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Décodages

Thierry Marx, un formateur en Chef

Décodages | Apprentissage | publié le : 07.03.2018 | Irène Lopez

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Thierry Marx, un formateur en Chef

Crédit photo Irène Lopez

Chef doublement étoilé du Mandarin Oriental, Thierry Marx a créé une formation rapide, avec un diplôme et (souvent) un emploi à la clé. Son aura médiatique facilite son investissement en faveur du retour à l’emploi des personnes précaires. Il essaime sa méthode « Cuisine mode d’emploi(s) », couronnée de succès et se dit proche des idées défendues par le gouvernement en matière d’apprentissage.

Ce que l’on remarque en premier lorsque l’on serre la main de Thierry Marx, c’est sa veste de cuisine d’un blanc immaculé. Après l’avoir croisé à son arrivée au Mandarin Oriental, à deux pas de l’Élysée, en col roulé noir, on appréhende que l’uniforme soit synonyme d’une parole convenue.

Sa voix est douce, presque confidentielle. Il faut tendre l’oreille ou se rapprocher de lui. Son débit de parole est régulier. Pas un mot plus haut que l’autre.

C’est avec beaucoup de patience qu’il déroule son histoire, archiconnue et lue dans les médias. Une enfance dans le 20e arrondissement de la capitale, à Ménilmontant puis à Champigny-sur-Marne. Il voulait intégrer une école hôtelière. « L’école » choisit pour lui la mécanique générale. Cette orientation ne le mènera nulle part si ce n’est dans la cage d’escalier du HLM où il vit ou les terrains vagues de la banlieue.

Il se souviendra de ces années d’errance, sans projet en ligne de mire. Sa sortie d’adolescence bascule dans le cliché avec la rencontre d’éducateurs qui le guident vers une pratique sportive. Elle le structurera tout au long de son parcours à venir. « Désormais, il n’y a plus ces références pour les jeunes. Ils ne rencontrent plus dans leurs quartiers des adultes épanouis professionnellement » compare-t-il.

Le sport a eu un rôle prépondérant dans sa vie. Passionné de sport de combats (ceinture noire, 5e Dan de judo), il a la placidité de ceux qui ont un gabarit imposant et ne craignent pas l’autre. La pratique du judo lui permettrait de se faire une idée précise de son interlocuteur en quelques minutes. Est-ce vrai ? Il répond sans détour : « Non, ce n’est pas comme si je passais la personne au scanner. Mon avis repose sur l’instinct et j’arrive à savoir si une personne est motivée ou si elle ne l’est pas en écoutant son projet ».

En 1978, il intègre Les compagnons du Devoir. Il y trouvera un cadre professionnel solide, « où la critique n’est émise sans autre enjeu que celui de vous faire progresser » précise-t-il. Il y obtient les CAP de pâtissier, chocolatier et glacier. Comme son troisième enfant, 25 ans plus tard.

Une pincée de succès.

À 19 ans, il s’engage dans l’armée comme parachutiste dans l’infanterie de marine. Il se retrouve casque bleu, en 1980, pendant la guerre du Liban. Ce n’est qu’à son retour qu’il renoue avec les fourneaux. Il est commis chez Ledoyen, Taillevent puis Robuchon. Remarqué, il devient chef cuisinier du Regency Hotel de Sydney et fait le tour de l’Asie.

La vitesse à laquelle la suite de l’histoire se déroule est vertigineuse. Dans les années 1980, il est à la tête des cuisines du luxueux Hôtel 4 étoiles Le Cheval Blanc de Nîmes. Tenu par Régine et symbole du faste de ces années-là, il y accueille le Tout-Paris mondain de l’époque.

