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Les salariés, des administrateurs comme les autres… ou presque

Décodages | Gouvernance | publié le : 07.03.2018 | Muriel Jaouën

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Les salariés, des administrateurs comme les autres… ou presque

Crédit photo Muriel Jaouën

Éléments clés d’une modernisation de la gouvernance, les administrateurs salariés ont pour eux leur connaissance de l’entreprise et leur indépendance. Et contre eux, un rapport de force encore très souvent défavorable au sein des conseils. La future loi Pacte pourrait rebattre les cartes.

Quel sort la future loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) concoctée par Bruno Le Maire, le locataire de Bercy, va-t-elle réserver aux administrateurs salariés ? Réponse en avril, quand sera dévoilé le projet de loi gouvernemental. Donner aux salariés la possibilité de participer davantage aux orientations stratégiques, perméabiliser les instances décisionnaires à la réalité de ce que vivent les collaborateurs, créer un effet de mobilisation susceptible de renforcer la cohésion : la représentation salariée au sein des organes de gouvernance est présentée comme une avancée de la démocratie sociale dans les entreprises. C’est en tout cas l’intention qui sous-tend la présence d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration et de surveillance.

Instituée dans les entreprises publiques en 1983, étendue aux sociétés privées par la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, puis encore renforcée dans son périmètre d’application avec la loi sur le dialogue social de 2015, elle est obligatoire dans toutes les entreprises employant plus de 1 000 personnes en France et 5 000 dans le monde. Ce, à raison d’au moins deux administrateurs dans les entités de plus de 12 membres et d’au moins un en deçà.

Combien sont-ils aujourd’hui ? Difficile de répondre, faute de recensement référent. En 2016, le Haut Conseil de la Gouvernance d’Entreprise a estimé que la représentation salariée lors des assemblées générales concernait 42,3 % des entreprises du SBF 120 et 64,8 % des entreprises du CAC 40. Aujourd’hui, même l’Institut Français des Administrateurs (IFA) et son Club des Administrateurs Indépendants peinent à livrer un chiffre précis. « Sans doute au moins 400 », estime Anne-Marie Mourer, présidente du Club.

La question centrale des seuils.

Pas assez en tout cas, pour les partisans d’une présence plus marquée dans les organes de gouvernance. Et au premier chef pour 94 % des administrateurs salariés, qui estiment que les conseils devraient compter a minima trois membres issus de leurs rangs, si l’on en juge par les résultats de l’enquête sur les administrateurs salariés, réalisée pour les Premières Assises des administrateurs salariés, en 2015. « Les salariés, par leur travail, participent à la création de richesse de l’entreprise. Ils sont donc absolument légitimes, partout, à participer aux décisions stratégiques qu’ils devront ensuite mettre en œuvre », défend Pascal Mathieu, administrateur salarié au sein du conseil du Groupe Air France.

Pour étendre plus avant le modèle, il faudrait jouer sur deux leviers : l’augmentation du nombre d’entreprises visées par l’obligation légale d’une part, l’augmentation du nombre de salariés appelés à siéger aux conseils d’autre part. La CFDT, la Fondation Jean Jaurès ou le think tank Terra Nova, classé à gauche, plaident dans ce sens. « Nous proposons de descendre les seuils d’éligibilité des entreprises à 500 salariés et d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés au sein des conseils à hauteur d’un tiers de l’effectif pour les entreprises de plus de 1 000 salariés ou plus de douze administrateurs », développe Martin Richer, consultant RSE et coordonnateur du pôle Entreprise, Travail & Emploi de Terra Nova. Rien de délirant dans ces revendications : après tout, la proportion d’administrateurs salariés la plus courante en Europe est à un tiers de l’effectif des conseils (voir encadré).

« Il est également important que les administrateurs salariés puissent siéger au sein des comités rattachés au conseil (stratégie, audit, RSE, rémunérations…), de plus en plus nombreux, et dont le rôle devient majeur dans les décisions qui orientent la vie des entreprises », ajoute Martin Richer. Selon une étude de l’IFA lors de ses Assises des Administrateurs Salariés en 2017, 65 % participent au moins à un comité, et parmi eux, 40 % au Comité des rémunérations, des nominations et du gouvernement d’entreprise, 21 % au Comité de la stratégie et du développement, 15 % au Comité d’audit.

Quel impact sur la performance ?

Au-delà de sa justification politique, la présence d’administrateurs salariés constitue-t-elle un levier de performance ? « Il n’existe pas de référence économétrique qui permettrait de dire que le dispositif des administrateurs salariés augmente la performance des entreprises. Mais une grande majorité d’avis fondés sur des constats empiriques vont dans ce sens », note Vincent Charlet, délégué général de la Fabrique de l’Industrie et de co-auteur, avec André Gauron, d’un rapport sur les administrateurs salariés, en 2014. Pour Salima Benhamou, économiste et cheffe de projet au Département Travail – Emploi – Compétences de France Stratégie, la présence d’administrateurs salariés doit être envisagée dans une dynamique cumulative impliquant d’autres dispositifs et ce, dans un continuum plus informel impliquant le management et les organisations du travail au quotidien : « Dans nos travaux, nous avons démontré que la complémentarité entre un ensemble de dispositifs de participation des salariés, (participation aux décisions dans les conseils d’administrations/surveillance, dans l’organisation du travail et aux résultats financiers) est plus à même d’améliorer la performance de l’entreprise et créer une communauté d’intérêts entre l’ensemble des parties prenantes ».

