). Parmi les mesures phare, un nouvel alinéa de l’article 1833 du Code civil préciserait que les entreprises doivent prendre en compte leur impact social et environnemental. Que pensez-vous de cette proposition ?

C’est une bonne nouvelle ! Mais il faudra attendre ce qu’il en sera dans la loi Pacte. Le diable juridique se cache dans les détails ! Le titre du rapport, « L’entreprise : objet d’intérêt collectif », exprime un début de vision nouvelle de l’entreprise, que j’appelle de mes vœux depuis longtemps. Elle ne serait plus définie exclusivement par la création de valeur pour l’actionnaire, ce qui entraîne des comportements court-termistes. C’est un symbole positif mais ce n’est encore qu’un symbole, et pas une modification du droit des sociétés. J’espère qu’on ira plus loin.

Autre recommandation des rapporteurs : l’introduction de l’entreprise à mission dans le Code civil. Est-ce une bonne idée ?

J’observe que le rapport ne propose pas de créer un nouveau statut d’entreprise, ce qui me semble une bonne chose. Notre « droit de l’entrepreneuriat » est déjà fort complexe. N’en rajoutons pas ! Sur le fond, là encore, il est bon d’encourager les entreprises à se montrer plus vertueuses en se préoccupant de l’intérêt collectif, de l’écosystème dans lequel elles évoluent. Les entreprises doivent résorber et ne pas aggraver les fractures sociales et territoriales. Là encore, on affirme un principe sans modifier le droit. De fait et en droit, les entreprises de l’économie sociale et solidaire demeurent des « premiers de cordée » pour tirer les entreprises vers davantage d’intérêt général. Je souhaite que la loi Pacte le prenne en compte et que le gouvernement valorise ces premiers de cordée.

Du point de vue de la gouvernance, le texte suggère l’entrée de salariés dans les conseils d’administration et leur reconnaît un statut de parties constituantes. Les sociétés coopératives peuvent-elles servir de modèle ?

De modèle, je ne sais pas. Mais je souhaite que les coopératives inspirent le reste de l’économie. Les chiffres montrent que les entreprises dans lesquelles les salariés sont aussi des associés sont plus résilientes. Après tout, qui connaît mieux l’entreprise, ses problèmes, ses potentiels, les solutions à mettre en œuvre, que les personnes qui y travaillent chaque jour ?

Pour promouvoir la RSE, faut-il indexer davantage la part variable des revenus des dirigeants sur ces politiques ?

Oui. La RSE n’a de réel impact que si elle est portée au plan stratégique par les dirigeants de l’entreprise. Sinon c’est au mieux de la communication et au pire du social washing. Donc il est bon de « motiver » les cadres dirigeants. Je préfère des entretiens annuels d’évaluation ou des comités de rémunération des conseils d’administration, qui portent autant sur l’impact social et environnemental des décisions que sur les seuls résultats financiers.

Que va-t-il rester de l’identité spécifique des coopératives, associations, mutuelles et fondations, qui appartiennent au secteur de l’ESS si les entreprises du secteur marchand acquièrent un objet social élargi ?

Je me réjouis si l’économie sociale parvient à influencer d’autres entreprises en les encourageant à se préoccuper d’intérêt général, de bien commun. Nous avons toujours prétendu polliniser le reste de l’économie. Je ne conçois pas l’économie sociale et solidaire comme repliée sur elle-même, avec comme terrain de jeu les 10 % du PNB qu’elle représente. Mais « en même temps », je tiens à ce que l’on ne crée pas une confusion générale, qui l’affaiblirait. La loi du 31 juillet 2014 définit juridiquement ce qu’est une entreprise de ce secteur : c’est un « mode d’entreprendre » reposant sur un but poursuivi autre que le partage des bénéfices, une gouvernance démocratique, une gestion qui réinvestit les excédents et rend les réserves impartageables. À côté des coopératives, associations et mutuelles, les sociétés de capitaux peuvent en faire partie si elles respectent des critères précis d’utilité sociale. On ne doit donc pas mettre entreprises ESS et entreprises à mission dans un grand Tout, un peu vague. Ce n’est pas parce qu’une PME familiale inscrit dans ses statuts qu’elle embauchera des personnes handicapées qu’on doit la confondre avec une entreprise adaptée dont c’est le cœur de métier !

