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Le paradoxe des emplois non pourvus

À la une | publié le : 06.04.2018 | Muriel Jaouën

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Le paradoxe des emplois non pourvus

Crédit photo Muriel Jaouën

Dans un contexte de chômage élevé, l’existence d’emplois non pourvus constitue un sacré paradoxe, sinon une aberration. Mais, au-delà de termes et de volumes souvent imprécis, que recouvrent vraiment ces emplois qui ne trouvent pas preneurs ? Le chiffrage est complexe et le phénomène multifactoriel.

C’est un serpent de mer du débat sur le marché de l’emploi. Il y aurait en France un important gisement d’emplois en déshérence. « Quatre cinquième des entreprises rencontrent des difficultés de recrutement et 15 % des projets sont abandonnés », avance-t-on au Medef. Une situation paradoxale dans un contexte de chômage de masse, que nombre de dirigeants politiques s’échinent à dénoncer, à coups de chiffres, tous fluctuants. En 2008, Nicolas Sarkozy évoque 500 000 offres non satisfaites. En 2014, le ministre du Travail François Rebsamen minore le chiffre, parlant de 400 000 postes abandonnés, faute de résultat. Un an plus tard, Myriam El Khomri revient à la charge avec un chiffre de 300 000 emplois, repris et même amplifié en 2017 par le président du Medef, Pierre Gattaz, qui situe le phénomène dans une fourchette de 300 000 à 500 000 emplois.

« Dans un marché du travail fait de flux permanents d’entrées et de sorties, l’existence d’emplois non pourvus et vacants est un phénomène normal. Mais les chiffres avancés, comme les termes utilisés pour décrire ce “paradoxe” manquent très souvent de précision », note Bruno Ducoudré, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Des volumes aléatoires, souvent brandis à la hussarde comme des slogans censés dénoncer les effets contreproductifs d’un système social trop laxiste, qui conforterait certains chômeurs dans leur statut. « Rien d’étonnant si la question ressurgit à chaque fois que doivent être négociées les conventions Unedic », ironise Hadrien Clouet, doctorant au Centre de sociologie des organisations (Centre national de la recherche scientifique – Sciences Po).

4,7 % du total des offres déposées à Pôle emploi.

Qu’en est-il alors en vérité ? Combien et que sont réellement ces emplois qui ne trouvent pas preneurs ? L’expression « emplois non pourvus », telle que la définit Pôle emploi, recouvre les offres abandonnées faute de candidats, en tout cas de profils correspondant aux attentes des employeurs. En 2017, l’opérateur public a mené une étude auprès des entreprises ayant finalement renoncé à recruter. « Sur les 3,2 millions d’offres déposées auprès de nos services, 2,9 millions ont été pourvues. La moitié des 300 000 offres non pourvues ont été abandonnées faute de candidat adéquat, soit 4,7 % du total des offres déposées », explique Stéphane Ducatez, directeur des statistiques, des études et de l’évaluation au sein de la Direction générale de Pôle emploi. Après extrapolation – la part du marché de l’emploi de l’opérateur public étant située autour de 40 % – il apparaît que le volume de projets de recrutement abandonnés faute de candidats en France en 2017 se situe entre 200 000 et 330 000. « Il faut considérer le poids du phénomène au regard des plus de 20 millions de contrats signés chaque année », relativise Bruno Ducoudré. Des emplois non pourvus, à ne pas confondre – comme on le fait quasi systématiquement – avec les « emplois vacants ». Selon l’homologation d’Eurostat, ceux-ci désignent les « postes libres (nouvellement créés ou inoccupés) ou encore occupés et sur le point de se libérer, pour lesquels des démarches actives sont entreprises pour trouver, à l’extérieur de l’établissement, le candidat adéquat dans l’immédiat ou dans un avenir proche ». « Les emplois vacants sont avant tout un indicateur des flux sur le marché de l’emploi. On lit trop souvent cet indicateur à l’envers, en l’associant au chômage. Or, chômage et emplois vacants évoluent en sens contraire. Un fort taux de vacance peut signifier que beaucoup d’emplois se créent », souligne Hadrien Clouet.

150 000 emplois vacants.

Certes, l’hétérogénéité des sources et des méthodologies de comptabilité (voir encadré) ne facilite pas la précision du diagnostic. Les extrapolations de Pôle emploi ne concernent pas les emplois difficiles à pourvoir, elles portent sur le nombre d’emplois disponibles à un moment donné sur l’ensemble du marché du travail. Quant à l’enquête Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre (Acemo), qui mesure en France les emplois vacants, elle écarte de son champ les administrations publiques, le secteur agricole et celui des particuliers employeurs ou de certaines associations. « Au quatrième trimestre 2017, on comptait 150 000 emplois vacants en France, dont 30 000 dans l’industrie, 11 000 dans la construction et le reste dans le tertiaire marchand et non marchand, notamment commerce de gros et de détail et restauration », précise Anne-Juliette Bessone, sous-directrice emploi-marché du travail de la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares). Parce qu’ils livrent une photographie à un instant T, les emplois vacants ne permettent pas de qualifier les emplois non pourvus, qui devraient se mesurer à l’aune d’un étalon de durée. Pour circonscrire le phénomène des offres difficiles à pourvoir, une première approche consisterait à comptabiliser, dans le stock d’emplois à pourvoir à un moment donné, le nombre d’emplois non pourvus par exemple depuis plus de trois mois. Avec toutefois, ici encore, une limite méthodologique : d’une part, le résultat ne permettrait pas de savoir ce que vont devenir les offres en stock depuis peu de temps, et dont certaines seront difficiles à pourvoir ; d’autre part, il ne comprendrait pas les offres qui ont été retirées faute de candidat.

