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La délicate réforme de l’apprentissage

Dossier | publié le : 07.03.2018 | Dominique Pérez

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La délicate réforme de l’apprentissage

Crédit photo Dominique Pérez

Déficit d’image, complexité de la gouvernance, « concurrence » avec le contrat de professionnalisation, rigidité du système… Les maux de l’apprentissage reviennent comme une antienne. Interrogés, sollicités, bousculés parfois par la concertation en cours pour préparer la réforme, les principaux acteurs sont au moins globalement d’accord sur les constats.

Alerte. Suivant peu ou prou la courbe du chômage, celle du nombre global d’apprentis, qui a connu une chute brutale en 2012, n’a pas progressé depuis. En 2016, 275 300 nouveaux contrats d’apprentissage ont été signés dans le secteur privé, soit une hausse de 1,2 % par rapport à 2015, selon la Dares. Une quasi-stagnation que tout le monde s’accorde à considérer comme très problématique en ce premier trimestre 2018, quand le manque criant de compétences dans certaines spécialités occasionne de vraies difficultés. Au point de conditionner parfois la santé voire la survie de certaines entreprises. Une fois le constat posé, que faire pour que ce mode de formation, pourtant plébiscité par les entreprises, s’ancre comme une réponse durable en France ? Prenant la mesure de la complexité des freins à l’apprentissage, s’expliquant à la fois par son histoire et la diversité de ses acteurs, le gouvernement doit se livrer à un exercice d’équilibriste entre entreprises et branches professionnelles, régions, Éducation nationale… pour conduire une réforme dans le consensus.

Une image à valoriser

Paradoxe : tandis que le nombre d’apprentis inscrits dans l’enseignement supérieur ne cesse de progresser, l’image de l’apprentissage dans son ensemble auprès des parents d’élèves, des jeunes et des enseignants de collège notamment reste associée dans bien des cas à celle de l’échec scolaire. Comme d’ailleurs celle de l’enseignement professionnel en général. Si 81 % des Français pensent que l’apprentissage permet de trouver plus rapidement un emploi, 56 % estiment qu’il a une mauvaise image* « Un travail de pédagogie serait absolument nécessaire, affirme par exemple Christophe Catoir, président France d’Adecco Group, pour présenter les filières. Avec des informations concrètes pour choisir, qui sont déjà disponibles, mais peu exploitées dans l’orientation professionnelle. Les entreprises ont beaucoup d’emplois vacants sur des métiers non connus. Les jeunes et les parents auraient besoin de connaître les salaires proposés à l’issue de la formation, les débouchés, la localisation, le niveau de l’offre et de la demande… » Avec une quinzaine d’autres grandes entreprises, Adecco s’est engagée en septembre 2017 dans le réseau GAN (Global Apprenticeship Network) à la veille du top départ de la concertation préalable à la réforme de l’apprentissage organisée par le gouvernement. Christophe Catoir en a pris la présidence française. L’un des objectifs : agir sur les freins au développement de l’alternance, en échangeant notamment sur les bonnes pratiques entre pays. En France, le Gan représente des interlocutrices de poids, des entreprises représentant 22 000 alternants… Une initiative parmi d’autres pour participer à la revalorisation de l’apprentissage, en favorisant notamment une adaptation des cursus aux évolutions des métiers et en promouvant les expériences internationales.

Plus d’implication des branches professionnelles ?

La concertation mise en œuvre par le gouvernement pour préparer la réforme de l’apprentissage, qui devrait voir son aboutissement au printemps 2018, a cependant souhaité lever bien d’autres freins, plus structurels et historiques. Prenant pour exemple les modèles d’organisation de l’apprentissage de nos voisins européens, tels que l’Allemagne, le gouvernement a voulu d’emblée placer les branches professionnelles au cœur du dispositif. « Les modèles étrangers qui affichent de bonnes performances en matière d’apprentissage concilient une implication forte des branches et des partenaires sociaux dans la gouvernance et le financement du système avec un rôle majeur des pouvoirs publics pour promouvoir l’apprentissage auprès des jeunes, les accompagner dans leur parcours et évaluer les résultats de cette politique publique, » peut-on lire dans le rapport de synthèse de la concertation publié à la fin du mois de janvier 2018. Les tentatives de mettre en première ligne les branches professionnelles s’est très vite heurtée à la résistance des Régions, craignant une « privatisation de l’apprentissage ». Ayant claqué la porte de la concertation en décembre 2017, elles sont revenues un mois plus tard avec l’assurance qu’un pilotage public serait maintenu. Parallèlement, le principe d’une totale fusion entre contrat de professionnalisation/contrat d’apprentissage a été abandonné. Car c’est un attachement à un certain modèle français de diplôme, qui s’est exprimé lors de la négociation. « Les acteurs se sont entendus sur la nécessité que l’apprentissage reste dans la formation professionnelle initiale, explique Patrick Maigret, président de la Fnadir (Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de formation d’apprentis) avec les règles qui l’accompagnent. Il faut établir des liens permanents avec les branches professionnelles, et les entreprises pour établir les programmes de formation, valider les épreuves de l’examen, mais les socles de connaissances générales inclus dans les programmes de formation sont considérés comme essentiels. Le contrat de professionnalisation correspond plus à une adaptation directe aux besoins des entreprises, pour l’obtention de CQP de branches. » Pour les représentants de l’enseignement supérieur, la main mise des branches sur la définition des cursus et, partant, sur une part du financement signifierait potentiellement – 20 000 contrats d’apprentissage. « Si chaque branche professionnelle est chargée de définir les formations qu’elle labellise, ce sera tout à fait incompatible avec l’organisation de l’enseignement supérieur, estime François Germinet, président de l’Université de Cergy-Pontoise et président de la commission formation et insertion professionnelle de la Conférence des présidents d’université (CPU), qui, par essence, élabore des cursus inter-branches, par exemple pour former des cadres du marketing. »