Les distinctions s’enchaînent. En 1988, il reçoit une première étoile au Guide Michelin pour le restaurant Roc en Val à Montlouis-sur-Loire, puis une autre en 1991 pour le Cheval blanc de Nîmes. Chef au relais et château Cordeillan-Bages à Pauillac à partir de 1996, il obtient sa première étoile au Michelin en 1996 puis une deuxième en 1999. Il est élu « Cuisinier de l’année » en 2006 par Gault& Millau. En octobre 2008, il est à l’initiative du Foodlab, un labo cuisine à la frontière entre la gastronomie et la science. Il s’agit d’un lieu d’expérimentations mêlant scientifiques et chefs de cuisine de renommée internationale. Depuis avril 2010, il est à la tête de la restauration du Mandarin Oriental Paris. Il y a notamment ouvert, depuis juin 2011, le restaurant Sur-mesure by Thierry Marx, Le Camélia et un comptoir de pâtisseries. En 2012, son restaurant Sur-mesure by Thierry Marx reçoit deux étoiles au guide Michelin et cinq toques (19/20) au Guide Gault & Millau.

Le 11 avril 2012, il est fait chevalier des Arts et des Lettres par Frédéric Mitterrand.

Les récompenses continuent d’émailler son parcours : il est fait chevalier de la Légion d’honneur en juillet 2013, élabore au Centre français de l’innovation culinaire (CFIC), un laboratoire d’un genre nouveau, né de l’alliance entre un artisan et un chercheur. En 2014, il est chef de l’année au guide Pudlo et reçoit la consécration des trois assiettes.

Assaisonner d’inspiration.

Sa propre réussite n’est pas une fin en soi. Son credo est alors : « Je veux inspirer pour transmettre. Dans les formations Afpa, j’ai vu des professeurs moins formés que les stagiaires ! »

En 2012, avec l’aide de Frédérique Calandra, maire du 20e arrondissement de Paris, il lance l’école Cuisine mode d’emploi(s) (CME) avec une première session de commis de cuisine. Il s’agit d’une formation courte de douze semaines continues dont quatre semaines de stage en entreprise, professionnalisante (obtention du Certificat de Qualification Professionnelle) et entièrement gratuite. Pourquoi douze semaines ? « Parce que si vous dites à un jeune de se rendre disponible trois mois, il ne viendra pas » explique, pragmatique, le Chef. Ce que confirme une stagiaire : « Nous apprenons en huit semaines ce que nous aurions mis un ou deux ans à acquérir en CAP. Je n’aurais pas tenu aussi longtemps à étudier. Lorsque c’est court, c’est intensif mais cela correspond davantage à mon besoin de travailler et de pouvoir gagner ma vie rapidement ».

Le discours est identique chez les professionnels : « Nous avons du mal à recruter alors qu’il y a des personnes motivées pour intégrer nos métiers. Malheureusement, la théorie prend trop de place dans les enseignements actuels et est bien trop longue à suivre pour des adultes ». Chaque année, plus de 50 000 emplois sont offerts et non pourvus dans la restauration. La statistique est emblématique du décalage entre les besoins de la branche et le vivier de personnels qualifiés.

En bref, le concept créé par Thierry Marx ressemble à ce que peut offrir un CAP mais en gommant tous les freins : son contenu inadapté et l’inadéquation de la formation aux publics éloignés de l’emploi.

À chaque session, huit apprentis (des jeunes sans diplôme, des demandeurs d’emploi et des personnes en reconversion professionnelle) sont sélectionnés parmi 250 postulants. Les cuisiniers apprennent les gestes de base et doivent les maîtriser pour être opérationnels n’importe où. Idem pour les boulangers avec Cuisine mode d’emploi(s) – La Boulangerie.

Thierry Marx profite de sa notoriété pour attirer les mécènes, aussi bien publics (Paris Habitat) que privés (Accor), organise des événementiels et fait appel au crowdfunding (mymajorcompany) pour financer ses formations. Son concept est un véritable succès : 250 personnes sont formées chaque année.

Médiatiser abondamment.

Concernant la formation, aucun de ses confrères, ne s’est aventuré aussi loin que lui ni avec autant d’efficacité. 94 % des stagiaires qu’il forme trouvent un poste de commis de cuisine. Certains s’inscrivent ensuite au CAP en candidat libre et l’obtiennent. Sa recette ? « Je suis dur avec les faits et bienveillant avec les gens » confie-t-il.

Les expériences menées par ses confrères vont de l’école de cuisine pour amateurs, comme les cours dispensés par Anne-Sophie Pic à Valence, à l’émission TV Show Biz de Cyril Lignac. Thierry Marx aussi, s’est essayé à la cuisine spectacle, de février 2010 à avril 2014. Il a été un des jurés de l’émission Top Chef sur M6 avec Ghislaine Arabian, Christian Constant et Jean-François Piège. Il précise : « sans humilier les candidats ».