Le rapport Notat-Senard contribue-t-il à faire la promotion de l’économie sociale et solidaire ?

La bataille des idées de l’ESS n’est pas gagnée. Les pouvoirs publics n’en sont pas encore à reconnaître le rôle de premiers de cordée que j’ai évoqué pour l’ESS en matière d’intérêt général. Je regrette que dans ce débat sur l’entreprise la voix de l’économie sociale et solidaire n’ait pas été plus forte, plus unitaire, plus stratégique. Cela aurait permis de défendre une certaine vision de l’entreprise.

Depuis l’automne, il existe un haut-commissariat à l’Économie sociale et solidaire et à l’Innovation. Cela va-t-il dans le bon sens ?

Oui. Nous avons absolument besoin que l’ESS soit portée au niveau gouvernemental, au plan interministériel. Notre haut-commissaire a la lourde tâche de veiller à ce que des mesures de portée générale n’aient pas de conséquences négatives sur le secteur. Nous avons connu cela avec le CICE. Christophe Itier travaille actuellement sur un Pacte de croissance pour l’économie sociale et solidaire et je m’en réjouis. Je souhaite qu’il y ait une phase de concertation sur le projet, les solutions les plus durables et efficaces étant co-construites. J’espère que ce Pacte encouragera le développement de l’ESS dans certaines filières comme la silver économie, l’alimentation durable, la mobilité, la transition énergétique, les activités culturelles, l’habitat participatif… Des leviers d’action existent tels que l’accès aux marchés publics ou la finance solidaire.

Autre facteur de croissance : l’innovation. Avec le French impact lancé en début d’année, Christophe Itier a aussi mis en place un accélérateur de l’innovation sociale. Qu’en pensez-vous ?

Excellent dans le principe. L’innovation sociale est devenue un sujet majeur. Elle doit permettre de renouveler profondément les réponses à des enjeux sociaux essentiels, comme l’accompagnement des personnes âgées, le chômage des jeunes, l’échec scolaire, l’enclavement de territoires, les déserts médicaux… L’exemple récent de la crise des Ehpad montre qu’il faut faire autrement dans l’avenir que du résidentiel coûteux. Plus généralement, il convient de créer de nouvelles alliances locales d’intérêt général entre ESS, PME, collectivités territoriales, universités, centres de formation… L’ESS n’a assurément pas le monopole de l’innovation sociale ! Il se passe des choses incroyables sur le terrain dans notre pays ! Mais on n’arrive pas à le valoriser en grand, à en faire un système de transition. Cela reste souvent au stade expérimental, sympathique. Il faut maintenant permettre à ces innovateurs de terrain de changer le monde et aux territoires de devenir des laboratoires efficaces d’innovation.

Que pensez-vous du débat sur le Revenu universel qui a eu lieu pendant la dernière campagne présidentielle ?

D’abord on ne peut le défendre que si l’on est capable de dire comment on le finance ! Ensuite il y a une question plus « philosophique ». Faut-il déconnecter revenu et travail, parce que le volume et les formes d’emplois évoluent ? Personnellement, je suis davantage intéressé par des projets comme « Territoires zéro chômeur de longue durée » qui invente des entreprises à but d’emploi que par le Revenu universel. Il me semble que ce dernier néglige la création de valeur, de dignité et d’utilité sociale portées par le travail. Or, « Chacun aspire à être utile au monde », disait Geremek. Ceci dit, comme pour toute innovation, on peut expérimenter différentes formes de revenu universel, on verra bien. Et ne pas faire comme pour le RSA généralisé à tort avant que d’avoir été expérimenté. Nous devons coupler les réflexions sur l’emploi, le travail et le revenu avec pour optique de transformer l’emploi et de redonner du sens au travail.

Hugues Sibille, président du Laboratoire de l’ESS

Président du Labo de l’économie sociale et solidaire et de la Fondation Crédit Coopératif, il a été Délégué interministériel à l’ESS, Il a fondé en 2002 l’Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (Avise) qu’il a présidée jusqu’en 2016. Il a été en charge de l’économie sociale à la Caisse des dépôts et consignations, avant de rejoindre le Crédit Coopératif comme vice-président de 2005 à 2015. Il est également membre du Groupe d’experts de la Commission européenne sur l’entrepreneuriat social et du Conseil supérieur de l’ESS.

Auteur

  • Sophie Massieu