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Vie des entreprises

Licenciement économique : choix de l'employeur et contrôle du juge

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.02.2001 | Gérard Couturier

Dans un arrêt remarqué du 8 décembre 2000, l'assemblée plénière de la Cour de cassation censure une décision d'appel qui avait contesté un choix de réorganisation d'une entreprise pour déclarer les licenciements consécutifs sans cause réelle et sérieuse. Question posée : jusqu'où doit aller le contrôle du motif économique du licenciement ?

Le pourvoi dirigé contre un arrêt relatif au licenciement de salariés de l'usine Silec de Riom a été porté directement devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation. Celle-ci, par un arrêt remarqué en date du 8 décembre 2000, a censuré la décision de la cour d'appel de Riom à partir d'un moyen de cassation relevé d'office par le juge lui-même. Il est donc très apparent que, pour la Cour de cassation, on se trouvait en présence d'une question de principe vis-à-vis de laquelle il importait de prendre position de façon nette et solennelle.

L'émergence de cette question de principe résultait moins des circonstances de l'espèce que de la démarche adoptée par les premiers juges dans la motivation de leur décision. Des trois hypothèses de réorganisation envisagées par l'employeur pour faire face à la situation de l'entreprise à l'égard de ses concurrents, celui-ci voulait montrer que seule la fermeture du site de Riom permettait d'atteindre les objectifs souhaitables en termes de résultat d'exploitation, de chiffre d'affaires et de valeur ajoutée par personne. La cour d'appel a retenu au contraire que, dans les trois hypothèses, l'entreprise conserverait sa part de marché et ses capacités d'investissement, donc assurait sa pérennité et sa compétitivité, de sorte qu'en retenant la solution impliquant le plus grand nombre de suppressions d'emplois l'employeur avait excédé la mesure de ce qui était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du secteur considéré de l'entreprise.

C'est cette démonstration qui a provoqué la question posée dans le moyen de cassation soulevé d'office : la cour d'appel n'a-t-elle pas excédé ses pouvoirs en substituant son choix à celui du chef d'entreprise, au nom de la préservation de l'emploi ? L'assemblée plénière répond par l'affirmative : il n'appartenait pas à la cour d'appel « de contrôler le choix effectué par l'employeur entre les solutions possibles ».

Dans cette formule, on perçoit bien la volonté de soustraire d'une certaine manière du contrôle des juges les choix de gestion de l'employeur. Cependant, l'exigence de la cause réelle et sérieuse de licenciement n'implique-t-elle pas que le juge envisage toujours les solutions alternatives ?

Ne pas réviser des choix de gestion…

Depuis qu'il existe un droit des licenciements économiques, on se demande jusqu'où doit aller le contrôle du motif économique de licenciement. Où se situe la ligne de partage entre ce que le juge doit nécessairement apprécier pour se prononcer sur la cause justifiant le licenciement et ce qui relève irréductiblement de l'employeur assumant sous sa responsabilité la gestion de l'entreprise ? Les juges, ils le déclarent eux-mêmes, « n'entendent pas se substituer aux chefs d'entreprise » (voir Ph. Waquet, Dr. social 1996, p. 475). Le temps n'est plus où l'on jugeait que « l'employeur qui porte la responsabilité de l'entreprise est seul juge des circonstances qui le déterminent à cesser son exploitation » et qu'aucune règle « ne lui fait l'obligation de maintenir son activité à seule fin d'assurer à son personnel la stabilité de son emploi » (Cass. soc., 31 mai 1956, SA Éts Brinon). On hésiterait aujourd'hui à affirmer en général, comme le faisait la Cour de cassation à la fin des années 70, qu'il n'appartient pas aux juges « de substituer leur appréciation à celle de l'employeur quant à la conduite de l'entreprise » (Cass. soc., 28 mars 1979, Bull. civ. V, n° 280, p. 199). Mais il reste que c'est bien à l'employeur qu'il revient d'apprécier les mesures les plus appropriées pour redresser la situation de l'entreprise (Cass. soc., 4 janvier 1980, Bull. civ. V, n° 6, p. 5). À propos du contrôle administratif des licenciements économiques tel qu'il a été établi par la loi de 1975 mais aboli en 1986, le Conseil d'État jugeait (arrêt coopérative de Wavignies du 27 février 1981) que l'autorité administrative n'avait pas à « vérifier les options de gestion » décidées par le chef d'entreprise.

C'est à cette orientation que se rattache la récente prise de position de l'assemblée plénière. Si, dans le motif cité plus haut, elle reproche à la cour de Riom d'avoir prétendu contrôler le choix opéré par l'employeur entre les différentes solutions, c'est en raison de la responsabilité qui revient en propre à l'employeur à l'égard de ses choix de gestion. Il faut convenir que le juge ne dispose pas des moyens qui seraient nécessaires pour apprécier lui-même les données qui déterminent ces choix. Les difficultés qui sont les siennes pour se mouvoir sur ce terrain sont illustrées par la motivation – pourtant très claire, méthodique et vigoureuse – de l'arrêt de Riom censuré par l'assemblée plénière. On y voit le juge emprunter au rapport de l'expert-comptable du comité d'entreprise les quelques éléments de base de son raisonnement, mais sans pouvoir se prononcer lui-même sur le point probablement crucial. L'employeur avait mis en avant une série de ratios de gestion qu'il présentait comme devant être atteints pour que l'entreprise se situe au niveau de ses concurrents et que sa compétitivité soit ainsi sauvegardée. Ce résultat sur les ratios, la fermeture du site de Riom était prétendument seule susceptible d'y conduire. C'est cette analyse que les premiers juges se sont autorisés à contredire. Pour eux, les ratios définis par l'employeur n'étaient pas significatifs et ni la pérennité ni la compétitivité de l'entreprise n'impliquaient qu'ils fussent atteints. Ainsi pouvaient-ils juger que dans toutes les hypothèses envisagées la pérennité et la compétitivité de l'entreprise étaient assurées. Leur décision de condamnation ne se fondait donc pas sur des éléments objectifs qu'ils auraient constatés, mais sur une critique mal assurée des prévisions et des projections que les objectifs affichés par l'employeur exprimaient.