Un apprentissage à deux vitesses ?

Autre défi : favoriser les formations en apprentissage de niveaux 4 et 5 dans une logique de lutte contre le chômage, priorité du gouvernement actuel, comme du précédent. Pour certains secteurs d’activité, ces niveaux de formation représentent toujours d’importants besoins. « Nous comptons 1 300 alternants en France, 2 000 au niveau mondial, précise Olivier Carlat, Directeur du développement social et des relations du travail de Veolia. Plus de 70 % des formations préparées le sont pour des opérateurs, pour répondre aux besoins du groupe dans le domaine de l’environnement (propreté, eau…). » Or, la relative hausse du nombre d’apprentis en 2016 s’explique par la croissance des contrats signés dans l’enseignement supérieur. Ceux qui préparent un Bac + 2 et plus représentent plus du tiers des apprentis en 2016, tandis que les effectifs des apprentis en CAP, BP ou Bac Pro continuent de diminuer. « L’apprentissage devient une voie d’excellence dans l’enseignement supérieur et participe à résorber le chômage des jeunes, » estime François Germinet. Mais peu de passerelles existent entre l’infra-bac et le supérieur, aboutissant un système à deux vitesses. Pour Patrick Maigret, les formations du supérieur ont toute leur place dans l’apprentissage, mais des mesures spécifiques d’accompagnement des apprentis et une plus grande souplesse du système sont les conditions de réussite des élèves, particulièrement aux niveaux V et IV. « Par exemple, le fait de permettre à un apprenti d’entrer en apprentissage à tout moment de l’année pourrait augmenter le nombre d’apprentis en offrant une souplesse aux jeunes et aux employeurs. Cela suppose évidemment d’individualiser les parcours et de les adapter. De même qu’on expérimente actuellement l’apprentissage jusqu’à 30 ans, nous sommes favorables à ne pas mettre de limite d’âge. Pourquoi quelqu’un âgé de 25 ans et 11 mois pourrait signer un contrat d’apprentissage et pas un mois après ? » Ces propositions de la Fnadir et d’autres intervenants ont été apparemment écoutées et mentionnées dans le rapport de synthèse de la concertation, publié fin janvier 2018. Mais elles font craindre à certains, associées à d’autres préconisations, une vocation détournée : « L’incitation à être apprenti sans limite d’âge, à entrer ou sortir de formation à tout moment de l’année avec un contrat de travail allégé, des protections liées à la santé et sécurité pour les mineurs encore assouplies, un droit du travail encore allégé et une rémunération largement en dessous du SMIC… C’est, dix ans après que les salariés et la jeunesse l’ait combattu, le retour d’un contrat de type première embauche étendu à toutes les classes d’âge ! » s’indigne la CGT dans un communiqué. Bref, le consensus n’est pas pour maintenant.

Des expériences à l’international pour les apprentis ?

Les expériences à l’international sont possibles pour les apprentis avec le dispositif Erasmus, mais peu utilisées. 160 000 jeunes en alternance ont bénéficié de ce dispositif depuis sa création en 1995, dont 6 800 en 2017, contre 600 000 étudiants en formation initiale. Le gouvernement va s’appuyer largement sur le rapport du député européen Jean Arthuis remis le 19 janvier 2018 pour tenter de doubler le nombre d’apprentis partants grâce à Erasmus d’ici à 2022. Une manière de valoriser l’image de l’apprentissage tout en répondant aux vœux des jeunes et de favoriser leur employabilité. L’employeur pourrait notamment être déchargé de la rémunération et de la responsabilité de l’apprenti pendant son séjour à l’étranger, et les bourses revalorisées en fonction des pays d’accueil.

Auteur

  • Dominique Pérez