Le conjoncturel et le structurel.

Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) préconise pour sa part d’utiliser et de rapprocher deux autres notions : « les offres satisfaites au cours d’une année après un délai supérieur à 3 mois et les recrutements abandonnés faute de candidats au cours d’une année ». Mais, là encore, se pose un problème : les statistiques les plus complètes dont on dispose portent sur les offres déposées à Pôle emploi, non représentatives de l’ensemble du marché. Car, comme le précise Stéphane Ducatez, à la direction générale de l’organisme public, « la moitié des offres pourvues le sont en moins de 38 jours ».

Au-delà des chiffres, les causes de l’emploi non pourvu sont également délicates à circonscrire. Il peut résulter à la fois d’un chômage ou conjoncturel frictionnel, dû au délai incompressible nécessaire pour chercher et trouver un candidat adéquat – notamment quand l’emploi redémarre –, et de facteurs plus structurels, liés aux difficultés d’adéquation entre les caractéristiques des chômeurs et celles des emplois disponibles. Ces différents facteurs devant en outre être pondérés par des paramètres eux-mêmes complexes : métiers et secteurs, niveau de qualification, situation personnelle du candidat, contexte socio-économique local, etc.

Première cause structurelle généralement avancée pour expliquer l’emploi non pourvu : l’inadéquation (réelle ou ressentie) entre les compétences attendues par les recruteurs et celles disponibles. « Le niveau d’inadéquation des qualifications en France est proche de la moyenne de l’Union européenne, mais la France affiche l’un des niveaux de sous-qualification les plus élevés », constate Glenda Quintini, économiste à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). D’après l’organisme européen, 23,4 % des salariés en France sont sous-qualifiés par rapport à leur métier, contre 11,7 % en situation de surqualification.

« La grosse pierre d’achoppement de notre appareil de formation, c’est que le contenu pédagogique dominant ne correspond pas aux besoins du marché », ajoute Antoine Morgaut, président de Syntec Conseil en Recrutement.

Et les choses ne s’arrangent pas du côté de la formation professionnelle. Seuls 36 % des adultes français ont pris part à une formation dans l’année passée, alors que dans les pays les plus performants, comme les pays nordiques entre autres, la proportion dépasse 60 %. « La participation aux programmes de formation pour adultes est particulièrement réduite parmi les personnes à faible niveau de compétences (17 %) », précise Stéphane Carcillo, économiste à l’OCDE. De fait, quand il s’agit d’identifier les causes de leur renonciation, les entreprises interrogées par Pôle emploi pointent dans 70 % des cas les questions liées à l’expérience, la motivation, les compétences. « Le diplôme arrive loin derrière, à 45 % », commente Stéphane Ducatez.

Un phénomène qui touche essentiellement les PME.

Deuxième cause structurelle pour expliquer l’emploi non pourvu : le déficit d’attractivité, généralement associé au métier, du fait de caractéristiques objectives (conditions de travail difficiles, horaires atypiques, etc.) ou subjectives (manque d’information, image négative du métier ou du secteur). À Pôle emploi, on note que le taux d’abandon est deux fois et demie plus élevé pour les entreprises employant moins de 10 personnes par rapport aux grandes entreprises. De manière plus globale, 86 % des renoncements concernent des structures de moins de 50 salariés. « Pour 70 % des entreprises ayant enregistré moins de cinq candidatures, l’abandon de l’offre s’explique par le manque d’attractivité du poste proposé », précise Stéphane Ducatez. Pour Hadrien Clouet, ce paramètre « attractivité » est central. « La vraie question est celle de la qualité des emplois. L’existence d’offres non pourvues – dont 87 % ont suscité des candidatures – indique que les demandeurs d’emploi ne sont pas tous réduits à travailler dans n’importe quelles conditions. »

Au-delà des facteurs conjoncturels et structurels, la mauvaise articulation entre offre et demande interroge le marché de l’emploi en France : un système en partie grippé par certaines rigidités de fonctionnement et par la conflictualité du dialogue social. La question est donc également culturelle. Et fondamentalement politique.

Une palette d’outils d’évaluation

Pour comprendre les mécanismes de l’offre et de la demande d’emploi et identifier les points d’achoppement, la France dispose d’une batterie d’outils d’évaluation, réalisée à des niveaux et sur des périmètres divers, avec des sources et des méthodologies différentes. À commencer par l’enquête Besoins en main-d’œuvre (BMO) de Pôle emploi, établie sur la base d’un questionnaire adressé chaque année aux entreprises.

Sur la base des données de Pôle emploi, la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares) publie pour sa part tous les trois mois un tableau de bord des compétences en tension dans chaque métier. À une échelle plus restreinte, on peut citer l’Observatoire tendance emploi compétence (TEC) du Medef, portant sur les recrutements impliquant des contrats d’au moins six mois lancés par 40 000 entreprises du secteur privé. Administré jusqu’en 2017, ce baromètre doit être remplacé en 2018 par un outil intégrant davantage de questions ouvertes.

À l’échelon régional, les Centres animation ressources d’information sur la formation et les Observatoires régionaux emploi formation (Carif-Oref) collectent également des informations sur les besoins des entreprises. Enfin, certains Observatoires prospectifs des métiers, des qualifications et des compétences (OPMQ) mènent des évaluations sectorielles.

Auteur

  • Muriel Jaouën