L'arrêt d'assemblée plénière reprend une directive qu'on n'avait plus entendu rappeler depuis quelque temps : le juge ne doit pas contrôler les choix qui reviennent en propre à l'employeur. Ce sont sans doute les choix relevant des options de gestion. Dans son arrêt censuré, la cour d'appel remettait en cause les options de gestion de l'employeur ; elle le faisait d'abord en jugeant que la pérennité de l'entreprise et sa compétitivité étaient assurées dans les trois hypothèses envisagées de réorganisation.

… mais envisager les solutions alternatives

L'arrêt d'assemblée plénière ne doit pas être compris, toutefois, comme signifiant que l'appréciation du motif économique de licenciement n'impliquerait jamais le contrôle du choix opéré par l'employeur entre les solutions possibles. Au contraire, on peut croire que le licenciement économique, comme tout autre, n'a de cause réelle et sérieuse qu'en l'absence de solution alternative. En l'occurrence, il s'agissait de licenciements liés à la réorganisation d'une entreprise ne connaissant pas de difficultés économiques immédiates. C'est à l'égard de tels licenciements que le contrôle du juge doit plus particulièrement être défini. L'assemblée plénière reprend à son compte, à cet égard, la dernière jurisprudence de la chambre sociale : « Les licenciements ont une cause économique réelle et sérieuse lorsqu'il est établi que la réorganisation de l'entreprise, qui entraîne des suppressions d'emplois, est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient. » Les conséquences que l'assemblée plénière tire de cette réaffirmation soulèvent pourtant quelques interrogations.

Il est connu que pour se prononcer sur la cause d'un tel licenciement le juge doit rechercher s'il répondait à une exigence de compétitivité. Mais ce contrôle lui-même peut être compris de deux façons. Dans un premier sens, il s'agirait seulement pour le juge de rechercher si la mesure de licenciement a été envisagée en vue de sauvegarder la compétitivité : pour l'employeur, l'objectif était-il celui-là ? Cette première conception est compatible avec les premières expressions de cette jurisprudence, en particulier celles de l'arrêt Thomson Vidéocolor (Cass. soc., 5 avril 1995) : « Lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité. » Cependant, les formules jurisprudentielles ont évolué : il y est de plus en plus constamment question de la « nécessité » de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du groupe (notamment dans l'arrêt Marquis Hôtels Ltd, Cass. soc., 26 novembre 1996, et les arrêts Miko, Cass. soc., 23 juin et 1er décembre 1999). Elles orientent donc vers une autre conception, selon laquelle le juge doit rechercher s'il est établi que la réorganisation entraînant les suppressions d'emplois était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité. C'est ce qui, au demeurant, résulte explicitement du motif de droit de l'arrêt de l'assemblée plénière. Il s'agit donc de se prononcer sur la nécessité réelle de la mesure. La réorganisation ne peut apparaître comme nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité que s'il n'y a pas d'autres moyens permettant d'atteindre les mêmes objectifs. Il paraît indispensable, de ce point de vue, d'envisager d'éventuelles solutions alternatives. L'analyse même de la cause économique réelle et sérieuse implique que le juge ait à se prononcer sur ces solutions alternatives.

Un principe s'affirme de plus en plus fortement dans le droit du licenciement : le licenciement n'est justifié que lorsqu'il n'est pas possible d'éviter la rupture du contrat de travail. Il est l'ultime remède qui n'est utilisable que lorsqu'il n'existe pas de solution alternative. L'un des prolongements de ce principe est intégré dans le contrôle de la cause réelle et sérieuse du licenciement économique selon la jurisprudence de la chambre sociale : « Alors même qu'il résulte d'une suppression d'emploi procédant d'une cause économique, le licenciement pour motif économique n'a une cause réelle et sérieuse que si l'employeur s'est trouvé dans l'impossibilité de reclasser le salarié » (Cass. soc., 17 mars 1999, Dr. social 1999, p. 503). Il n'est pas fait d'allusion dans l'arrêt de l'assemblée plénière à cette composante de la cause économique réelle et sérieuse ; mais elle n'est certainement pas remise en cause pour autant.

Allons plus loin : l'orientation dont elle procède ne peut être cantonnée à la seule obligation de reclassement qui trouve à s'appliquer lorsqu'il est acquis que la suppression d'emploi est justifiée par un motif économique. On ne saurait établir une séparation radicale entre le moment où il s'agit de contrôler la justification d'une réorganisation et des suppressions d'emplois qui en résultent et celui où il s'agit de se prononcer sur les possibilités de reclassement. Les mêmes alternatives au licenciement sont susceptibles d'intervenir sur les deux terrains : la place que le législateur lui-même a faite aux mesures de réduction et d'aménagement de la durée du travail dans le plan de reclassement de l'article L. 321-4-1 du Code du travail le montre assez.

Le principe qu'on évoque ici est appelé à mieux caractériser la cohérence d'ensemble du droit du licenciement. Il s'appuie sur le droit à l'emploi qui a valeur constitutionnelle. Il implique en particulier que, devant le juge qui doit se prononcer sur la cause réelle et sérieuse d'un licenciement économique, l'employeur doit s'expliquer sur d'éventuelles solutions alternatives. C'est ce qu'il faudra concilier avec les affirmations de l'arrêt d'assemblée plénière du 8 décembre 2000.

Auteur

  • Gérard Couturier