Les politiques l’aiment et le sollicitent. Ainsi Bernadette Chirac lui avait demandé d’être ambassadeur d’une de ses campagnes Pièces Jaunes, opération de collecte de grande envergure destinée à améliorer l’accueil des enfants dans les hôpitaux. Son peu de disponibilité face aux médias avait alors fait grincer des dents au sein de la Fondation des Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France dont Madame Chirac est la présidente.

Il fréquente discrètement mais sûrement la sphère politique. Il a ainsi soutenu la candidature d’Emmanuel Macron. Il a rencontré au début de l’année Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, pour discuter de la réforme de l’apprentissage en cours. Le 16 janvier, Jean-Marc Borello, président du Groupe SOS a remis son rapport à la ministre, dans les locaux de Cuisine Mode d’Emploi(s). À cette occasion, Jean Marc Borello a confié : « Personne n’est inemployable ». Thierry Marx partage cette philosophie, lui qui donne toujours une seconde chance aux gens, notamment aux personnes passées par la case prison.

« Pourquoi cette démarche ? » ne cessent de s’étonner les journalistes. « Car elle est environnementale et bénéficie à tous, surtout aux quartiers les plus défavorisés » répond inlassablement le Chef. Et à la question qui en général vient juste après : « Mais comment avez-vous identifié ce besoin ? » il assène tranquillement « Très simplement. Car je viens moi-même de ces quartiers. Et je me suis dit qu’il fallait y ramener des formations professionnelles d’excellence pour donner ou redonner le goût du travail ».

Un zeste de reconnaissance.

Avec le recul, ce dont il est le plus fier, c’est la reconnaissance par la branche professionnelle de sa formation sanctionnée par un diplôme d’état. « Nous avons fait bouger des rigidités ». Les éléments de langage sont les mêmes que ceux de Muriel Pénicaud : « Aujourd’hui, les dispositifs de mise en œuvre sont trop rigides. J’appelle de tous mes vœux une réforme en profondeur pour que le système devienne plus réactif et plus opérationnel ». Le centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) a observé un écart de neuf points entre le taux de chômage des jeunes avec un diplôme en alternance à faible niveau d’éducation (CAP ou BEP) en 2010 et les jeunes qui sortaient d’une filière classique. Cet écart était de six points pour les bac + 2.

Pour lutter « efficacement » contre le chômage des jeunes, le gouvernement veut « développer massivement » l’offre d’apprentissage des entreprises en direction des moins de 25 ans. Lancée le 10 novembre 2017, la concertation sur la réforme de l’apprentissage, devra déboucher sur un projet de loi attendu au printemps.

La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a repéré une « trentaine de freins » à l’apprentissage. Notamment l’impossibilité d’entrer dans le dispositif en cours d’année, la lenteur pour créer ou rénover une formation, le manque de passerelles lorsqu’un jeune rompt son contrat en cours d’année. Pour lever ses freins, elle veut que les entreprises s’engagent davantage dans la co-construction des diplômes et qu’elles puissent piloter les centres de formation en fonction de leurs besoins. Thierry Marx voit tout cela d’un bon œil. Observateur avisé de la négociation en cours, il regrette cependant que les régions aient claqué la porte des négociations en décembre dernier. Pour lui, la discussion entre tous les partenaires est souhaitable et nécessaire. Si « tout va dans le bon sens », il attend néanmoins la tournure que prendra la réforme.

Une trentaine de minutes se sont écoulées. Thierry Marx regarde sa montre. Une réunion du Comex démarre dans trois minutes. Il accepte une dernière question puis se lève pour s’éclipser d’un pas rapide vers la salle de réunion. Le photographe n’a plus que deux minutes pour réaliser son portrait. Adieu, la mise en scène prévue. Le ton devient plus cassant et les cliquetis de l’appareil photo couvrent mal le « dépêchez-vous » plus qu’autoritaire. Formateur durant le plus clair de l’entretien, Thierry Marx redevient Chef.

Auteur

  • Irène Lopez