Les administrateurs salariés n’en sont pas moins garants d’un atout précieux : ils ne doivent leur nomination ni au président du conseil, ni aux dirigeants de la société. « Nous sommes par définition moins inféodés que les administrateurs indépendants, choisis par l’exécutif, et qui n’ont d’indépendants que leur nom », affirme Frédéric Hassaine, l’un des deux administrateurs salariés siégeant au conseil de surveillance de BPCE. Et en matière d’indépendance, les entreprises françaises ont des progrès à faire. Selon une étude menée par réseau Expert Corporate Governance Service dans seize pays d’Europe, la France se situe à la neuvième place en termes d’indépendance du conseil, à la onzième pour l’indépendance des comités de nomination, à la douzième pour l’indépendance des comités d’audit et à la quinzième pour l’indépendance des présidents du conseil.

Connaissance intime de l’entreprise.

À l’indépendance s’ajoute un autre marqueur : une connaissance intime de l’entreprise, de sa culture, de son fonctionnement, de ses savoir-faire, de ses marchés. « En deux décennies, j’ai vu passer pas mal de PDG et suivi de près les évolutions l’entreprise. Cette combinaison entre proximité et recul est très précieuse quand il s’agit de peser sur les orientations stratégiques », soutient Pascal Mathieu, chez Air France. « Les administrateurs salariés ont contribué à la professionnalisation des conseils, en y poussant les sujets liés aux ressources humaines », confirme Martin Richer. Risques psychosociaux, promotion sociale et employabilité de l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, autant de sujets que les exécutifs et les indépendants au sein des conseils n’abordent pas spontanément, plus enclins à envisager la question du capital humain au prisme des talents clés et des effectifs. Les administrateurs salariés doivent également se frotter à de nouveaux enjeux. À eux la responsabilité des choix stratégiques des entreprises, avec leurs conséquences sur l’emploi, les salaires, les investissements et leur financement, la recherche, l’implantation des entreprises sur le territoire. Lourde, très lourde charge, qui resserre nécessairement le spectre de sélection des profils : des cadres à 65 %, forts d’une ancienneté moyenne de 25 ans.

Si la loi prévoit un droit minimum de 20 heures annuelles de formation, 30 % des personnes interrogées disent ne pas avoir reçu de formation en vue d’exercer leur mission, alors que seuls 27 % d’entre eux estiment avoir les compétences requises. Face aux besoins de mise à niveau, L’IFA propose des formations inter-entreprises et intra-entreprises. « Certains administrateurs salariés sont désormais certifiés au titre de la certification Science-Politique/IFA comme administrateurs de société », souligne Agnès Touraine, présidence de l’Institut français des administrateurs.

Codes comportementaux.

Plus que les compétences techniques, ce sont sans doute les codes comportementaux qui font défaut aux nouveaux membres. « Une séance de conseil, c’est impressionnant. À cause du poids de la charge bien sûr, mais aussi parce qu’il n’est pas forcément évident de prendre la parole devant des pointures », raconte Frédéric Hassaine. Peu d’administrateurs indépendants ont échappé à une certaine condescendance de la part de leurs « pairs » de l’exécutif. « À nous de ne pas nous y exposer, en affichant la bonne posture, en montrant que nous sommes là pour défendre l’intérêt collectif de l’entreprise », affirme Thierry Marty, l’un des six administrateurs salariés siégeant au conseil d’administration de SNCF Mobilités.

Entre défense de l’intérêt collectif, représentation de la parole des salariés, obligation de confidentialité, les administrateurs salariés se trouvent dans une posture délicate. « Il y a un phénomène d’acculturation. Nous sommes sans cesse sur le fil du rasoir. Il nous faut parfois faire preuve de pédagogie auprès des salariés, notamment pour exposer les contraintes gestionnaires de l’entreprise, expliquer qu’avant de distribuer l’argent, encore fait-il en gagner… J’ai vu des administrateurs finir par se fâcher avec leur organisation syndicale, voire en être exclus », raconte Pascal Mathieu. Un risque supplémentaire de fragilité pour des administrateurs salariés qui considèrent déjà en majorité que la prise en compte de leur mandat dans leur parcours professionnel ne fait pas l’objet d’une attention suffisante de la part de leur entreprise. 43 % estimant même qu’à la fin de leur mission, ils retourneront à leur poste d’origine, sans promotion.

« La compétence acquise, tant sur le plan technique que dans la posture, devrait constituer un matériau plus que légitime de progression de carrière », plaide Frédéric Hassaine. Un avis partagé par Thierry Marty : « Ma mission doit normalement prendre fin en 2020. J’essaierai alors sans doute de faire valoir mon expérience d’administrateur salarié et de président du comité d’audit d’un grand groupe international pour postuler à un mandat d’administrateur indépendant auprès d’entreprises de taille moyenne ». Comme quoi, l’expérience acquise en tant qu’administrateur, fût-il salarié, a de la valeur.

Une pratique très ancrée en Europe

Si la parenté avec la « co-détermination à l’allemande » ne fait pas de doute, la présence d’administrateurs salariés dans les instances décisionnelles françaises ne peut se réduire à une volonté de copier le modèle social allemand. Ne serait-ce que parce que la participation aux conseils d’administration avec droit de vote est une réalité dans 19 pays d’Europe. Avec des différences marquées. Certains de nos voisins ont en l’occurrence une conception sensiblement plus extensive que la nôtre de la représentation salariée aux instances décisionnelles. On cite souvent l’Allemagne, où le premier seuil de déclenchement du dispositif vise les structures de 500 salariés, avec une proportion d’administrateurs salariés fixée à un tiers des effectifs du conseil – 50 % à partir de 2 000 salariés. Mais les pays scandinaves ont une pratique beaucoup plus inclusive de la représentation, avec des seuils de 25 salariés en Suède, 30 en Norvège, 35 au Danemark ou 150 en Finlande. De manière générale, la proportion d’administrateurs salariés la plus courante en Europe est à un tiers de l’effectif des conseils.

Auteur

  • Muriel Jaouën